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L'OCCASIONNALISME (Entretien VII) - Malebranche

Publié le 06/02/2011

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malebranche

Or Dieu ne peut concevoir, ni par conséquent vouloir qu'un corps ne soit nulle part, ou qu'il n'ait avec les autres certains rapports de distance. Dieu ne peut donc vouloir que ce fauteuil existe, et par cette volonté le créer ou le conserver, qu'il ne le place, là ou là, ou ailleurs. Donc il y a contradiction que vous puissiez remuer votre fauteuil. Ce n'est pas assez, il y a contradiction que tous les anges et les Démons joints ensemble puissent ébranler un fétu. La démonstration en est claire. Car nulle puissance, quelque grande qu'on l'imagine, ne peut surmonter ni même égaler celle de Dieu. Or il y a contradiction que Dieu veuille que ce fauteuil soit, qu'il veuille qu'il soit quelque part, et que par l'efficace de sa volonté il ne l'y mette, il ne l'y conserve, il ne l'y crée. Donc nulle puissance ne peut le transporter où Dieu ne le transporte pas, ni le fixer ou l'arrêter où Dieu ne l'arrête pas, si ce n'est que Dieu accommode l'efficace de son action à l'action inefficace de ses créatures. C'est ce qu'il faut vous expliquer, pour accorder la raison avec l'expérience, et pour vous donner l'intelligence du plus grand, du plus fécond, et du plus nécessaire de tous les principes, qui est : Que Dieu ne communique sa puissance aux créatures, et ne les unit entre elles, que parce qu'il établit leurs modalités causes occasionnelles des effets qu'il produit lui-même ; causes occasionnelles, dis-je, qui déterminent l'efficace de ses volontés, en conséquence des lois générales qu'il s'est prescrit, pour faire porter à sa conduite le caractère de ses attributs, et répandre dans son ouvrage l'uniformité d'action nécessaire, pour en lier ensemble toutes les parties qui le composent, et pour le tirer de la confusion et de l'irrégularité d'une espèce de chaos, où les esprits ne pourroient jamais rien comprendre. Je vous dis ceci, mon cher Ariste, pour vous donner de l'ardeur et réveiller votre attention. Car comme ce que je viens de vous dire du mouvement et du repos de la matière pourroit bien vous paroitre peu de chose, vous croiriez peut-être que des principes si petits et si simples ne pourroient pas vous conduire à ces grandes et importantes vérités que vous avez déjà entrevues, et sur lesquelles est appuyé, presque tout ce que je vous ai dit jusqu'ici.    Ariste : Ne craignez point Théodore, que je vous perde de vue. Je vous suis, ce me semble, d'assez près ; et vous me charmez de manière qu'il me semble qu'on me transporte. Courage donc. Je saurai bien vous arrêter si vous passez trop légèrement par dessus quelques endroits trop difficiles et trop périlleux pour moi.    THEODORE : Supposons donc, Ariste, que Dieu veuille qu'il y ait sur ce plancher un tel corps, une boule par exemple. Aussitôt la voilà faite. Rien n'est plus mobile qu'une sphère sur un plan : mais toutes les puissances imaginables ne pourront l'ébranler, si Dieu ne s'en mêle. Car, encore un coup, tant que Dieu voudra créer, ou conserver cette boule au point A, ou à tel autre qu'il vous plaira (et c'est une nécessité qu'il la mette quelque part) nulle force ne pourra l'en faire sortir. Ne l'oubliez pas, c'est là le principe.    ariste : Je tiens ce principe. Il n'y a que le Créateur qui puisse être le moteur ; que celui qui donne l'être aux corps, qui puisse les placer dans les endroits qu'ils occupent.    theodore : Fort bien. La force mouvante d'un corps n'est donc que l'efficace de la volonté de Dieu, qui le conserve successivement en différents lieux. Cela supposé, concevons que cette boule soit mue, et que dans la ligne de son mouvement elle en rencontre une autre en repos : l'expérience nous apprend que cette autre sera remuée immanquablement, et selon certaines proportions toujours exactement observées. Or ce n'est point la première qui meut la seconde. Cela est clair par le principe. Car un corps n'en peut mouvoir un autre sans lui communiquer de sa force mouvante. Or la force mouvante d'un corps mû, n'est que la volonté du Créateur qui le conserve successivement en différents lieux. Ce n'est point une qualité qui appartienne à ce corps. Rien ne lui appartient que ses modalités ; et les modalités sont inséparables des substances. Donc les corps ne peuvent se mouvoir les uns les autres, et leur rencontre, ou leur choc, est seulement une cause occasionnelle de la distribution de leur mouvement. Car étant impénétrables, c'est une espèce de nécessité que Dieu, que je suppose agir toujours avec la même efficace, ou la même quantité de force mouvante, répande pour ainsi dire dans le corps choqué la force mouvante de celui qui le choque, et cela à proportion de la grandeur du choc : mais selon cette loi, lorsqu'ils se choquent tous deux, que le plus fort, ou celui qui est transporté avec une plus grande force mouvante doit vaincre le plus faible, et le faire rejaillir sans rien recevoir de lui. Je dis sans rien recevoir du plus faible. Car un corps parfaitement dur, tel que je le suppose, ne peut pas recevoir en même temps deux impressions ou deux mouvements contraires dans les parties dont il est composé.    Cela ne peut arriver que dans les corps ou mous ou qui font ressort. Mais il est inutile d'entrer présentement dans le détail des lois du mouvement. Il suffit que vous sachiez que les corps ne peuvent se mouvoir eux-mêmes, ni ceux qu'ils rencontrent, ce que la Raison vient de nous découvrir ; et qu'il y a certaines lois selon lesquelles Dieu les meut immanquablement, ce que nous apprenons de l'expérience.

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