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Mitterrand, le Coup d'État permanent (extrait).

Publié le 14/04/2013

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Mitterrand, le Coup d'État permanent (extrait). En 1964, un an avant l'élection présidentielle, François Mitterrand, incontestable champion de l'anti-gaullisme et ayant gagné ses galons d'homme de gauche, cherche à légitimer sa position de présidentiable. Convoquant son talent d'écrivain, il publie le Coup d'État permanent, pamphlet ayant un double objectif : convaincre les lecteurs du caractère autocratique et arbitraire du pouvoir gaulliste ; poser en filigrane et sans se dévoiler complètement, l'idée d'une alternative de gauche et d'un destin élyséen dont il serait le porte-drapeau. Le Coup d'État permanent de François Mitterrand (conclusion) [...] Le gaullisme vit sans lois. Il avance au flair. D'un coup d'État à l'autre il prétend construire un État, ignorant qu'il n'a réussi qu'à sacraliser l'aventure. C'est pourquoi j'ai écrit ce livre de combat. Alors qu'un homme s'est emparé de la France et que la majorité des Français y consent, la minorité qui résiste a besoin de connaître l'ampleur de l'enjeu. Son courage et sa ténacité s'affermiront quand elle saura, sans doute possible, qu'elle témoigne pour la justice et pour la liberté. J'appartiens à cette minorité. Mais en analysant le mécanisme du coup d'État permanent qui a ruiné la République j'ai voulu aussi la mettre en garde contre ellemême. Je n'ai pas tracé les lignes d'un programme d'action mais seulement tenté de lui rappeler les principes sans lesquels l'autorité devient tyrannie et l'ordre injustice. Vingt-cinq ans de malheurs nationaux et d'insécurité politique ont rendu les Français craintifs. Ils n'ont pas encore pardonné à la IVe République sa faiblesse gouvernementale et le ressentiment les conduit à oublier qu'ils doivent à ce régime la reconstruction de leur pays. Ils ont trop souffert et trop longtemps d'avoir joué le rôle de l'homme malade de l'Europe par la faute d'une perpétuelle crise politique pour entendre aujourd'hui raison. Que si cette crise n'a pas réellement atteint le potentiel de la France ils acquiescent cependant à la propagande habile qui leur vante la stabilité intérieure et le prestige international recouvrés grâce au général de Gaulle. De Gaulle les tranquillise, tandis que le Parlement, les partis, les congrès, les controverses idéologiques continuent de les inquiéter. Ils redoutent d'avoir à revenir en arrière. Et de Gaulle qui le sait pince cette corde chaque fois qu'il souhaite les rameuter. Dans le procès intenté au régime déchu l'historien démêlera le vrai du faux. Tel n'est pas l'objet de ce livre qui ne plaide ni pour ni contre le passé. J'aurai atteint mon but si j'ai contribué à démystifier le phénomène gaulliste en montrant comment par un extraordinaire subterfuge le nouveau pouvoir au lieu de consolider l'État le démantèle, comment au lieu de restaurer le respect de la loi il pervertit l'esprit civique, comment au lieu de confier au peuple la maîtrise de son destin il le confisque. [...] [...] Un dictateur [...] n'a pas de concurrent à sa taille tant que le peuple ne relève pas le défi. Imaginer qu'un dictateur n'a d'appétit que pour le sang et n'aime que la terreur serait une sottise. Mais il sait que s'il abandonne ou néglige les moyens de son pouvoir il tombe dans la trappe d'Ubu. Il lui faut sa police, sa justice, son officine de propagande, ses armes de séduction et de répression. Privé d'elles, un jour ou l'autre, il verra le peuple sortir de sa torpeur, hurler à la tyrannie, brûler les palais officiels. Même s'il pense qu'il n'a pas opprimé les citoyens, qu'il n'a pas bafoué les lois, qu'il n'a pas moqué les moeurs, qu'il a favorisé le progrès, qu'il a aidé les arts, qu'il a respecté les coutumes, le cri qui montera vers lui sera le cri de la vengeance. Il s'en étonnera. Peut-être en souffrira-t-il comme d'une injustice. Peut-être en sera-ce une. Peut-être préférera-t-il la mort à ce qu'il appellera l'ingratitude. Mais il ne comprendra pas ce qu'il n'est pas apte à comprendre : que le pouvoir d'un seul, même consacré pour un temps par le consentement général, insulte le peuple des citoyens, que l'abus ne réside pas dans l'usage qu'il fait de son pouvoir mais dans la nature même de ce pouvoir. [...] [...] S'attaquer au gaullisme sur le plan de ses actes ne suffit pas car plus qu'une politique le gaullisme est une mythologie. Quand on aura expliqué aux Français que la Constitution est vidée de substance, que l'économie s'affole, que l'Université fronde, que la paysannerie se révolte, que le Plan est en panne, que Saint-Nazaire annonce la montée des grèves, que le rythme de la construction fléchit, que les milliards s'envolent à travers le monde, que nos alliances sont en péril, que, la France absente de l'Europe, l'URSS à l'Est, l'Allemagne parmi les Six et la Grande-Bretagne sur ses marchés traditionnels s'en partagent les zones d'influence, que le mot d'ordre « chacun ses frontières, chacun sa bombe « accroît les chances de désordre et de guerre, on aura peut-être persuadé l'opinion que de Gaulle gouverne mal, on ne l'aura pas convaincue qu'il convient de le remplacer. Elle préfère encore le mythe du père (de Gaulle se charge de tout), le mythe du bonheur (de Gaulle conjure les sorts), le mythe du prestige (le monde jalouse la France qui possède de Gaulle), le mythe de la prospérité (grâce à de Gaulle nous serons bientôt cent millions, le franc vaincra le dollar) à la froide réalité d'un bilan. Mais sur ce plan non plus les républicains ne sont pas démunis. Au régime vieillot qui s'applique à perpétuer une société agonisante ils peuvent opposer la promesse féconde d'un monde nouveau où la loi, sage et hardie, fera du peuple son propre maître. Ils ont de leur côté la liberté et la justice. S'ils l'osent, ils auront l'espérance. Source : Mitterrand (François), le Coup d'État permanent, Paris, Plon, 1964. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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