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LES ORIGINES DE LA BRUYÈRE

Publié le 07/07/2011

Extrait du document

Vers la fin du dix-septième siècle, il y eut, parmi les godelureaux de ruelles, un singulier penchant à s'attribuer la noblesse. Molière railla les marquis nouveau-nés auxquels les titres venaient comme les champignons viennent, en une nuit, sur un soliveau pourri. D'autres moralistes, moins écoutés que le poète, ridiculisèrent à son exemple ces coquets honteux de leur origine. En ce temps-là, Jean III de La Bruyère, paisiblement, sans mot dire, peu considéré, passant peut-être pour un sot, traversait la société, écoutant, observant, notant. Il affronta l'escouade fanfaronne des marquis, les entendit louer leur race, vit sur leurs carrosses, leurs maisons et sur tous les objets où il était possible de les placer, leurs armes chimériques s'étaler. Et, rentrant dans son cabinet solitaire, il écrivit : « Je le déclare nettement, afin que l'on s'y prépare et que personne un jour n'en soit surpris : s'il arrive jamais que quelque grand me trouve digne de ses soins, si je fais enfin une belle fortune, il y a un Godefroy de La Bruyère que toutes les chroniques rangent au nombre des plus grands seigneurs de France qui suivirent Godefroy de Bouillon à la conquête de la Terre Sainte : voilà alors de qui je descends en ligne directe. « 

« Union ».

Il entra au conseil des « Seize » et, parmi les ligueurs, on le connut sous le surnom de « sire safranier de laLigue ».

Ses convictions étaient-elles profondes? On peut le supposer, car il n'hésita pas à faire de sa maison lecentre de l'agitation.

Ses caves, pleines de marchandises, cachaient les armes que l'on avait réunies en grandequantité, et ses appartements donnaient asile au conseil transformé en chambre ardente, c'est-à-dire en tribunalrévolutionnaire chargé de « connaître du fait des hérétiques, fauteurs et adhérents, traîtres et conspirateurs contrela religion, l'État et la ville de Paris ».Mathias était tenu à plus de réserve.

Néanmoins, il est certain que la Ligue avait en lui un fonctionnaire désireux dela servir et qui, effectivement, la servit.

On sait à quels excès se livrèrent les Seize, bientôt sélectionnés en unconseil des Dix.

Un régime de terreur plana sur Paris.

Le président du Parlement Brisson et deux conseillers, Larcheret Tardif, ayant été soupçonnés de modérantisme, furent incontinent pendus et leurs corps exposés en place deGrève.

Le duc de Mayenne, chef de la fraction aristocratique de la Ligue, combattu par la fraction démocratique, deretour à Paris, mit heureusement un frein à cette férocité.

Par son ordre, quatre des Seize furent décapités et leconseil dispersé.Il est très malaisé d'apporter quelque lumière sur les actes de personnages perdus dans une multitude.

Il paraîtcependant à peu près établi que Jean et Mathias trempèrent dans le complot à la suite duquel furent assassinés leprésident Brisson et les deux conseillers susdits.

En outre, Jean ne semble point avoir joui, de la part de sescollègues du conseil des Seize, d'une confiance illimitée.

A plusieurs reprises, il fut considéré comme traître à sonparti, et l'on insinua que différents projets d'entreprises et d'émeutes avaient été dévoilés par lui, dans un intérêtpersonnel, aux agents royaux.La situation des La Bruyère était donc extrêmement délicate, lorsque, après la mort de Henri III, Henri IV, vainqueurde la Ligue, entra dans Paris.

A la vérité, ils eussent pu, en prêtant le serment de fidélité qu'exigeait le nouveau roi,conserver leurs biens et leurs charges et vivre avec tranquillité du revenu de ces derniers en quelque ville deprovince.

Ils montrèrent plus de dignité.

Ils préférèrent l'exil.

Ils avaient dû, en prévision de leur départ, réaliser aumoins la partie réalisable de leurs propriétés, sachant qu'ils s'exposaient volontairement à la confiscation.Ils se réfugièrent à Anvers, disent les uns, à Bruxelles, assurent les autres.

D'aucuns prétendent même qu'ils allèrenthabiter à Naples et qu'ils y conspirèrent contre la vie de Henri IV.

Mais cette dernière hypothèse est erronée.

A lavérité, ils s'étaient définitivement établis à Bjuxell.es, où les avait rejoints la fille de Mathias, Marie, femme de JeanLescellier, receveur à la recette des consignations de la prévôté et vicomté de Paris.

Ils y jouissaient encore d'unecertaine aisance.

Mais assurément ils durent y renoncer à toute manœuvre politique.

Jean d'ailleurs y mourait vers1595.

Mathias, tout à fait assagi, y écrivait un petit volume : Le Rosaire de la très heureuse Vierge Marie, gonflé devers français et latins et d'un « brief discours contenant la forme de prier et d'observer les saints mystères dudictRosaire», dont on ne connaît qu'une édition posthume (1604).

Il ne tarda pas à suivre son père dans la mort.

Il avaitdisparu de ce monde avant 1602, laissant à ses deux enfants, Guillaume et Marie, déjà nommée, une situationdifficile.Car les biens que Jean et Mathias possédaient en France avaient été, comme on pouvait le prévoir, confisqués auprofit du domaine royal.

Il était habituel que le monarque ne conservât point ces biens venus à la couronne parautorité de justice.

On en citerait maints exemples.

Le plus souvent il les donnait, en récompense de leurs services,à ses officiers ou à quelque personnage auquel il portait affection.

En vertu de ce principe, par lettres patentes etbrevet de mai 1597, Henri IV concéda à des domestiques du prince de Conti : François de Bréville, sieur du Léal, deSaint-Martin, de Villiers et de Laborde, la fortune des La Bruyère.Guillaume et Marie, héritiers naturels, se trouvaient donc lésés dans leurs intérêts.

Ils n'acceptèrent point cettespoliation déguisée.

Guillaume avait hérité de son grand- père le tempérament processif ; il intenta une actiondevant le Châtelet de Paris,, puis devant le Parlement.

Après de longues chicanes, au cours desquelles intervint ensa faveur l'avocat général Louis Servin, il parvint à récupérer quelques bribes de l'héritage.Mais incontestablement l'opulence de la famille décroît à partir de cette époque.

Car Guillaume ne partage point,avec ses ascendants, le sens commercial.

C'est un assez bizarre sire.

En 1601, occupant la charge de secrétaire del'évêque de Paris, qu'il devait, dans la suite, abandonner pour celle de secrétaire ordinaire de la chambre du roi, ilavait épousé Diane de la Mare, fille de Jean de la Mare, capitaine du château de Meudon.

Il fit, avec cettejouvencelle, assez mauvais ménage.

Elle lui reprochait de ne se complaire que parmi les procès.

Il en fomentait detoutes sortes, particulièrement contre ses voisins de propriété en Vendômois.

Ces procès duraient éternellement etabsorbaient les revenus des conjoints.

On croit même que Guillaume subit la prison pour dettes.

Il eut, dans tous lescas, le don d'exaspérer sa femme, qui craignait, avec raison, de n'avoir plus sou ni maille pour établir les troisenfants venus au cours des années.

Et l'épouse engagea contre l'époux une instance en séparation de biens.

Lesjuges lui donnèrent d'ailleurs gain de cause.On suppose, sans en être assuré, que Guillaume écrivaillait, comme son père Mathias.

Deux opuscules d'un méritemédiocre : Résurrection et triomphe de la Polette (Paris, 1615) et Réplique à Vantimalice ou Défense des femmes(Paris, 1617) pourraient lui être attribués.

Ils n'ajouteraient aucune renommée au nom des La Bruyère.Ce procédurier et sa femme décédèrent à des dates imprécises.

Ils laissaient, nous l'avons indiqué, trois enfants.L'aîné, Louis, contrôleur général des rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, alla chercher femme dans un milieu étriqué etminable de paperassiers.

Ayant six mille livres de dot, il ne pouvait, il est vrai, ambitionner la main d'une princesse.Elisabeth Hamonyn, qu'il épousa le 25 juillet 1644, était la fille d'un procureur au Châtelet.

Elle avait six sœurs et sixfrères.

Pour lui constituer une dot équivalente à, celle de son mari, on fut obligé de vendre de pauvres terrains etd'emprunter.Le second fils de Guillaume s'appelait Jean II.

En lui se continue la lignée trafiquante et mercantile du vieux ligueur.

Ildemeura célibataire.

11 paraît n'avoir eu, en ce monde, d'autre amour que celui des pistoles.

C'est une curieusefigure de partisan.

Il tripota en maintes affaires louches et parvint à amasser une ronde fortune.

Sur la fin de sa vie,pour se donner quelque apparence d'honnêteté, il acheta une charge de secrétaire du roi qui conférait la noblesse àson détenteur.Le troisième enfant de Guillaume était une fille, Louise.

On ne sait presque rien d'elle, sinon qu'elle épousa le sieur. »

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