MUSSET: Lorenzaccio (Fiche de lecture)

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LE PARADOXE DU HÉROS Le premier paradoxe du personnage, c'est son nom.

Voici en effet un héros dont le prénom, Lorenzo, est affublé d'unsuffixe péjoratif en italien, -accio (prononcer [-atchio]).

Ce choix indique que cet héroïsme s'accompagne de quelque chose de négatif, de trouble et d'ambigu.

Ce surnom n'est d'ailleurs pas le seul dont Lorenzo de Médicis,cousin du duc Alexandre, se voit gratifié : il est tour à tour Lorenzino, diminutif affectueux, Renzo, Renzino,marquant une nuance amicale, Lorenzaccio ou Renzanaccio et enfin, sobriquet infamant, Lorenzetta.

Ces diminutifsfont varier l'identité du personnage selon le point de vue d'où il est regardé.

Le héros du drame apparaît comme unêtre bien différent du héros classique, coulé d'un seul bloc dans une vertu infaillible. L'ambiguïté est d'ailleurs la stratégie qui permet au favori du duc d'assassiner ce dernier.

Pendant toute la premièrepartie de la pièce, Lorenzaccio apparaît digne de son méprisant surnom.

Il est le pourvoyeur des plaisirs de sonmaître, le bouffon familier, le lâche que la vue d'une épée fait s'évanouir.

Il sert même d'espion au duc, qui dit de lui: «Tout ce que je sais de ces damnés bannis, de ces républicains entêtés qui complotent contre moi, c'est parLorenzo que je le sais.

Il est glissant comme une anguille, il se fourre partout et me dit tout.» Ce «lendemain d'orgie ambulant», selon les mots d'Alexandre de Médicis, semble donc tout à fait inoffensif.

Petit àpetit, néanmoins, le doute s'insinue, et le personnage dévoile sa véritable personnalité.

Ultime ambiguïté dupersonnage, son acte héroïque se révèle totalement inutile.

Ce geste raté fait de Lorenzaccio le héros romantiquepar excellence.

Il incarne en effet une génération qui ne croit plus à l'engagement politique ni au progrès del'humanité.

Broyé par un destin aveugle, le héros romantique découvre l'absurdité, cruelle et dérisoire, de lacondition humaine. 3.

UNE NOUVELLE Esthétique THÉÂTRALE Lorenzaccio est l'expression la plus aboutie de ce que l'on a appelé «le drame romantique».

Contre le théâtre classique, et sous l'influence de l'oeuvre de Shakespeare, Victor Hugo a jeté les bases d'une véritable révolutionthéâtrale dans la célèbre préface qu'il rédige en 1827 pour son drame Cromwell.

Il y récuse le carcan des règles héritées du XVIIe siècle, et en particulier il refuse celle des «trois unités» : de lieu, de temps et d'action.

Musset àson tour en fait fi.

Lorenzaccio est constitué de plusieurs actions, parallèles.

L'intrigue politique se mêle aux intrigues galantes du duc, avec la marquise Cibo puis avec Catherine, la jeune tante de Lorenzo.

L'action est àplusieurs reprises interrompue par des digressions : dialogue des marchands (Acte I, scène 2) ou rencontre deLorenzo avec le peintre Tebaldeo, prétexte à une longue discussion sur l'art (Acte II, scène 2).

Cette multiplicationdes centres d'intérêt va de pair avec la diversité des lieux de l'action et l'étirement temporel.

On passe d'une rue deFlorence aux salons du palais ducal, de la chambre de Lorenzo à une église, de Florence à Venise. À la suite de Victor Hugo, Musset a voulu faire éclater les limites trop contraignantes du théâtretraditionnel.

Il n'a pas reculé devant le mélange des tons, qui avait été banni de la tragédie classique aunom des bienséances.

Les bouffonneries de Lorenzo s' opposent à la gravité solennelle de Philippe Strozzi,la verdeur des marchands contraste avec la poétique fantaisie de certaines tirades de Lorenzo, celle, parexemple, où il s'interroge sur la nature du langage : «on tourne une grande période autour d'un beau petit mot, pas trop court ni trop long, et rondcomme une toupie [...]» (Acte II, scène 4) Ainsi, Lorenzaccio répond pleinement à la revendication de liberté qui animait les romantiques.. »