L'oeuvre littéraire et philosophique de VOLTAIRE
Publié le 17/06/2012
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Il fait du bien en s'enrichissant et en criant qu'il se ruine. Ce sont trois jouissances. Il écrit pour deux ou trois innocents condamnés, ce qui restitue sa popularité, satisfait ses rancunes contre la magistrature, lui sera compté par la postérité comme s'il n'avait fait autre chose de toute sa vie, et ce qui, du reste, est très bien. C'est une conscience qu'il se fait sur le tard, et une estime de soi qu'il se ménage au dernier moment, et certes, c'est la seule chose qui lui manquât encore. Il est complet désormais; le bourgeois s'est épanoui en gentilhomme terrien, en grand seigneur attaché au sol, bienfaisant et protecteur, ce qui vaut mieux, il le fait remarquer, et il a raison, que de courre la pension et le cordon à Versailles. Il joue ce rôle, comme tous les rôles, « en excellent acteur « , mais un peu en acteur, avec une insuffisante simplicité. Quand il communie à son église, c'est par intérêt, c'est par malice et pour faire une niche à l'évêque d'Annecy; c'estaussi pour s'établirdanslepersonnage de seigneur, et pour haranguer avec dignité, comme c'est son« privilège«, ses« vassaux«, à l'issue de l'office.
Je suppose en 1.817 un vieil émigré sortant d'une représentation du Bourgeois gentilhomme, et je l'entends dire : « C'est une très jolie satire. Elle me rappelle M. de Voltaire, comte de Tournay.«- Le propos est injurieux; mais il y a du vrai. Voltaire est avant tout un bourgeois gentilhomme français du temps de la Régence, devenu très riche, un peu audacieux, très impertinent, et gardant tous ses défauts d'origine et d'éducation. - Seulement c'est un bourgeois gentilhomme très spirituel, ce qui fait qu'il n'a pas eu tous les ridicules, et très intelligent, ce qui fait qu'il a mis un grand talent au service de ses préjugés et a tenu par là une très grande place dans le monde intellectuel....
«
200 DIX· IIUJTJÈME SIÈCLE
le bourgeois, c'est qu'il n'est pas un artiste.
Voltaire
n'a pas été artiste pour une obole.
Ce qui distingue
encore le bourgeois, c'est qu'il
n'est pas philosophe.
Les hautes spéculations le rebutent.
Voltaire
n'a au
cune profondeur ni élévation philosophique, et la syn
thèse lui
est interdite.
Il est évident qu'il ressemble
peu
à Platon, et nullement à Malebranche.
- Ce qui
marque encore, sans doute, le bourgeois, c'est qu'il
est peu militaire.
Voltaire a une peur naturelle des
coups, et n'a rien d'un chevalier d'Assas, ni même
d'aucun chevalier.
Ce qui achève de peindre le bourgeois, c'est qu'il
est éminemment pratique.
Voltaire est un homme
d'affaires
de génie, et le sens du réel est son sens le
plus développé
et le plus sûr, en quoi est une partie
de
sa valeur, qui est grande.
Voltaire est un bourgeois
qui a vingt
ans en 1715, qui est très ambitieux, très
actif, fait
sa fortune en quelques années, n'a plus be
soin que de considération, la cherche dans
la littéra
ture parce qu'il sait qu'il écrit bien,
n'a point d'idées
~ lui, ni de conception artistique personnelle, ni
même
de tempérament artistique distinct et tranché
à exprimer dans ses écrits; mais qui se sait assez ha
bile
pour mettre en belle lumière pendant soixante
ans, s'il le faut, les idées courantes, et produire des
œuvres
d'art distinguées selon les formules connues.
Ce n'est pas un monument à élever; c'est une fortune
littéraire
à faire.
Il la fera, comme il a fait l'autre,
avec beaucoup
de suite, d'ardeur et de décision.
Et il aura toute sa vie les défauts du bourgeois fran
çais.
Sans être précisément cruel, et même tout en ne
détestant point donner quand on le regarde,
il sera.
»
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