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Mon plaisir de lire

Publié le 27/04/2011

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   Deux cents romans français nouveaux, la moitié d'étrangers, des buissons épais de biographies, de récits historiques, d'analyses politiques ou de recueils de poèmes. La rentrée des livres présente tous les signes extérieurs de bonne santé solide.    On se plaindrait plutôt de suralimentation que de famine. Quand les étalages croulent sous autant de produits divers, il est bien difficile de faire son choix et de repérer dans les amoncellements le fruit rare. Celui qu'on attendait sans savoir, conforme à notre goût ancien et révélateur d'un goût nouveau.    C'est ici que le critique peut servir à quelque chose. A aider tout d'abord au premier tri. A repérer les bouquins surgelés, calibrés, programmés, à la saveur standard. Des livres pour fast food. Il en faut, il n'en manque pas. Ils permettent souvent aux éditeurs de gagner assez d'argent pour supporter les pertes des autres, de ceux qui ne répondent pas aux normes, qui ont la peau rugueuse, la couleur étrange. Ceux qu'on ne consommera pas mais qu'on risque d'aimer.    A cet endroit, le critique se sent frôlé par l'aile de l'imposture : il a bûché comme un âne, pioché dans ses piles de livres, il est gavé de phrases inutiles, de confidences autobiographiques dont il n'a que faire, de passions totalement étrangères et de mots sans grâce, et il lui faut encore aimer et pire : faire aimer. Trouver, comme le disait Gracq, « cette inflexion de voix juste qui me fera sentir que vous êtes amoureux, et amoureux de la même manière que moi : je n'ai besoin que de la confirmation et de l'orgueil que procure à l'amoureux l'amour parallèle et lucide d'un tiers bien disant «.    Pour descendre des hauteurs où respire — si fort, si libre ! — Julien Gracq, admettons que le critique se trouve dans la situation d'un buveur, saoulé de piquette, abruti de mélanges inavouables et qui devrait, dans sa morne ivresse et de sa gueule pâteuse, célébrer les beautés secrètes d'un cru rare.    Mais revenons à l'amour, puisqu'il ne s'agit jamais que de ça. Puisque la lecture me paraît encore, à ce jour et sans espérer qu'on trouvera mieux, le plaisir le plus comparable au plaisir amoureux. Question de temps, de rythme d'abord. La musique, les spectacles vous imposent le leur, le livre vous accompagne. Libre à vous de galoper sur ses lignes jusqu'à la page finale, de vous exalter de sa vitesse ou bien au contraire de vous en imprégner lentement, de revenir en arrière, de laisser vibrer en vous jusqu'au silence la corde qui a trouvé l'ébranlement juste, d'engager des conversations, d'ébaucher des complicités, d'allumer des fâcheries et de susciter des réconciliations.    On n'y gagne rien? Non, précisément. Un livre ne rend ni plus intelligent, ni plus riche, ni plus cultivé, malgré la légende. Rien à voir avec les cours du soir et la formation permanente. Un livre ne rend ni meilleur, ni pire, ni plus ni moins apte à affronter les difficultés de l'existence. Rien à voir avec l'édification morale ou les recettes de savoir-vivre. C'est pure dépense. Simplement, lorsqu'un livre, comme une passion, donne l'illusion que l'on a multiplié sa vie, il se trouve que cette illusion est vraie.    Le genre littéraire est indifférent, je veux dire qu'il diffère selon les personnes, voire, chez une même personne, selon les époques et les humeurs. Barthes m'empourpre sensuellement autant que Stendhal ou Chateaubriand, et la Méditerranée de Fernand Braudel me paraît aussi chargée de poésie que les Mille et Une Nuits. L'amour des livres est fatal, polymorphe et infidèle. Seule compte la perdition du moment.    Il paraît que, pour la première fois depuis très, très longtemps, les Français, cette année, ont acheté moins de livres. Signe de crise passager, restriction des budgets ou bien première manifestation de cette extinction de la Galaxie Gutenberg annoncée par les prophètes de l'audiovisuel (2) ? Les civilisations meurent : tant mieux, tant pis, on n'y peut rien. Mais la perte du plaisir serait irréparable. Quand j'en sens, de plus en plus insistante, la menace, je résiste, je prends le maquis : je lis Gracq, par exemple, qu'on ne lit jamais assez : « Une histoire de la littérature, contrairement à l'Histoire tout court, ne devrait comporter que des noms de victoires, puisque les défaites n'y sont une victoire pour personne. «    Pierre Lepape, Télérama, n° 1708, 6 octobre 1982.    Vous ferez d'abord de ce texte, à votre gré, un résumé (en suivant le fil du texte) ou une analyse (en reconstituant la structure logique de la pensée, c'est-à-dire en mettant en relief l'idée principale et les rapports qu'entretiennent avec elle les idées secondaires).    Dans une seconde partie, que vous intitulerez discussion, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé(e). Vous en préciserez les éléments et vous exposerez vos vues personnelles sous la forme d'une argumentation ordonnée, étayée sur des faits et menant à une conclusion.   

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