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L'oeuvre d'art a-t-elle une fonction ?

Publié le 11/02/2004

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Elle est foncièrement critique, on l'a dit : elle se situe en opposition constante avec les valeurs en cours de la société. La fonction de l'art est donc de remettre en cause les croyances courantes, en se maintenant constamment à la frontière de la société, critiquant ses idées par un mouvement d'élévation, de désintérêt qui n'est que l'expression d'une critique très profonde. Cette hauteur d'humeur de l'oeuvre d'art, cette gaieté, pour Nietzsche, est le meilleur moyen de contrer la gravité de la vérité et de l'étude de nos problèmes existentiels (Le gai savoir). Prétendre au désintérêt, telle est la fonction de l'oeuvre d'art. -Kant : la question de ce désintérêt est centrale pour la fonction de l'oeuvre d'art. Kant dans la Critique de la faculté de juger, définit le plaisir esthétique comme un plaisir désintéressé, c'est-à-dire n'ayant aucune fonction au service du monde environnant. Mais ce "désintéressement" est un fait la suprême expression d'un intérêt comme critique du monde, come capacité de le dépasser pour y revenir librement, plus lucide : dans la Critique de la faculté de juger, Kant examine dans le plaisir esthétique le "libre jeu des facultés" (entendement et imagination), espace de liberté humaine qui peut déplacer certaines limites entre l'inconnu et le déjà-connu. Conclusion -L'oeuvre d'art n'a pas de fonction définie ; mais elle affiche une tâche plus grande, qui est celle d'une critique globale de notre existence. -Dès lors, c'est bien l'absence de toute fonction pratique assignée à l'oeuvre d'art qui lui permet un investissement décisif dans notre réalité, grâce à sa liberté absolue d'intérêt. -"L'art pour l'art" n'est donc qu'une formule pour désigner le plus grand service que peut rendre l'art à notre existence : ne plus rien supposer comme allant de soi, remettre en cause l'entièreté de nos sensations.

« l'effet des chants sacrés, recouvrer leur calme comme sous l'action d'une cure médicale ou d'une purgation. » Est-ce pour lui, une manière de retrouver le lieu commun selon lequel « la musique adoucit les mœurs » ? Il y a sans doute un peu de cela, mais il faut aller plus loin dans l'interprétation. Dans la " Politique ", Aristote suggère lui-même que la catharsis concerne également la tragédie, c'est-à-dire la vue, et non pas seulement l'écoute de ce qu'il appelle des chants éthiques, dynamiques ou exaltants.

Il n'y a pas à s'en étonner puisque la tragédie,à l'époque, réalise une certaine forme d' « art total » harmonisant le texte, les chœurs et la danse.

Mais, en outre, elle consiste à mettre en scène une action, une intrigue où des personnages réels imitent des héros soumis à un destin angoissant ou pathétique.Pensons à Œdipe .

Or la musique seule ne figure pas; elle ne représente rien; elle laisse tout loisir à l'auditeur d'imaginer librement selon ses états d'âme, tout comme la lecture d'un récit.

En revanche, la tragédie impose un personnage, un masque comportantdes traits définis.

Elle force en quelque sorte l'identification du spectateur appelé à devenir momentanément un « acteur secret » dans la pièce.

Mimésis d'action et de sentiments réels, la tragédie concentre la réalité dans le temps et dans l'espace, elle l'exagèreet pousse les passions à leur paroxysme afin d'éclairer le public sur les conséquences éventuelles de ses actes: voyez ce qu'iladviendrait, si d'aventure l'envie vous prenait d'imiter réellement ces malheureuses victimes de la fatalité ! Le remède n'est-il pas pire que le mal ? Un spectacle apaisant ne serait-il pas plus propice à la sérénité, au retour à l'équilibre?Aristote ne se pose pas la question.

Sa « cure médicale » (Bossuet ) est homéopathique: on soigne le mal par le mal, les passions excessives par l'excès d'émotions. Cette interprétation n'est pas vraiment abusive.

Le texte d' Aristote la suggère; elle fut notamment celle de tout le classicisme français, soucieux d'assigner au théâtre une fonction morale, voire moralisatrice. Mais de l'éthique au politique, il n'y a parfois qu'un pas.

La " Politique " d'Aristote se fonde sur sa philosophie de la tempérance, de la modération, du juste milieu.

Sa volonté de restaurer la tragédie en déclin, de renouer avec la tradition des grands spectaclesqui contribuèrent à la gloire d'Athènes au Ve siècle, n'est sans doute pas exempte d'intentions politiques et sociales: permettre à lacité de vivre en paix et assurer au citoyen le bonheur d'une vie vertueuse, conforme à la raison.

Un tel programme d'éducationcivique et culturelle ne pourrait-il convenir au futur roi de Macédoine ? Multiplier les spectacles tragiques, attirer la foule au théâtre, c'est permettre à la catharsis d'opérer non seulement sur l'individu,mais collectivement.

C'est aussi distraire les citoyens, détourner leur attention des problèmes du moment - les guerres incessantes- et permettre l'expulsion d'une mauvaise conscience qui commence à hanter un peuple en décadence. Il s'agit là d'une explication presque psychanalytique au sens actuel du terme: le spectacle apaise les passions parce qu'il permetde vivre fictivement, de façon innocente et inoffensive, pour la personne et pour la société, des passions qui les mettraient endanger dans la réalité.

La catharsis autoriserait alors une sorte de défoulement et jouerait un rôle d'exutoire. On parle de défoulement.

Ce n'est pas un hasard si Freud a choisi le terme de catharsis pour désigner la finalité de la cure psychanalytique: le retour à la conscience des pulsions refoulées, notamment dans le cas des névroses.

Rien de plus préjudiciableà l'équilibre de l'individu et de la société que de se complaire dans le malaise ou le mal-être de passions et de pulsionscondamnées au mutisme, rejetée, dans le tréfonds de l'inconscient. Cette interprétation établit un lien entre la " Poétique " et la " Politique ".

Sur un plan plus général, elle révèle les implications politiques - au sens large du terme - et le discours sur l'art.

Or ce n'est pas non plus un hasard si ce type d'interprétation asystématiquement été omis par la tradition qui se réclame d' Aristote .

On pourrait d'ailleurs en dire autant de Platon .

Au IV siècle, nous l'avons dit, on se soucie surtout de la portée morale du théâtre.

On ne prête attention qu'aux règles de l'art, auxprocédés techniques qui permettent d'aboutir à l'effet recherché.

A la fin du XVIIIe siècle, Lessing dénonce l'assimilation aristotélicienne entre la poésie et la peinture dans le cadre de sa critique de l' « ut pictura poesis ».

La fonction cathartique par la mise en scène de la terreur ne lui plaît guère.

Il préfère la pitié et considère que la tragédie doit surtout susciter la compassion.Quant à Goethe , peu sensible à l'effet de purgation et de purification de la catharsis, il ne parle que de retour à l'équilibre.

Dans sa période antiquisante et classique, et dans le cadre d'une esthétique idéaliste, il privilégie l'harmonie qui naît de la contemplationde la beauté idéale propre à l'œuvre d'art réussie.

Surtout lorsque cette œuvre d'art appartient à la poésie dramatique. Plus récemment, Bertolt Brecht (1898-1956) a fondé sa théorie et sa pratique théâtrale sur ce lien entre esthétique et politique : «Ce qui nous paraît du plus grand intérêt social, c'est la fin qu' Aristote assigne à la tragédie: la catharsis, purgation du spectateur de la crainte et de la pitié par l'imitation d'actions suscitant la crainte et a pitié.

Cette purgation repose sur un acte psychologiquetrès particulier: l'identification du spectateur aux personnages agissants que les comédiens imitent. ». »

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