Nerval: Aurélia (Fiche de lecture)

« dire le journal de bord d'une lente dérive dans la folie, et un voyage initiatique aux confins del'inconscient. 2.

LA MÉDIATRICE La figure féminine d'Aurélia fait le lien entre ces deux aspects du texte.

Elle incarne l'amour perdu dupoète, sa mère jamais vue et Jenny Colon, dans une synthèse qui est propre à l'imaginaire nervalien. Elle appartient donc à la part d'autobiographie dont le texte est constitué.

Mais elle est aussi une pureprojection mentale, qui devient un véritable mythe dont les métamorphoses épousent la progression del'oeuvre.

Aurélia est le point de départ de la quête qui oriente le déroulement du récit.

D'emblée, elle estperdue, telle Eurydice, invoquée en exergue à la seconde partie du livre : «Une dame que j'avais aimée longtemps et que j'appellerai du nom d'Aurélia, était perdue pour moi.» À cette perte, ressentie comme le châtiment d'une «faute» mystérieuse, se rattache l'expérience de la folie.

Lapremière crise survient peu de temps après que Nerval a eu le pressentiment de la mort de sa bien-aimée : «Je vis devant moi une femme au teint blême, aux yeux caves qui me semblait avoir les traits d'Aurélia.

Je medis : "C'est sa mort ou la mienne qui m'est annoncée !"» À la mort d'Aurélia correspond pour le poète cette «mort sociale» qu'est la folie.

«Le soir, lorsque l'heure fatalesemblait s'approcher, je dissertais avec deux amis [...] L'un d'eux, nommé Paul, voulut me reconduire chez moi,mais je lui dis que je ne rentrais pas.

"Où vas-tu, me dit-il.

— Vers l'Orient !"» Ces derniers mots, écrits en italique dans le texte de Nerval, sont l'une des clefs d'Aurélia.

L'Orient est l'un des pôles magnétiques qui aimante le voyage initiatique.

Le petit coffret dans lequel le narrateur conserve la dernière lettre desa bien-aimée est aussi «une sorte de reliquaire qui [lui] rappelait de longs voyages où sa pensée M'avait suivi» : «une rose cueillie dans les jardins de Sohoubrah, un morceau de bandelette rapportée d'Égypte, des feuilles delaurier cueillies dans la rivière de Beyrouth, deux petits cristaux dorés de Sainte-Sophie...» Ces fragments d'Orient sont intimement liés à la figure d'Aurélia, qui est aussi Isis, la déesse égyptienne ressuscitantle corps de son époux Osiris dépecé par son frère. Telle est la mission du poète : unir les fragments épars des antiques croyances et les amalgamer dans unsyncrétisme dont Aurélia est l'emblème.

Lors de l'apothéose finale, lorsque s'ouvrent enfin les portes de nacre de la«Jérusalem nouvelle», le Messie chevauche aux côtés du poète et de son amie qui «faisait voler dans l'air sa longuechevelure imprégnée des parfums de l'Yémen» : «Le cor enchanté d'Adonis résonnait à travers les bois» et «l'arc de lumière éclatait dans les mains divines d'Apollon». Voici réconciliées toutes les religions, voici unis dans un même élan le christianisme, la mythologie grecque et cetOrient fabuleux dont les parfums ruissellent sur le front de la médiatrice, Aurélia.

Elle apparaît, dans «un costumepresque indien», et sous ses pas le monde ressuscite dans une jeunesse éternelle : «Les prés verdissaient, et les feuillages s'élevaient de terre.» À l'appel désespéré du temps des épreuves, «Eurydice ! Eurydice !», répond ce cri de triomphe : «Ô mort ! où est ta victoire ?» Tel Orphée, le poète peut désormais être «l'interprète sublime» de l'harmonie universelle, guidé par Aurélia : il a«deux fois vainqueur traversé l'Achéron» (Les Chimères, «El Desdichado»).. »