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«La mort n'est rien pour nous.» Qu'en penser ?

Publié le 12/03/2004

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La lecture attentive des termes du sujet, et leur analyse doivent vous donner les pistes de la problématique. Le sujet peut s'entendre en effet de multiples façons : la mort n'est-elle rien pour nous les hommes? N'est-elle rien pour nous-mêmes? Qu'est pour moi la mort de l'autre? Attention : il ne s'agit pas de disserter sur la mort, mais sur le rapport de l'homme à la mort. Il faut donc construire la problématique autour des mots «rien pour nous«. La mort n'est-elle rien objectivement, un non-être, un pur néant? Ou faut-il comprendre au contraire qu'elle n'est rien subjectivement, c'est-à-dire, cette fois, qu'on ne peut pas se l'imaginer, qu'on ne doit pas la craindre, etc.? La problématique est l'exploration de ces questions.

« "Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses; je ne sais ce quec'est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même demoi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, et nese connaît non plus que le reste.

Je vois ces effroyables espaces de l'universqui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue,sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, nipourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce pointplutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a précédé et de toute celle quime suit.

Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m'enferment commeun atome et comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour.

Tout ceque je connais est que je dois bientôt mourir, mais ce que j'ignore le plus estcette mort même que je ne saurais éviter.

Comme je ne sais d'où je viens,aussi je ne sais où je vais; et je sais seulement qu'en sortant de ce monde, jetombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sanssavoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage.Voilà mon état plein de faiblesse et d'incertitude.

Et de tout cela, je conclusque je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher cequi doit m'arriver." PASCAL Analyse ordonnée du texte De ce texte, on peut dire que, pour l'essentiel, il s'inscrit dans la tradition de la littérature chrétienne et qu'il faitpenser, par exemple, au Sermon de Bossuet sur la mort : ignorance sur ma naissance, mon corps, mes sens, monâme, ma pensée, ma place dans l'étendue et dans la durée, sur mon origine et mon avenir, sur l'heure de ma mort,cette mort étant seule certaine.

Il n'en porte pas moins des marques, qui, si nous connaissions Pascal, mais quenous ignorions cette page, nous la lui feraient attribuer sans hésiter.

Elle a un ton, une force et une qualitéd'expression qui ne trompent pas.

En effet, si ce discours est censé être celui de « l'esprit fort », de l'incroyant quise refuse à croire et qui se vante, Pascal, parlant en son nom, et si l'on fait abstraction de la dernière phrase, sesert du même langage.

« En regardant tout l'univers muet, et l'homme sans lumière, et comme égaré dans ce recoinde l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable de touteconnaissance, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, etqui s'éveillerait sans connaître où il est, et sans moyen d'en sortir» (Pensée 633).

On retrouve dans ce texte lesmots qui constituent des leitmotivs dans les Pensées : «terrible», «effroyables» «enferment» ici répétés, évoquantune comparaison empruntée à Montaigne, de l'homme qui ne voit «que l'ordre de la police de ce petit cerveau» où ilse trouve «logé» (Essais, II, XII), mais qui l'obsède et qui est celle d'un cachot (P.

72, 200), où l'homme attend sacondamnation à mort.

On y retrouve aussi le thème insistant de l'ignorance de soi.

Il « est à lui-même le plusprodigieux objet de la nature ; car il ne peut concevoir ce que c'est que corps, et encore moins ce qui est esprit, etmoins qu'aucune chose comme un corps peut être uni à un esprit » (P.

72).Mais, plus profondément que cette terreur de l'ignorance humaine, ce qui est un thème constant et particulièrementcaractéristique de Pascal, c'est l'infinité de l'univers par rapport à l'atome que je suis et surtout l'infinité de l'éternitéqui domine tout le texte et qui fait de ma vie un instant fugitif.

Or la mort place l'esprit fort dans l'alternative detomber, soit dans le néant, s'il n'y a pas d'au-delà, soit d'être à la merci d'un Dieu irrité, car si Dieu est, c'est pourlui « la certitude de damnation » (P.

239) et de l'enfer.

Il n'en conclut pas moins : «Je veux aller sans prévoyance etsans crainte, tenter un si grand événement, et me laisser mollement conduire à la mort, dans l'incertitude del'éternité de ma condition future » (P.

194). Il ne serait pas non plus malvenu de parler de la mort des autres.

Pourquoi garder le souvenir des morts ? Il estévident que c'est en vue du bien des vivants avant tout qu'ont lieu les funérailles, et que les cimetières sontentretenus.

La pensée de la mort sert ainsi à l'édification des mortels, et l'on peut se demander quel enseignementnous espérons en tirer.

Toujours est-il qu'une certaine réprobation s'attacherait à qui prétendrait rire et profiter dela vie quand le temps du deuil est venu.Ainsi penser à la mort apparaît-il comme un devoir.

Mais s'agit-il vraiment de morale ? La pensée de la mort netraduirait-elle pas plutôt une certaine fragilité psychologique, certes naturelle, mais que le sage doit pouvoirsurmonter ? C'est, ici, en seconde partie, que peut être développée la référence à Épicure (cf.

suite).

On pourraitaussi évoquer Spinoza, pour qui "un homme libre ne pense à aucune chose moins qu'à la mort, et sa sagesse est uneméditation non de la mort, mais de la vie". La philosophie de Spinoza est une ontologie optimiste : pour lui perfection et réalité, vertu et puissance sontmême chose.

Le bonheur absolu existe ici-bas dans la communion intellectuelle avec l'essence des choses.

Nil'erreur, ni le mal, ni la mort n'offrent la moindre prise à une pensée positive ; ils ne se définissent qu'à partir del'Être dont ils sont défaut, privation ; la pensée de la mort est contradictoire, c'est une pensée folle carprétendre penser le rien revient très exactement à ne rien penser ; chacun de nous est une essenceparticulière affirmative qui tend obstinément à « persévérer dans son être »; et il faut bien comprendre que ce« conatus », cet effort vers la plénitude de l'existence n'a rien à voir avec un peureux et douillet instinct deconservation.. »

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