Devoir de Philosophie

NIETZSCHE — LE SURHUMAIN

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

nietzsche
Lorsque Zarathoustra arriva à la ville voisine qui se trouvait le plus près des bois, il y vit une grande foule rassemblée sur la place publique : car on avait annoncé qu'un danseur de corde allait se montrer. Et Zarathoustra parla au peuple et lui dit: Je vous enseigne le surhumain. L'homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu'avez-vous fait pour le surmonter ? Tous les êtres jusqu'à présent ont créé quelque chose au-dessus d'eux, et vous voulez être le reflux de ce grand flot et plutôt retourner à la bête que de surmonter l'homme ? Qu'est le singe pour l'homme ? Une dérision ou une honte douloureuse. Et c'est ce que doit être l'homme pour le surhumain : une dérision ou une honte douloureuse. Vous avez tracé le chemin qui va du ver jusqu'à l'homme et il vous est resté beaucoup du ver de terre. Autrefois vous étiez singe, et maintenant encore l'homme est plus singe qu'un singe. Mais le plus sage d'entre vous n'est lui-même qu'une chose disparate, hybride fait d'une plante et d'un fantôme. Cependant vous ai-je dit de devenir fantôme ou plante? Voici, je vous enseigne le Surhumain ! Le Surhumain est le sens de la terre. Que votre volonté dise : Que le Surhumain soit le sens de la terre. Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui vous parlent d'espoirs supraterrestres ! Ce sont des empoisonneurs, qu'ils le sachent ou non. Ce sont des contempteurs de la vie, des moribonds et des empoisonnés eux-mêmes, de ceux dont la terre est fatiguée : qu'ils s'en aillent donc ! Autrefois le blasphème envers Dieu était le plus grand blasphème, mais Dieu est mort et avec lui sont morts les blasphémateurs. Ce qu'il y a de plus terrible maintenant, c'est de blasphémer la terre et d'estimer les entrailles de l'impénétrable plus que le sens de la terre ! Zarathoustra, cependant, regardait le peuple et s'étonnait. Puis il dit : L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain, une corde sur l'abîme. Il est dangereux de passer de l'autre côté, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière — frisson et arrêt dangereux. Ce qu'il y a de grand dans l'homme, c'est qu'il est un pont et non un but : ce que l'on peut aimer en l'homme, c'est qu'il est un passage et un déclin. J'aime ceux qui ne savent vivre autrement que pour disparaître, car ils passent au-delà. J'aime les grands contempteurs, parce qu'ils sont de grands orateurs, les flèches du désir vers l'autre rive. J'aime ceux qui ne cherchent pas, derrière les étoiles, une raison pour périr ou pour s'offrir en sacrifice; mais ceux qui se sacrifient à la terre, pour qu'un jour la terre appartienne au Surhumain. J'aime celui qui vit pour connaître, afin qu'un jour vive le Surhumain. Car c'est ainsi qu'il veut son propre déclin. «Tu ne déroberas point ! Tu ne tueras point !» Ces paroles étaient appelées saintes jadis : devant elles on courbait les genoux et l'on baissait la tête, et l'on ôtait ses souliers. Mais je vous demande : où y eut-il jamais de meilleurs brigands et meilleurs assassins dans le monde, que les brigands et les assassins provoqués par ces saintes paroles? N'y a-t-il pas dans la vie elle-même le vol et. l'assassinat ? Et, en sanctifiant ces paroles, n'a-t-on pas assassiné la vérité elle-même ? Ou bien est-ce prêcher la mort que de sanctifier tout ce qui contredisait et déconseillait la vie ? — 0 mes frères, brisez, brisez-moi ces vieilles tables [ Pourquoi si dur ? — dit un jour au diamant le charbon de cuisine; ne sommes-nous pas proches parents ? Pourquoi si mous ? ô mes frères, je vous le demande : n'êtes-vous donc pas mes frères ? Pourquoi si mous, si fléchissants, si mollissants ? Pourquoi y a-t-il tant de reniement, tant d'abnégation dans votre coeur ? si peu de destinée dans votre regard ? Et si vous ne voulez pas être des destinés, des inexorables : comment pourriez-vous un jour vaincre avec moi ? Et si votre dureté ne veut pas étinceler, et trancher, et inciser : comment pourriez-vous un jour créer avec moi ? Car les créateurs sont durs. Et cela doit vous sembler béatitude d'empreindre votre main en des siècles, comme en de la cire molle. — béatitude d'écrire sur la volonté des millénaires, comme sur de l'airain. — plus dur que de l'airain, plus noble que de l'airain. Le plus dur est le plus noble. 0 mes frères, je place au-dessus de vous cette table nouvelle : DEVENEZ DURS! (Ainsi parlait Zarathoustra).

Liens utiles