De l'observation psychologique. Difficultés de cette observation. Comment peut-on remédier à ces difficultés ?

« contente pas de raconter les faits accomplis par les hommes, elle veut aussi les rapporter à leurs cluses, et ellecherche ces causes dans les vertus et les vices des hommes, dans l'emploi qu'ils font de leur liberté; l'historien nousfait donc connaître l'âme humaine, ses passions bonnes et mauvaises, les idées et les motifs qui dirigent etsollicitent sa volonté.

C'est ainsi que Montesquieu explique la grandeur des Romains par leurs vertus et leurdécadence par les vices qui minaient cette société corrompue; de même, les victoires remportées par le petit peuplegrec sur le puissant empire des Perses s'expliquent par l'énergique élan d'âmes éprises de tout ce qui était grand etbeau.

L'historien vient donc en aide au psychologue; mais les philosophes surtout peuvent, au moyen de leursécrits, nous aider à nous connaître nous-mêmes.

Ils se sont consacrés par vocation à l'étude du monde interne,comme d'autres ont cédé à leur penchant quand ils se sont mis à étudier les phénomènes matériels ; ils ont prisplaisir à analyser les faits intérieurs, comme l'astronome aime à suivre les astres dans leur marche, comme lebotaniste se plaît à étudier la constitution des végétaux ; et quelques-uns de ces philosophes ont porté dans cetteétude une merveilleuse sagacité.

Les moralistes peuvent également nous aider à connaître notre coeur; car euxaussi, par vocation, veulent, comme les philosophes, étudier l'âme humaine, avec cette différence que le philosopheétudie l'âme de tous les temps, de tous les pays, tandis que le moraliste, comme La Bruyère, ne veut que peindrel'homme d'une certaine époque; mais, si différentes que soient les moeurs et les coutumes des hommes aux diversesépoques de l'histoire de l'humanité, au fond les passions humaines restent toujours à peu près les mêmes; de là cemerveilleux intérêt que présentent les ouvrages de certains moralistes ; ainsi Montaigne, ne voulant dévoiler que sonâme dans ses Essais, a fait de cette étude psychologique individuelle une confession générale où tous les hommespeuvent se reconnaître.

Enfin, les oeuvres des poètes eux-mêmes nous fournissent des renseignementsintéressants, puisque la véritable poésie est l'expression fidèle, quoique embellie, des émotions de l'âme.

Et cela estvrai surtout des poètes dramatiques, qui, par les conditions mêmes où ils se trouvent placés, sont obligés dereprésenter les passions qui agitent tous les hommes, les vices et les travers que l'on trouve le plus souvent parmieux ; telle est la source du plaisir que nous goûtons à la représentation ou à la lecture des oeuvres de Corneille, deRacine et de Molière.

Révéler l'homme à lui-même par la création de caractères où il se reconnaît, par la peinturevivante de ses sentiments, de ses passions, de ses pensées, c'est ce que fait la poésie dramatique, et en le faisantelle lève un coin de voile qui nous dérobe à nos propres yeux. Résumé et conclusion.

— Ainsi la méthode psychologique consiste dans l'observation des faits internes au moyen dela conscience; cette observation est possible, c'est ce que démontre l'expérience journalière et ce que démontreaussi le succès avec lequel de grands philosophes ont tenté l'analyse de la pensée.

L'homme peut assister auspectacle de la vie intérieure aussi sûrement qu'à celui de la vie physique ; et, si l'observation des faits internesprésente certaines difficultés, on peut y remédier par l'attention, par une préoccupation plus constante des chosesde l'âme, par l'expérience et les travaux des autres hommes, c'est-à-dire par l'étude de l'histoire, des écrits desphilosophes, des moralistes, des poètes, et surtout des poètes dramatiques.L'observation psychologique n'a pas seulement pour résultat la satisfaction légitime de notre besoin de connaître;elle nous permet encore de mieux diriger notre vie ; car l'homme qui se connaît sait ce qu'il peut faire et en mêmetemps ce qui est au-dessus de sa portée; il connaît ses infirmités, ce qui lui permet de les corriger; il connaît aussisa grandeur, dont le sentiment le préserve des défaillances ; enfin avec sa nature il connaît ses devoirs, science quiimporte autant à son bonheur qu'à sa moralité.. »