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Nos consciences sont-elles solitaires ou solidaires ?

Publié le 19/03/2004

Extrait du document

Je suis moi, et nul autre ne saurait avoir ce privilège. Si j'éprouve tant de difficultés à me faire comprendre, c'est que j'ai l'évidence d'être seul à ressentir le chagrin qui est le mien à cet instant et dans cette tonalité précise. Les Anciens disaient que l'individu était « ineffable »; inutile, par conséquent, de songer à exprimer par des mots une réalité qui, dans son fond ultime, nous demeure fermée.La littérature existentialiste exploite à plaisir ce thème. L'homme tente de s'approcher d'autrui, de pénétrer son « mystère ». Il n'aboutit qu'à «tuer» ce qu'il veut connaître, qu'à le réduire à la fixité d'un objet et à l'hostilité d'un ennemi. Ce tourment et cet échec, J.-P. SARTRE les a décrits dans Huis clos. « L'enfer, dit un de ses personnages, c'est les autres.

« dépendance étroite, une solidarité nécessaire avec autrui.

Voilà pour le domaine directement psychologique.L'activité morale va nous offrir un champ d'exploration encore plus précieux. II.

— POINT DE VUE MORAL. A.

Comment, ici aussi, ne pas rencontrer au premier abord la solitude ?La vie morale est affaire strictement personnelle.

C'est moi qui dois agir, et mon voisin ne peut me remplacer.

Ledevoir, l'obligation, s'adressent à chacun.

Le refus, la lâcheté, seraient encore une prise de position.

Sans doute ya-t-il des « normes générales de la moralité »; sans doute existe-t-il des combinaisons subtiles de lois objectivesservant à circonscrire des cas concrets; mais nul ne peut juger entièrement pour moi ! Nul ne peut apprécier telmotif secret appartenant à ma conscience, ni peser ma véritable intention.Parfois, ma liberté me charge tragiquement.

J'aimerais mieux, à ces heures, être pressé par une autorité extérieure,voire contraint par un déterminisme qui sauverait au moins ma paix.

Mais non, c'est à moi de décider.

Un ami peutme conseiller, m'encourager, me montrer que mon parti est raisonnable; je reste seul capable d'endosser maresponsabilité.

S'agit-il d'un acte qui engage ma vie, ma destinée ou celle d'autres personnes humaines, comme jeme sens petit, faible, seul ! Mais, en revanche, quels ne sont pas mon mérite, ma fierté, d'être la cause du succèset du bonheur qui suivent ma décision !La conscience morale est le partage le plus intangible de notre personnalité, de notre « ipséité ».

Plût au ciel que leshommes s'en souviennent, au lieu de fuir les responsabilités et de refuser l'engagement ! B.

Il reste toutefois que, d'un autre point de vue, nos consciences ne sont pas solitaires.

Nous venons de parler de« responsabilité » et d' « engagement»; mais n'est-on pas responsable vis-à-vis de quelqu'un ? Ne s'engage-t-onpas au service d'un autre que soi ? L'obligation morale s'entend de nos rapports avec autrui, qu'il s'agissedirectement de Dieu ou des hommes.

Je fais partie de ce qu'on nomme la « communauté des consciences ».

Cetteappartenance se vérifie à n'importe quel étage : politique,économique, professionnel ou familial...

Pourquoi les crimes commis contre a « dignité de la personne humaine »couvrent-ils de honte, non seulement leurs auteurs, mais encore les Etats auxquels ces derniers appartiennent ?Pourquoi protester contre la condamnation d'un innocent dont on n'est pas le compatriote ?C'est qu'il y a des liens communs à toutes les consciences humaines dignes de ce nom.

Il y a des valeurs quidépassent les frontières géographiques autant que les limites de l'individualité.

Certaines de ces valeurs se révèlentparticulièrement aptes à créer entre les consciences une véritable solidarité; par exemple, le sacrifice et l'amour.

Ilserait impossible à l'homme de perdre ce qui constitue sa tranquillité, son bonheur ou sa vie, en vue du serviced'autrui, si sa conviction d'être utile n'avait pas un fondement dans la réalité.

Un amour ne se rencontrerait jamais sila mystérieuse communion qu'il suppose avec une autre âme n'était qu'illusion. Pour être juste à l'égard de l'existentialisme, il nous faut reconnaître qu'il se fait souvent l'apôtre de cetteauthentique communication avec autrui.

Il nous demande même de ne pas rester à la superficie des « phénomènes», mais de pénétrer dans le « mystère ontologique », ou tout au moins de savoir que là seulement se réalisé la «Communication ».

« Ce que je suis, écrit JASPERS, je n'en prends pas conscience comme être isolé...

Jem'expérimente dans la communication.

Que je sois moi-même, cela ne m'est jamais plus certain que quand je suis enpleine disponibilité (Bereitschaft) envers l'autre, en sorte que je deviens moi-même pendant que, dans une lutterévélatrice, l'autre aussi devient lui-même.»La solidarité des consciences se fonde sur leur solidarité dans l'existence même.

On pourrait encore évoquer ledogme de la « Communion des Saints » qui affirme la communication des mérites- surnaturels.

Par la Grâce, le fidèleatteint autrui dans ce qu'il a de plus grand : sa participation à la vie divine. Mesurons, en deux mots le chemin parcouru.

Sur le plan de la conscience morale, nous avons trouvé deux réponsesidentiques' à celles qui terminaient notre examen psychologique : nos consciences sont solitaires, et elles sontsolidaires, mais à des points de vue différents.

En prenant conscience de moi, je me sens solitaire, mais cette prisede conscience n'est possible que grâce à la solidarité qui me lie à autrui.

En expérimentant ma liberté, je m'apparaissouverainement autonome, mais l'engagement moral me relie à d'autres consciences envers lesquelles je suis obligé.Cette antinomie n'est pas une contradiction, c'est elle qui me constitue comme conscience et comme personne.. »

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