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Mors de Malherbe et de Hugo. Commentaire comparé

Publié le 17/02/2012

Extrait du document

malherbe

Mors.

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles;

On a beau la prier, La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles

Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvre

Est sujet à ses lois; Et la garde qui veille aux barrières du Louvre

N'en défend point nos rois.

De murmurer contre elle et perdre patience

Il est mal à propos. Vouloir ce que Dieu veut est la seule science

Qui nous met en repos.

MALHERBE, 1599.

 

Mors

Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.  Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,  Noir squelette laissant passer le crépuscule.  Dans l'ombre où l'on dirait que tout tremble et recule,  L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.  Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux  Tombaient; elle changeait en désert Babylone,  Le trône en l'échafaud et l'échafaud en trône,  Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,  L'or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux.  Et les femmes criaient : -- Rends-nous ce petit être.  Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naître? --  Ce n'était qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas;  Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats;  Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre;  Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre  Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit;  Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.  Derrière elle, le front baigné de douces flammes,  Un ange souriant portait la gerbe d'âmes.

 

Mars 1854.

Victor Hugo, Les Contemplations (1856)

A l'aide de ces échantillons, caractérisez les deux poésies : classique et romantique, et, pour finir, les deux poètes.

Lorsqu'il composa ces vers, Victor Hugo ne se proposait certainement pas de refaire ceux du vieux Malherbe. Il ne songeait pas même, bien sûr, aux Consolations à du Perrier. Ils ont jailli d'un événement domestique : la mort avait visité son foyer, et depuis la tragique noyade en Seine de sa chère Didine, la sombre faucheuse hantait sans répit son cerveau de visionnaire ! Tandis que le « tyran des mots et des syllabes « cherche à raisonner un ami qui ne peut se résigner et lui parle de la perte de sa fille sur un ton quelque peu détaché, lui, en proie à sa douleur paternelle, évoque le fantôme impitoyable qui lui a broyé le coeur.

malherbe

« Quelques souvenirs de ses promenades au bord de l'Orne, un sonnet oil it pleure son fils tue en duel, c'est a peu pres tout son lyrisme personnel.

Il exprime didactiquement les idees de tout le monde sur des lieux communs. C'est ici le sujet mille fois traite de la mort, des remedes a la douleur pro- voquee par la disparition de ceux qu'on aimait.

Le theme se peut ramener a ces propositions simples : Ia mort est impitoyable; nul n'est a l'abri de ses coups; la conformite a la volonte divine seule rend le repos aux affliges.

AussitOt, Malherbe prend le ton doctoral et didactique; it affirme des verites de bon sens, it disserte sur un snjet : a La mort a des rigueurs nulle autre pareilles...

» Il se garde de parler a la premiere personne.

« On a beau la prier...

» Et it continue, it acheve comme it a commence; a aucun moment n'affleure le je, le moi.

Il se propose, en verite, de consoler un ami; it l'a nomme, it a mentionne auparavant certairies particularites tou- chant son cas; mais par dela du Perrier, it vise d'autres lecteurs, it univer- salise cette douleur paternelle, au lieu de l'individualiser, et s'adresse, sans se montrer, a une humanite anonyme.

Il termine sa lecon par un quatrain essentiellement didactique, tres beau, du reste, d'une portee fres haute, et eminemment pratique, Une dissertation en trois points, avec exemples l'appui : voila les trois stances de Malherbe. Hugo est le Romantisme fait ecrivain, sinon fait homme; it ecrit ces vers A une époque oil l'ecole qui devait remplacer a jamais le Classicisme a subi de sanglants echecs, en particulier au theatre, mais oil elle triomphe eneore dans le lyrisme.

L'auteur des Contemplations aura des admirateurs jusqu'a sa mort, dans quarante ans... 11 a, des ses premiers essais, emancipe son moi, timidement d'abord, puis effrontement.

it se montre assez diseret.

N'empeche que le mot qui domine toute la piece est le pronom : Je... Je vis cette faucheuse... Il va, nous l'avons dit, developper le meme theme que Malherbe.

Mais ce sont ses idees, ses sentiments, ses visions a lui qui remplissent ce develop- pement...

Apres avoir dit : je, it dira bien, plus loin, l'homme; mais l'homme, nous le sentons, c'est encore lui, toujours lui...

le poke, le penseur, l'homme complet, le prototype de l'humanite, qui a connu toutes les joies et toutes les souffrances.

« Malheureux qui cross que je ne suis pas toi!...

» Et aucune preoccupation apparente d'instruire, dans ces vers ou flottent des images sans lien j)lutot que ne s'enchainent logiquement des idees.

C'est sa facon de penser, a lui! « Victor Hugo, a-t-on pu dire, ne pense que par images.

» Aucun appareil didactique, aucun effet oratoire; a Ia dissertation classique s'oppose la vision romantique : puissante, grandiose, saisissante. La poesie classique est toute de raison, d'harmonieux equilibre.

Elle ne supprime pas l'imagination, la sensibilite, mais elle les controle etroite- ment, leur interdit tout &art que reprouvent le bon sens ou les conve- nances.

La sobriete est sa marque.

Les strophes de Malherbe sont, a cet egard, fres caracteristiques.

Deux servent de premisses; 1° la mort est cruelle, insensible, inflexible; 2° la mort est ineluctable et n'epargne personne.

La troisieme est une sorte de conclusion inspiree par la raison et par la foi : it faut se soumettre et se resigner; car telle est la volonte de Dieu et tel est le secret de la quietude ici-bas. Deux images sobres, deux exemples concrets illustrent ce syllogisme classique, discretement emu, reduit dans la troisieme stance a un raison- nement abStrait. Nous ne voyons pas cette Mort que supplie un « on » sans figure.

Sans doute, dans la pensee de Malherbe, c'est le spectre allegorique, tenant en main sa faux; mais aucun mot ne l'evoque, it n'est point fait allusion a ses attribute traditionnels.

Elle se « bouche les oreilles », mais le squelette, sous la forme duquel on la represente ordinairement, n'a plus d'oreilles. Et le nous du quatrierne vers, pas plus que le on, ne met sous nos yeux un etre defini.

Image sobre a l'exces, et qui ne provoque chez nous aucune sensation, aucune emotion vive. PluS precise est la double image antithetique de la deuxieme strophe. Le pauvre, terme general, s'accompagne d'un detail concret : le chaume. Quelques souvenirs de ses promenades au bord de l'Orne, un sonnet où il pleure son fils tué en duel, c'est à peu près tout son lyrisme personnel. Il exprime didactiquement les idées de tout le monde sur des lieux communs.

C'est ici le sujet mille fois traité de la mort, des remèdes à la douleur pro­ voquée par la disparition de ceux qu'on aimait. Le thème se peut ramener à ces propositions simples : la mort est impitoyable; nul n'est à l'abri de ses coups; la conformité à la volonté divine seule rend le repos aux affligés.

Aussitôt, Malherbe prend le ton doctoral et didactique; il affirme des vérités de bon sens, il disserte sur un sujet : « La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles... » Il se garde de parler à la première personne. « On a beau la prier... » Et il continue, il achève comme il a commencé; à aucun moment n'affleure le je, le moi.

Il se propose, en vérité, de consoler un ami; il l'a nommé, il a mentionné auparavant certaines particularités tou­ chant son cas; mais par delà du Perrier, il vise d'autres lecteurs, il univer­ salise cette douleur paternelle, au lieu de l'individualiser, et s'adresse, sans se montrer, à une humanité anonyme. Il termine sa leçon par un quatrain essentiellement didactique, très beau, du reste, d'une portée très haute, et éminemment pratique, Une dissertation en trois points, avec exemples à l'appui : voilà les trois stances de Malherbe.

Hugo est le Romantisme fait écrivain, sinon fait homme; il écrit ces vers à une époque où l'école qui devait remplacer à jamais le Classicisme a subi de sanglants échecs, en particulier au théâtre, mais où elle triomphe encore dans le lyrisme.

L'auteur des Contemplations aura des admirateurs jusqu'à sa mort, dans quarante ans...

Il a, dès ses premiers essais, émancipé son moi, timidement d'abord, puis effrontément.

Ici, il se montre assez discret. N'empêche que le mot qui domine toute la pièce est le pronom : Je...

Je vis cette faucheuse...

Il va, nous l'avons dit, développer le même thème que Malherbe.

Mais ce sont ses idées, ses sentiments, ses visions à lui qui remplissent ce dévelop­ pement... Après avoir dit : je, il dira bien, plus loin, Vhomme; mais l'homme, nous le sentons, c'est encore lui, toujours lui... le poète, le penseur, l'homme complet, le prototype de l'humanité, gui a connu toutes les joies et toutes les souffrances. «Malheureux qui crois que je ne suis pas toi!...» Et aucune préoccupation apparente d'instruire, dans ces vers où flottent dés iihages sans lien plutôt que ne s'enchaînent logiquement des idées. C'est sa façon de penser, à lui! «Victor Hugo, a-t-on pu dire, ne pense que par images. » Aucun appareil didactique, aucun effet oratoire; à la dissertation Classique s'oppose la vision romantique : puissante, grandiose, saisissante.

La poésie classique est toute de raison, d'harmonieux équilibre. Elle ne supprime pas l'imagination, la sensibilité, mais elle les contrôle étroite­ ment, leur interdit tout écart que réprouvent le bon sens ou les conve­ nances. La sobriété est sa marque.

Les strophes de Malherbe sont, à cet égard, très caractéristiques. Deux servent de prémisses; 1° la mort est cruelle, insensible, inflexible; 2° la mort est inéluctable et n'épargne personne. La troisième est une sorte de conclusion inspirée par la raison et par la foi : il faut se soumettre et se résigner, car telle est la volonté de Dieu et tel est le secret de la quiétude ici-bas.

Deux images sobres, deux exemples concrets illustrent ce syllogisme classique, discrètement ému, réduit dans la troisième stance à un raison­ nement abstrait.

Nous ne voyons pas cette Mort que supplie un «on» sans figure.

Sans doute, dans la pensée de Malherbe, c'est le spectre allégorique, tenant en main sa faux; mais aucun mot ne l'évoque, il n'est point fait allusion à ses attributs traditionnels. Elle se « bouche les oreilles », mais le squelette, sôus la forme duquel on la représente ordinairement, n'a plus d'oreilles.

Et le nous du quatrième vers, pas plus que le on, ne met sous nos yeux un être défini. Image sobre à l'excès, et qui ne provoque chez nous aucune sensation, aucune émotion vive.

Plus précise est la double image antithétique de la deuxième strophe.

Le pauvre, terme général, s'accompagne d'un détail concret : le chaume.. »

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