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Le musée est-il imaginaire ?

Publié le 29/03/2011

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   Expliquez, commentez et discutez ces lignes de Malraux (qui ouvrent les Voix du Silence) :    Un crucifix roman n'était pas d'abord une sculpture, ta Madone de Cimabue n'était pas d'abord un tableau, même la Pallas Athéné de Phidias n'était pas d'abord une statue.    Le rôle des musées dans notre relation avec les œuvres d'art est si grand que nous avons peine à penser qu'il n'en existe pas, qu'il n'en exista jamais, là où la civilisation de l'Europe moderne est ou fut inconnue : et qu'il en existe chez nous depuis moins de deux siècles. Le XIXe siècle a vécu d'eux; nous en vivons encore, et oublions qu'ils ont imposé au spectateur une relation toute nouvelle avec l'œuvre d'art. Ils ont contribué à délivrer de leur fonction les œuvres d'art qu'ils réunissaient ; à métamorphoser en tableaux jusqu'aux portraits '[...]. Jusqu'au XIXe siècle, toutes les œuvres d'art ont été l'image de quelque chose qui existait ou qui n'existait pas, avant d'être des œuvres d'art — et pour l'être [...]. Le musée supprima de presque tous les portraits (le fussent-ils d'un rêve) presque tous leurs modèles, en même temps qu'il arrachait leur fonction aux œuvres d'art.    L'œuvre d'art avait été liée, statue gothique à la cathédrale, tableau classique au décor de son époque; mais non à d'autres œuvres d'esprit différent, isolée d'elles au contraire, pour être goûtée davantage [...]. Le musée sépare l'œuvre du monde « profane « et la rapproche des œuvres opposées ou rivales. Il est une confrontation de métamorphoses.

« plus belle ».

C'est ainsi que le musée crée la notion de chef-d'œuvre, ou plus exactement la transforme.

Dans la conception traditionnelle, le chef-d'œuvre du portrait c'est le portrait le plus ressemblant.

Dans laconception nouvelle, le chef-d'œuvre du portrait c'est le tableau qui va le plus loin dans l'utilisation d'une technique,pour l'expression d'une vision du monde, sans que la ressemblance avec le modèle intervienne le moins du monde :ainsi, ce qui intéresse dans un portrait signé Rembrandt, c'est ce que voit et ce que fait Rembrandt, par là ce qu'ilexprime.

On peut faire la même remarque pour les paysages. Conséquence directe : les tableaux sont des métamorphoses en ce sens qu'ils sont des objets nouveaux, qui nedoivent plus rien à l'objet originel dont ils sont nés (ce que le musée juxtapose par exemple, ce ne sont pas deuxvues de la Grenouillère — une guinguette —, c'est un Monet et un Renoir; de même ce ne sont pas deux ponts, maisun Rembrandt et un Corot).

Mais l'expression de Malraux, « confronter des métamorphoses », peut aussi avoir unsecond sens : à l'intérieur de l'histoire de la peinture, il y a des évolutions de style à style, et le musée invite ouforce à raisonner en termes d'évolution des genres et des styles : des paysages de l'École de Barbizon aux paysagesimpressionnistes, des impressionnistes aux paysages de Marquet, il y a comme une évolution « autonome » de lapeinture.

On passe d'un monde d'expression à un autre, sans être renvoyé aux évolutions historiques, idéologiques,etc., qui pourraient expliquer cette évolution artistique.

Le musée est comme une certaine histoire littéraire, où lesgenres succèdent aux genres, comme par magie.

On entre ici dans la discussion : il y a succession, surprenante,envoûtante, des genres; il y a cassure; il n'y a plus d'art universel.

Mais comment et pourquoi? Deuxième partie Une première question se pose : le musée a imposé une nouvelle vision des choses; c'est vrai.

Mais n'est-ce pasaussi une nouvelle vision et une nouvelle pratique des choses qui a imposé le musée? Ici, on est à la fois dans leproblème du musée et au-delà.

Les philosophes diraient : en quoi et comment une institution, qui n'est pas tombéedu ciel, conditionne-t-elle en retour une vision du monde, alors qu'elle-même a déjà été conditionnée, alors qu'elle-même est déjà un produit.

C'est ce que Malraux ne dit pas assez clairement.

L'apparition des musées a changé notrevision de l'art.

Mais pourquoi y a-t-il eu des musées? 1) Musées et accumulation de l'histoire — Il y a eu des musées le jour où nombre d'objets d'art ont cessé d'avoir leur utilisation d'origine (culturelle oucivile), et où on a commencé à voir en eux des objets de valeur, des exemples, des leçons.

L'une des premièresformes du musée est la collection privée, le cabinet de l'amateur, puis la boutique du marchand de tableaux etd'objets d'art (voir certains tableaux hollandais, où le sujet est une collection de tableaux, ou l'Enseigne de Gersaintde Watteau).

Il semble clair que jouent ici concurremment la commercialisation et ce sentiment nouveau quis'appelle amour de Vart.

L'amateur est celui qui aime l'art indépendamment de son utilité originelle.

C'est aussi celuiqui a les moyens financiers de son goût.

Le musée n'est pas une invention intellectuelle; il ne résulte pas d'unedécision arbitraire, qu'on la considère comme positive ou négative. — A mesure que s'accumulent les objets d'art du passé, ils peuvent former soit un amoncellement anarchique, soitun tout cohérent et ordonné.

Dans le premier cas, on voit dans ce désordre une preuve du non-sens de l'histoire,bric-à-brac et cimetière de formes : voir le musée de la Peau de chagrin (le cabinet de l'antiquaire), où les objetsles plus hétéroclites voisinent, significativement, avec les chefs-d'œuvre.

Dans le second cas, on voit dans cetordre une preuve en faveur de l'esprit humain, qui a été capable de produire et qui est aujourd'hui capable de toutrevoir et de tout penser dans une perspective unifiante : voir, pour demeurer dans le même domaine littéraire, le «musée » de Pons, dans le Cousin Pons ; achetés à bas prix par un homme parfaitement étranger à l'argent, lesobjets d'art n'y ont de sens que pour leur qualité; ils constituent un envers de beauté à l'univers de laideur dumonde moderne.

Le jour où le musée de Pons devient, à la suite d'un coup de force, la propriété de ses parents,riches et égoïstes, les objets d'art ne sont plus que des valeurs marchandes, mortes, sans vie.

Le musée peut doncdire soit une civilisation vieillie, confrontée à son propre passé, vivant au milieu de vestiges, peu capable de créer, àson tour, de l'art et de la beauté, soit une civilisation majeure, qui prend en main son passé et y trouve des raisonsde croire en soi-même.

Le musée peut ainsi jouer soit un rôle désespérant (ces choses sans ordre, sans rapportavec nous, que l'on admire sur ordre, etc.), soit un rôle formateur (ces choses structurées par leur propre style etpar l'appropriation que nous en faisons).2) Musées et connaissance de l'art — Il n'est plus possible de lire l'art, même l'art contemporain, directement, sans passer par le musée.

Une sociétésans passé voit son art sans références à autre chose : c'est ainsi que l'Athénien du Ve siècle devait voir lessculptures de Phidias.

Aujourd'hui, un Picasso est inconsciemment confronté à d'autres peintures.

On peut voir làune perte regrettable de fraîcheur; on peut y voir aussi l'une des dimensions de la modernité, qu'on n'a pas à juger,mais à prendre en compte.

Qu'on le veuille ou non, c'est ainsi que nous percevons l'art.

Exemple : nous « regrettons» que les frises du Parthénon aient été placées si haut qu'on ne pouvait les détailler et les admirer en conséquence;nous les préférons à portée de vue, objets exposés, accessibles, lisibles, ayant pour fonction non de décorer unensemble immense de manière désintéressée mais ayant pour fonction d'être là, comme Homère est un livre dansune bibliothèque.

Ce que la conscience moderne cherche, finalement, au travers du musée, c'est à comprendre à lafois la spécificité du passé et son pouvoir de raccordement à notre vision du réel.

Le texte de Malraux ne dit passuffisamment que cette lecture moderne de l'art est le produit direct de l'évolution historique et que, comme tout. »

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