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Le mystère du théâtre.

Publié le 23/04/2011

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   ... En vérité, il n'y a pas de théâtre sans incarnation. Ce n'est pas le moindre charme des personnages de théâtre que de les savoir capables d'incarnations successives. Sans doute en est-il de même des personnages de roman : chaque lecteur les recrée pour son propre compte, et l'on peut affirmer qu'il existe autant d'Emma Bovary que d'hommes et de femmes qui ont lu Flaubert. Mais tandis que ce mystère, dans le roman, demeure incommunicable et secret, c'est le but du théâtre que de l'offrir sur un a plateau « et que de le faire éclater aux regards.    A ce signe vous reconnaîtrez un chef-d'œuvre dramatique : c'est qu'aucune interprétation ne l'épuisé jamais. Lucien Guitry, avant de mourir (que n'y ai-je assisté!), nous proposait un nouveau Tartuffe. Phèdre demeure le moins défloré des rôles et, après deux siècles et demi, le plus chargé d'inconnu. Eternelle jeunesse de Phèdre ! Que de secrets elle recèle encore!    De Max lui-même, d'un art si contestable, imagina un Néron à mille lieues de tous ceux que la Comédie-Française avait vus depuis qu'elle existe : un adolescent flétri, tour à tour caressant et furieux, aussi vrai que tous les autres et que nous ne pourrons plus oublier. Et il en existe beaucoup d'autres encore! Créer des êtres, comme l'on fait Racine et Shakespeare, c'est créer des mondes dont l'exploration ne finira jamais.    Un grand auteur dramatique est un poète qui fournit aux metteurs en scène et aux acteurs de tous les temps une possibilité indéfinie de création. Si Polyeucte, Athalie, Bérénice et Hamlet ne pouvaient plus qu'être affaiblis par la représentation théâtrale, Corneille, Racine et Shakespeare ne seraient plus Corneille, Racine et Shakespeare, mais des auteurs de troisième ordre. D'ailleurs, vous avouerai-je que pour le premier de ces Messieurs, son Polyeucte me parait seul digne d'être mis au rang de ces pièces d'une jeunesse éternellement renouvelée? Et c'est pourquoi, de toutes les autres, d'Horace et de Cinna, on pourrait dire avec vous (et cette fois, j'y applaudirais) que « leur forme seule nous demeure présente et garde un pouvoir sur notre esprit... « Voilà justement ce qui distingue ces drames des chefs-d'œuvre de Racine : ils sont inhumains — il suffit de les lire.    Nous avons donc besoin d'acteurs et de grands acteurs, de metteurs en scène et de grands metteurs en scène, pour que l'incarnation indéfinie des héros et des héroïnes classiques (et des modernes aussi!) ne soit pas interrompue. Ayons le courage de l'écrire : le crime inexpiable du cinéma, c'est d'accaparer et de tuer les acteurs. La disparition soudaine des grands acteurs coïncide avec le règne de l'écran, cela saute aux yeux. Ce malheur n'en est pas un en Amérique dont les habitants n'ont pas notre sublime héritage à défendre, et où le cinéma occupe légitimement une place que chez nous il a usurpée. Mais en France, comment nier que sur un point essentiel, il précipite notre décadence et hâte la fin de cet art théâtral où nous étions les maîtres de l'Europe et qui ne trouve plus de spectateurs ?    François Mauriac, Journal II.    A votre choix, faites un résumé ou une analyse de ce texte. Dégagez ensuite un problème auquel vous attachez un intérêt particulier : précisez-en les données, discutez-les s'il y a lieu et exposez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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