Est-il naturel de parler ?
Publié le 26/01/2004
Extrait du document
«
compte ils en auraient plus qu'aucun de [189] nous et feraient mieux en toute autre chose; mais plutôt qu'ils n'enont point, et que c'est la nature qui agit en eux selon la disposition de leurs organes : ainsi qu'on voit qu'un horloge,qui n'est composé que de roues et de ressorts, peut compter les heures et mesurer le temps plus justement quenous avec toute notre prudence.
»
b) Parler n'est pas simplement communiquer
Nous avons défini la parole humaine comme étant la formulation d'un langage, et ce dernier comme l'expression d'unepensée.
Toutefois, la parole n'est pas simplement une communication.
Rousseau, Essai sur l'origine des langues , GF Flammarion, p.59.
« [...] L'invention de l'art de communiquer dépend moins des organes qui nous servent à cettecommunication que d'une faculté propre à l'homme qui lui fait employer ses organes à cet usage, et qui, si ceux-làlui manquaient, lui en ferait employer d'autres à la même fin.
Donnez à l'homme une organisation tout aussi grossièrequ'il vous plaira : sans doute il acquerra moins d'idées ; mais pourvu seulement qu'il y ait entre lui et ses semblablesquelque moyen de communication par lequel l'un puisse agir et l'autre sentir, ils parviendront à se communiquer enfintout autant d'idées qu'ils en auront.
Les animaux ont pour cette communication une organisation plus que suffisante, et jamais aucun d'eux n'ena fait usage.
Voilà, ce me semble, une différence bien caractéristique.
Ceux d'entre eux qui travaillent et vivent encommun, les castors, les fourmis, les abeilles, ont quelque langue naturelle pour s'entrecommuniquer, je n'en faisaucun doute.
Il y a même mieux de croire que la langue des castors et celles des fourmis sont dans le geste etparlent seulement aux yeux.
Quoi qu'il en soit par cela même que les unes et les autres de ces langues sontnaturelles, elles ne sont pas acquises ; les animaux qui les parlent les ont en naissant ; ils les ont tous, et partout lamême ; ils n'en changent point, ils n'y font pas le moindre progrès.
La langue de convention n'appartient à l'homme.Voilà pourquoi l'homme fait des progrès, soit en bien, soit en mal, et pourquoi les animaux n'en font point.
»
TRANSITION : Le point de vue de Rousseau nous permet de supposer que la communication animale est naturelle, alors que le langage humain est conventionnel.
De plus on comprend avec Descartes que le langage de l'homme a dusens, et qu'il n'est donné à l'homme de parler que parce qu'il pense.
Toutefois, on a rappelé d'une part que la parole n'est pas exactement le langage.
D'autre part, si la parole a pourcondition la pensée, il n'en reste pas moins que l'on peut penser sans posséder la parole.
L'une et l'autre ne sontpas substituables.
Par ailleurs, si l'on accorde que c'est la pensée qui rend possible le langage, ne peut-on pas en déduire que la paroleest naturelle à l'homme dans le sens où il est naturel à l'homme de penser ?
Deuxième partie : Comme le langage, la parole est culturelle
a) le langage est le signe de la culture
Dans cet extrait, Claude Lévi-Strauss donne des arguments forts pour justifier que la langage est le critère de laculture – et ainsi qu'il est ce qui nous distingue de la nature.
Charbonnier, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss , Ed.
10/18, p.182.
Georges CHARBONNIER.
- Quel est le signe que l'on admet comme représentatif de la culture ? Le signe le plus humble ?
Claude LEVI-STRAUSS.
– Pendant très longtemps, on a pensé et beaucoup d'ethnologues pensent peut-être encoreque c'est l'homme comme homo faber , fabricateur d'outil, en voyant dans ce caractère la marque même de la culture.
J'avoue que je ne suis pas d'accord et que l'un de mes buts essentiels a toujours été de placer la ligne dedémarcation entre culture et nature, non dans l'outillage, mais dans le langage articulé.
C'est là vraiment que le sautse fait ; supposez que nous rencontrions, sur une planète inconnue, des êtres vivants qui fabriquent des outils,nous ne serions pas sûr pour autant qu'ils relèvent de l'ordre de l'humanité.
En vérité, nous en rencontrons sur notreglobe, puisque certains animaux sont capables, jusqu'à un certain point de fabriquer des outils ou des ébauchesd'outils.
Pourtant, nous ne croyons pas qu'ils aient accomplis le passage de la nature à la culture.
[...] Je pense que tout problème est de langage.
Le langage m'apparaît comme le fait culturel par excellence, et cela à plusieurs titres ; d'abord parce que le langage est une partie de la culture, l'une de ces aptitude ouhabitude que nous recevons de la tradition externe ; en second lieu, parce que le langage est l'instrument essentiel,le moyen privilégié par lequel nous nous assimilons la culture de notre groupe...
Un enfant apprend sa culture parcequ'on lui parle ; on le réprimande, on l'exhorte, et tout cela se fait avec des mots ; en fin et surtout, parce que lelangage est la plus parfaite de toute les manifestations d'ordre culturel qui forment, à un titre ou à l'autre, dessystèmes, et si nous voulons comprendre ce que c'est que l'art, la religion, le droit, peut-être même la cuisine où lesrègles de politesse, il faut les concevoir comme des codes formés par l'articulation de signes, sur le modèle de lacommunication linguistique.
».
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