Devoir de Philosophie

Un monde sans autrui est-il possible ?

Publié le 05/04/2004

Extrait du document

L'approche de cette question mérite tout d'abord une restriction importante pour qu'elle ait  véritablement un sens. Il s'agit moins effectivement de savoir si un monde où je vivrais seul  est possible sans la présence physique d'autrui que sans sa prise en compte. La différence est  de taille : sans autrui, difficile de voir l'émergence d'un monde et cela simplement pour des  questions biologiques et la reproduction d'une espèce. De ce point de vue, l'arche de Noé est  paradigmatique de la nécessité de la présence d'au moins deux individus d'une même espèce. La  question porte alors sur la possibilité de construire un monde ou de l'appréhender sans faire  référence à autrui. Dès lors, c'est la notion d'égoïsme qui fait son apparition. En effet,  l'égoïste définit un monde où autrui n'a pas de valeur. Sa présence n'est pas requise et il  apparaît alors comme un obstacle à la volonté, à l'action. Pourtant, cet égoïsme est-il  généralisable ? La parcimonie de la nature envers l'homme ne l'oblige-t-elle pas à considérer  autrui ? Bien plus, le monde est toujours une représentation consciente or l'avènement de la  conscience individuelle n'est-elle pas rendue possible justement par la présence d'autrui ? Il  s'agirait alors de renverser le solipsisme d'une conscience seule et cela même dans ses  implications, comme en science par exemple.

« es êtres humains apprécient plus ou moins la solitude, qui est toujours une épreuve.

Il se pourrait qu'un être solitaire aime celle-ci parce qu'elle est très « peuplée », de pensées, de lectures, de rêves où les autres ne sont pasabsents.

La véritable terreur ne serait-elle pas celle d'un monde véritablement sans autrui? 1.

Monde et intersubjectivité • Autrui est d'abord une présence contingente dans le monde : quelqu'un d'autre est là et pourrait ne pas y être.

Sije me détourne ou m'isole, il disparaît.

L'image de l'île déserte correspond à un monde à l'abri des regards, descontraintes imposées par la présence des autres. • Cependant, autrui ne se rencontre pas simplement de temps à autre, car toute expérience me renvoie à saprésence implicite.

Un paysage calme et désert garde en lui la trace des efforts d'autres hommes qui l'ont façonnéau fil des âges, du modèle esthétique selon lequel je le perçois - mon regard pouvant être influencé par la vision enperspective et son élaboration par les peintres de la Renaissance.

Je trouve, en naissant, un monde façonné par lesautres et mes parents ont parlé de moi avant même que je naisse. • Plus généralement, si je considère que ce dont je fais l'expérience a un caractère d'objectivité et n'est pas unehallucination, c'est que mon expérience est virtuellement partageable par autrui.

Husserl a montré que le monde estle corrélat d'une intersubjectivité de principe et Kant avait déjà indiqué - dans la prétention de nos jugements àl'objectivité - qu'il s'agissait de penser en se mettant à la place de tout autre. 11.

Autrui comme structure a priori • Commentant le livre de Tournier Vendredi ou les Limbes du Pacifique, Gilles Deleuze propose de considérer autruinon comme un objet mais comme une structure au fondement de la perception du monde.

Autrui n'est ni toi pourmoi, ni moi pour toi, mais plutôt ce qui ouvre une profondeur : l'autre côté des choses, le derrière de la maison queje ne vois pas, le couloir derrière la porte sont des vues qu'autrui pourrait prendre sur le monde.

Soit un gros plan aucinéma le surgissement d'un visage effrayé rend tout à coup présent un monde effrayant qui n'existe pas à cemoment-là pour moi, comme si autrui multipliait les versions du monde - non pas comme des possibilités abstraites,mais au sens où autrui est l'incarnation de ces mondes possibles qu'il rend réels.

Le monde acquiert alorsvéritablement toute sa profondeur, au sens où il ne se limite plus à ma perspective étroite. • Les psychologues actuels font l'hypothèse qu'une des compétences spécifiques de l'être humain est de prêter àautrui des états mentaux (impossibles à observer directement) et à se projeter dans la position de l'autre(compétence que les enfants acquièrent notamment par le jeu, qui suppose de pouvoir saisir la position d'autrui).

Laposition d'autrui n'est plus un fait contingent, mais une condition a priori pour qu'un monde existe. 111.

La foule et la désolation • L'absence d'autrui est en fait la plus grande dans l'anonymat d'une foule, quand les autres sont nombreux.

PourKierkegaard, « la foule, c'est le mensonge » car elle est la négation de tout engagement individuel de pensée.Heidegger écrit : « Les autres ne désignent pas la totalité de ceux que je ne suis pas, de ceux dont je me distingue;au contraire, les autres sont plutôt ceux dont le plus souvent on ne se distingue pas soi-même et parmi lesquels onse trouve aussi » (Être et Temps, 1927, § 26).

L'existence d'un «je» est une conquête sur l'anonymat du « on » quienlève le poids de la responsabilité pour sa propre existence.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles