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Le monde romanesque d'après Albert Camus.

Publié le 22/02/2012

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Assurément, le roman a pour privilège de rendre la médiocrité, et la banalité uniques et certains médiocres sont devenus de véritables mythes. Toujours dans l'½uvre de Flaubert Madame Bovary, le drame d'Emma c'est de se faire toujours illusion sur elle-même, soit en niant ou en reniant les sentiments vrais qu'elle éprouve ou a éprouvés, soit en croyant vivre des sentiments qu'elle n'éprouve pas. Elle se conçoit toujours autre qu'elle n'est. C'est ce l'on a appelé le bovarysme. Si Emma n'a rien d'un héros au sens classique, si tout au long du roman elle a été enfermée dans une passivité excessive, elle accomplit son destin et se réalise enfin dans une authenticité absolue au moment de son suicide. Le concept de bovarysme établit bien cette singularité donnée à un personnage, a priori commun, voire médiocre. Emma n'est certainement pas une héroïne au sens où on l'entend dans La Princesse de Clèves, mais c'est son destin qui fait d'elle une héroïne exemplaire.
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« distraites par des évènements fortuits et son grand amour ne dure pas jusqu'à la mort.

Loin de corriger le monderéel de son "héroïsme", le monde de Frédéric Moreau est corrigé dans le roman même par l'évocation d'un réelgrouillant.

Aussi, le personnage d'Emma Bovary s'inscrit lui aussi dans une passivité caractéristique des antihéros.Dans Madame Bovary, entre l'idéal et la médiocrité quotidienne, l'esprit d'Emma se meut sans cesse de la torpeur àl'exaltation, du désir d'évasion à l'impatience de la réclusion.

Elle est excessive en tout et retombe toujours dans lesmêmes ornières.

Elle se répète sans progresser, incapable de tirer parti de l'expérience.

S'il y a évolution chez elle,et par là action, c'est dans le sens d'une plus grande irritation, d'une plus profonde souffrance.

La répétition accroîtla déception.

Elle ne comprend pas que le bonheur aurait pu être à sa portée de main si elle avait su lutter pour leconquérir et sortir de ses rêves romantiques.

Certes, la société ne lui laissait guère les possibilités de s'affranchirdes liens de toute nature qui emprisonnaient les femmes au XIXème siècle.

Mais Emma est, de toute façon, faible etvelléitaire.

Finalement la seule expérience qu'Emma vivra sans se référer aux modèles de ses livres sera le suicide.

Illui aura fallu affronter l'épreuve de la mort pour rencontrer l'authenticité.

Malgré leur faiblesse et leur passivité,Emma Bovary et Frédéric Moreau sont les héros des plus illustres romans de Flaubert. Au contraire, refuser la thèse d'Albert Camus, en considérant le héros romanesque comme la concrétisation devaleurs et d'actions héroïques, au sens d'exceptionnelles, reviendrait-il à accorder la primauté au personnage dansle roman ?En effet, l'apogée de l'individu et du personnage s'accomplit dans le roman d'analyse, où le réel est mimé, tout enétant sublimé.

Le roman d'analyse est ainsi le moyen privilégié d'investigation psychologique du héros, qui sedétache alors du commun par des valeurs inhabituelles.

C'est ainsi que dans La Princesse de Clèves, à l'horizon de laconscience de Mme de Clèves demeure la haute idée qu'elle se fait d'elle-même : là se trouve la pierre de touched'une éducation aristocratique.

Elevée loin de la cour, la princesse témoigne par ses exigences les plus profondesdes valeurs héroïques qui traversent tout le XVIIème siècle.

On note chez elle une intolérance à l'égard de toutemédiocrité, de toute laideur morale.

L'infidélité envers son mari lui fait horreur, tout comme elle réprouve lesinfidélités multiples de Mme de Valentinois ou de Mme de Tournon.

La fidélité de l'épouse est une forme de loyautéet tromper à ses yeux serait déchoir.

Le spectacle de l'adultère universel que donne la cour, bien loin de contaminerson sens moral, l'affermit au contraire peu à peu.

L'aveu héroïque de son inclination pour M.

de Nemours à M.

deClèves se situe dans le droit fil de cette mystique de la loyauté, tout comme le refus, ensuite, d'épouser M.

deNemours.

Outre qu'elle en pressent l'inconstance future, Mme de Clèves ne saurait épouser l'homme qui, à ses yeux,est responsable de la mort de son mari.

Ne voyons pas là un "fantôme de devoir", mais un défi à soi-même, unepréférence pour l'exploit moral inaccessible au vulgaire.La preuve la plus flagrante de l'exceptionnel comme une constante du roman réside dans l'½uvre d'Honoré deBalzac, La Comédie Humaine.

Le héros romanesque y est exception par son vice implacable.

Dans Le Père Goriot, lepersonnage éponyme touche au sublime par son sacrifice et son agonie pathétique qui sont justement lesconséquences de son aveuglement par la passion qu'il voue à ses filles.

Le personnage du Père Goriot rejoint ici danssa monomanie d'autres personnages de La Comédie Humaine, comme le Père Grandet ou l'usurier Gosbeck.

C'est icijustement cette monomanie, cette particularité qui en fait un héros au sens classique.

Ce héros ne nous ressemblepas, il ne partage pas nos valeurs, justement parce qu'il porte en lui un vice (dans d'autres romans, une vertu)inhabituellement décuplé.Dans le propos d'Albert Camus, la notion de héros romanesque est bien amenée à être remise en question.

On envient à pouvoir avancer que ce n'est pas l'exception ou la banalité qui détermine le héros romanesque.

Le hérosromanesque trouve son essence dans une puissance supérieure et irrévocable.

L'accomplissement de son destin parle personnage de roman n'est-il pas justement ce qui fait de lui un héros ? Et si le héros a bien été le soutien duroman selon Robbe-Grillet, que reste-t-il de l'héroïsme ? L'antihéros serait alors capable lui aussi de courir "jusqu'aubout de son destin". Assurément, le roman a pour privilège de rendre la médiocrité, et la banalité uniques et certains médiocres sontdevenus de véritables mythes.

Toujours dans l'½uvre de Flaubert Madame Bovary, le drame d'Emma c'est de se fairetoujours illusion sur elle-même, soit en niant ou en reniant les sentiments vrais qu'elle éprouve ou a éprouvés, soiten croyant vivre des sentiments qu'elle n'éprouve pas.

Elle se conçoit toujours autre qu'elle n'est.

C'est ce l'on aappelé le bovarysme.

Si Emma n'a rien d'un héros au sens classique, si tout au long du roman elle a été enferméedans une passivité excessive, elle accomplit son destin et se réalise enfin dans une authenticité absolue au momentde son suicide.

Le concept de bovarysme établit bien cette singularité donnée à un personnage, a priori commun,voire médiocre.

Emma n'est certainement pas une héroïne au sens où on l'entend dans La Princesse de Clèves, maisc'est son destin qui fait d'elle une héroïne exemplaire.Plus profondément encore, lorsqu'on en vient à aborder la psychologie du héros qui fait de lui un type humain, onparlerait de Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, comme l'ambitieux, l'arriviste.

Physiquement, Julienest un héros romantique.

Stendhal n'en fait pas un portrait physique systématique, mais insiste sur sa séduction.Psychologiquement, en revanche, et ce qui nous intéresse, il ne correspond à aucun stéréotype et peu de héros deromans ont été interprété plus diversement.

Julien est-il un arriviste, un hypocrite, un révolté, un calculateur froidou un homme excessivement sensible ? Le flou du personnage et ses illusions apparaissent déjà dans les termes qu'ilemploie pour se caractériser.

Julien n' pas de caractère particulièrement mis en relief ou même singulier, ce flou ne leplace pas en tant que personnage héroïque.

Cette incertitude sur ce qu'il est vraiment conduit à un personnagepluriel qui ne correspond pas à l'unicité et à l'inhabituel du héros au sens classique.

Cependant, son destin estexceptionnel.

Ainsi donc, le lieutenant de la Vernaye n'est plus, apparemment, l'ardent Julien du début.

« Mon romanest fini et à moi seul tout le mérite.

», s'écrie-t-il avec orgueil.

Oui, son roman est fini, l'arriviste est « arrivé », etStendhal aurait pu arrêter là son livre, laissant à sa brillante carrière un héros qui s'est trahi lui-même : Julien seraitun Rastignac bourgeois, le Rouge et le Noir une leçon de cynisme.

Mais c'est justement ce cynisme et cette propretrahison qui auraient fait de Julien un héros médiocre.

Dans le paradoxe de son bonheur en prison, Julien n'a plus. »

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