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Publié le 05/05/2013

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o o o o En dépit de la complexité du texte, on peut dégager les modèles qui ont servi à construire le roman : un roman d'apprentissage, quatre intrigues sentimentales liées les unes aux autres, une intrigue policière qui tourne au roman noir, des intrigues secondaires qui se rattachent aux précédentes. ? Bernard Profitendieu, héros adolescent, se découvre à travers les faits auxquels il assiste. Apprenant qu'il est bâtard, il quitte la maison, exerce deux professions, aime deux femmes successivement, avant la crise qui le révèle à lui-même et lui permet de rentrer chez lui au terme de l'initiation. o o o o L'écrivain Edouard est amoureux de son neveu Olivier Molinier, mais c'est Bernard, l'ami d'Olivier, qu'il prend comme secrétaire tandis qu'Olivier entre au service de Passavant, qu'il n'aime pas. Les amours de Laura Vedel sont condamnées : repoussée par Edouard qui aime Olivier, elle épouse Douviers sans amour, devient la maîtresse de Vincent Molinier qui l'abandonne, cherche en vain secours auprès d'Edouard, se laisse aimer platoniquement par Bernard, avant de retourner sans joie avec son mari. Aux amours de Laura se rattachent celles de Vincent Molinier, son amant, qui l'abandonne pour Lady Griffith, et celles de Bernard, platoniques avec Laura, physique avec Sarah, la soeur de Laura. Ces quatre intrigues dépendent les unes des autres : tout découle logiquement des tendances d'Edouard, qui le poussent à délaisser Laura pour Olivier. Dès lors, Laura ne peut qu'échouer avec Vincent qui se tourne vers Lady Griffith, et avec Bernard, qui se tourne vers Sarah. o o o L'intrigue policière repose sur des énigmes et la découverte progressive d'indices qui permettent de les résoudre : qui est impliqué dans l'affaire de moeurs dont parlent le père de Bernard et celui d'Olivier? Que signifie l'étrange conduite de Georges, le jeune frère d'Olivier ? Qui est le mystérieux Strouvilhou ? La solution est donnée dans la troisième partie : Georges fait partie d'une bande de fauxmonnayeurs que dirige Strouvilhou. Mais les coupables seront-ils découverts et châtiés ? C'est là que le roman policier rejoint le roman noir ébauché depuis le début : un mécanisme implacable prépare une victime aux fauxmonnayeurs devenus bourreaux par la faute des justiciers eux-mêmes : un enfant fragile - le jeune Boris. o o o Pour donner l'illusion du naturel, Gide obéit à un principe rigoureux: dès le début, il a l'intention d'ébaucher systématiquement des intrigues secondaires inutiles qu'il ne poursuivra pas. Il justifie ce dessein : dans son incapacité à unifier l'intrigue, le romancier imite la vie : « La vie nous présente de toutes parts quantité d'amorces de drames, mais il est rare que ceux-ci se poursuivent et se dessinent comme a coutume de les filer un romancier. Et c'est là précisément l'impression que je voudrais donner dans ce livre. « Gide ne cherche pas la vraisemblance mais le sentiment de l'inachevé. Ce livre « s'achèvera brusquement, non point par épuisement du sujet, qui doit donner l'impression de l'inépuisable, mais au contraire, par son élargissement et par une sorte d'évasion de son contour. Il ne doit pas se boucler, mais s'éparpiller, se défaire«. o o o o Tous les personnages ont un air de famille : tous sont parisiens, bourgeois d'esprit, chrétiens et artistes. Ils sont très cultivé et au courant de l'actualité. Ces personnage du roman ne sont jamais décrits dans leur apparence extérieure, ils sont réduits à leur voix : « Je sais comment ils pensent, comment ils parlent ; je distingue la plus subtile intonation de leur voix «. En effet, ils nous sont souvent présentés dans un dialogue, où l'auteur commente les « tons « de leur voix. Cette méthode explique que presque tous ses personnages soient des intellectuels, même les plus caricaturaux : Gide ne crée que des personnages qui aiment parler. Ils évoluent dans un univers social limité : celui de la bourgeoisie cultivée, des professions libérales fondées sur l'art de la parole. Leur vie mentale s'exprime tout naturellement en monologues, en lettres, en discussions. o o o Des tics professionnels marquent le langage de tous : pour Profitendieu, c'est le « je sais que « du juge d'instruction ; pour Vincent, ce sont les termes techniques de la biologie ; pour Bernard et Olivier, c'est le jargon des lycéens. Cela permet à Gide « ne jamais exposer d'idées qu'en fonction des tempéraments et des caractères «. Voici la règle que se donne Gide pour présenter les personnages : « Ne pas amener trop au premier plan - ou du moins pas trop vite - les personnages les plus importants, mais les reculer, au contraire, les faire attendre. Ne pas les décrire, mais faire en sorte de forcer le lecteur à les imaginer comme il sied. « o o o o Gide écrit qu'il tâche d'enrouler les fils de son intrigue autour de ces petites bobines (f. szpulka nici) que sont ses personnages. Ils sont neutres. Ils ne sont rien. Ils sont des personnages en quête de leur situation qu'ils trouveront dans le roman. Bernard, le personnage le plus proche de Gide peut-être, est d'abord une idée d'un être de volonté, de rigueur, de liberté, d'un être sans racine. Sa situation familiale fait de lui un bâtard. Edouard doit à sa situation de narrateur d'être le romancier de cet univers. Comme tel, il n'est l'être de personne, il n'est l'être de nulle part. Tous peuvent être étudiés dans le rapport avec leur situation, qui fait leur véritable personnalité. Cette vue, fondamentalement artistique, réconcilie le monde réel et le monde fictif. Un élément propre au créateur intervient au moment de l'écriture, c'est le hasard. ? ? Les personnages dépendent intimement de l'écrivain. Ils sont des éléments de sa particularité. Tous les personnages des Faux-Monnayeurs forme une ronde des diverses personnalités de Gide à ses différents âges. o o Gide veut « éviter à tout prix le simple récit impersonnel «. Il exige l'effort du lecteur pour reconstituer un réel qui lui demeure caché : « Je voudrais que les événements ne fussent jamais racontés directement par l'auteur, mais plutôt exposés par ceux des acteurs sur qui ces événements auront quelque influence. Je voudrais que, dans le récit qu'ils en feront, ces événements apparaissent légèrement déformés ; une sorte d'intérêt vient, pour le lecteur, de ce seul fait qu'il ait à rétablir. L'histoire requiert sa collaboration pour se bien dessiner. « o o Pour cela, la plupart des personnages assument tout à tour le rôle du narrateur : au cours d'un dialogue, ou par lettre, ils racontent à un tiers ce qu'ils savent de leurs proches. L'avantage de la présentation indirecte, c'est qu'elle décrit autant celui qui parle que celui dont on parle, tout en laissant le lecteur faire lui-même le travail d'analyse. ? Le tiers du livre est constitué par le journal d'Edouard. o o Le journal d'Edouard peut simplement réfracter les faits, mais il a aussi une autre fonction : grâce à lui, les théories littéraires d'Edouard deviennent l'un des sujets du livre, sinon, comme le prétendait Gide, le sujet principal. Au début, Edouard note ce qu'il voit dans son journal, et ses théories littéraires sur un carnet. Ensuite il écrit tout dans le même journal ; dès lors, il ne raconte plus les faits comme les autres personnages, il les met en forme en vue de les intégrer dans son roman o o Le roman de Gide et d'Edouard porte le même titre ; on pourrait en déduire qu'Edouard est la représentation de Gide, et que le roman de l'un est celui que l'autre essaie de faire ; ce serait une véritable « mise en abyme «. Il n'en n'est rien. Gide proteste quand les critiques voient en Edouard un auto-portrait. Le livre qu'écrit Edouard, ce n'est pas les FM puisque « ce pur roman, il ne parviendra jamais à l'écrire« o o o A l'origine, ce journal était le brouillon du cahier d'Edouard : c'était la clé du roman destinée à être intégrée au roman lui-même. Mais Gide n'a pas réalisé ce dessein : il n'a retenu, pour le journal d'Edouard, que les passages les plus théoriques et la véritable histoire des Faux-Monnayeurs n'est pas dans Les FM. Dans ces conditions, le JFM a un rôle ambigu : il n'a pas le caractère brut des documents posthumes ; il forme une « oeuvre « en ce sens qu'il est organisé en vue d'une publication à part. o o o o Le narrateur se cache parfois derrière une fausse objectivité. Ainsi, dans certains dialogues, il apparaît en donnant des indications scéniques concernant les gestes et le ton des personnages. Dans d'autres, les répliques alternent avec une analyse, souvent en style indirect, des pensées et des sentiments qui ont motivé la réplique. Dans les deux cas, le narrateur sert à révéler, dans l'instant, un décalage entre la pensée et la parole, entre l'être et l'apparence. Le monologue intérieur a une fonction différente. Gide reste plus près du monologue dramatique, libre mais structuré, que du discours intérieur plus obscur et plus informe. Seul Bernard, dans la première moitié du texte, se livre à un « dialogue intérieur « : Gide cherche à traduire ainsi la lutte d'un être qui se cherche, sa tendance à l'analyse et au dédoublement. Le monologue intérieur a donc ici un rôle exceptionnel ; il signifie la crise psychologique d'un personnages. La plupart du temps, Gide préfère le style indirect libre, à la troisième personne, parce qu'il permet une distanciation plus grande entre le narrateur et les personnages. o o Il arrive à Gide d'intervenir comme un personnage distinct, à la première personne, d'ignorer ce que font les personnages, de ne pas pouvoir en observer plusieurs à la fois, d'être obligé d'interpréter leur comportement : « quittons-les «, « je ne sais trop où il dîna ce soir «. Ce procédé tend à créer une nouvelle illusion : les personnages semblent ainsi vivre d'une vie autonome et imprévisible. Que le narrateur s'identifie au lecteur, c'est encore plus manifeste lorsqu'il réagit affectivement à l'égard de ses personnages.

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