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la mort de Sénèque vue par Tacite

Publié le 02/09/2012

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La mort de Sénèque : commentaire INTRO : On peut penser que, par sa méditation philosophique, Sénèque s'était préparé à la mort - y compris le suicide que les stoïciens ne condamnaient pas. Mais les circonstances semblent avoir comploté contre ses efforts pour offrir à ses amis une « belle mort «. Tacite, qui n'aime pas beaucoup Sénèque (il a été le précepteur d'un tyran et vit dans l'opulence et le luxe, c'est l'homme le plus riche de Rome, ce qui est assez paradoxal pour un philosophe), laisse clairement entendre qu'il n'est pas donné à tout le monde de réussir sa sortie avec autant d'éclat. Nous verrons d'abord le regard ironique de Tacite et enfin la mort ratée de Sénèque. COMMENTAIRE COMPOSE Rappel : Sénèque a été mis à mort par Néron, faussement accusé d'avoir participé à la conjuration de Pison avec Pétrone (complot contre l'empereur). I. Un regard ironique Les premières lignes du texte semblent objectives : Tacite décrit précisément la mise à mort : ouverture des poignets (il donne une cause qui paraît neutre, sans sous-entendu) puis des jarrets et enfin des cuisses. Enfin, dans un troisième temps, il décrit sa lente et douloureuse agonie. Pourtant l'ironie est déjà présente (Tacite n'apprécie guère Sénèque car il a été le précepteur d'un tyran et vit dans l'opulence et le luxe, c'est l'homme le plus riche de Rome, ce qui est assez paradoxal pour un philosophe). Il emploie l'expression parco victu, « par son régime frugal «, même s'il est très riche, il suit le régime frugal préconisé par les Stoïciens ainsi que senile corpore, « corps vieilli «, qui n'est pas très flatteuse. Puis commence l'angoisse l. 3-5 (il y a montée vers la tragédie) : à la vue de sa femme pleurant, son courage s'envole et il l'a fait sortir non pas pour l'épargner elle mais lui (alors que Socrate avait fait le contraire). Ce premier paragraphe s'achève d'ailleurs sur l'image du Sénèque beau parleur. Il veut donner l'image du philosophe « officiel « mais c'est celui d'un tyran (parallèle possible avec Socrate qui fut le précepteur d'Alcibiade : il caressait l'espoir d'en faire un roi-philosophe mais sa tentative a lourdement échoué). Ainsi la description de la lente agonie de Sénèque est critique : on sent que Tacite prend plaisir à évoquer le moindre détail de cette mort douloureuse et atroce. Tacite se moque en nous révélant que Sénèque a du s'y reprendre à quatre fois pour mourir : d'abord en s'ouvrant les poignets (mais insuffisant), puis les veines des genoux et des cuisses (mais là encore insuffisant), en buvant du poison et enfin en se plongeant dans un baquet d'eau chaude. Même la mort semble insensible à ses souffrances et à ses attentes. On a l'impression que le temps s'est figé, qu'il y a un effet de ralenti dans le texte. A la fin du premier paragraphe, Tacite se montre particulièrement désinvolte : il refuse de prendre ses ultima verba (contrairement à Cicéron qui reprend le dernier discours de Socrate à ses amis). Ce n'est pas du Socrate, c'est du Sénèque qui ne peut s'empêcher de gloser même dans les derniers instants. En fait, il se moque de sa soi-disant correspondance officielle que Sénèque avait déjà fait publier de son vivant -sûr de sa notoriété et de son succès- et dans laquelle il aurait exprimé ses dernières volontés. Pourtant nous n'avons gardé aucune trace de ses dernières volontés. Mais le second paragraphe, qui relate les derniers instants de Sénèque, est encore plus sarcastique. Sénèque se croyait maître de son destin, en fait il est tributaire du poison, poison provisum pridem, « prévu à l'avance «, ne manquant pas d'évoquer le tribunal d'Athènes pour mettre en balance la mort triomphale de Socrate et la mort ratée de Sénèque. II. Une mort ratée Le venenum désigné par la longue périphrase « quo (...) extinguerentur « désigne bien évidemment la ciguë (facile de deviner avec ce qui suit : les condamnés du tribunal d'Athènes, d'autant plus que la mise mort par le poison était très courante à l'époque), d'où la encore le parallèle avec Socrate. Tacite ne prononce jamais le nom du philosophe grec et pourtant, la comparaison est évidente avec l'expression publico judicio Atheniensium, « tribunal public d'Athènes «. Cette expression est placée d'ailleurs juste à côté de provisum pridem venenum, « poison prévu à l'avance «. Il veut insister et faire ressortir la mise en scène ratée de la mort de Sénèque, contrairement à celle de Socrate. L'historien n'a pas épargné le philosophe dès le début du texte (on l'a vu par l'évocation des vaines démarches pour mourir dignement). Pourtant il est évident que Sénèque a dû atrocement souffrir ; il s'est vu mourir doucement mais sûrement. Il a présagé de ses forces et de son courage (lui-même le savait au fond puisqu'il a demandé à son ami le poison que ce dernier avait emporté avec lui). Sénèque essaie ensuite de sauver les apparences en faisant une libation à Jupiter, addita voce libare se liquorem illum Jovi liberatori, à traduire par « déclarant d'une voix forte qu'il fait libation de ce liquide à Jupiter libérateur «. Mais Jupiter paraît sourd à ses prières ! Sa mort est donc loin d'être héroïque. La phrase d'enterrement est très courte, une seule ligne, par opposition à la longue description de son agonie, renforçant l'idée que cette cérémonie n'avait vraiment rien d'important. Il n'a d'ailleurs pas de funeris sollemni, « cérémonie funéraire officielle « et il est incinéré, crematur, sans l'obole traditionnelle (coutume qui consiste à placer une obole dans la bouche ou sur les yeux du mort), ce qui paraît assez improbable quand on connaît sa personnalité, contrairement à ce que rapporte Tacite. Car au fond, n'aurait- il pas préféré des funérailles nationales ? Est-ce Néron qui l'a interdit ? Sénèque en tout cas apparaît comme un homme avec ses qualités et ses faiblesses, car il est difficile de le blâmer d'avoir vacillé dans de telles circonstances. CCL : Rien n'a marché comme Sénèque l'avait prévu : rien ne va dans le sens de la grandeur de sa mort qu'il aurait voulu aussi admirable que celle de Socrate. Toutefois Sénèque apparaît ici comme un vieillard touchant malgré l'ironie et le parti pris de Tacite. Le philosophe a beau avoir longuement étudié la question de la mort, il n'en reste pas que, quand le moment fatidique arrive, son courage faiblit. Il n'arrive plus à concilier les préceptes stoïciens et la peur de voir la vie qui l'abandonne peu à peu. La mise en scène de sa mort est ratée, même s'il essaie de sauver les apparences en étant éloquent, comme à son habitude.

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