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Parler, est-ce le contraire d'agir ?

Publié le 24/01/2004

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• Un constat : On entend souvent dire : « Ce ne sont que des mots «, « assez de paroles, des actes ! «, et l'on connaît la réflexion du personnage de Queneau : « Tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire « (Zazie dans le métro). • Toutefois, on a pu également dire que l'« on a bouleversé la terre avec des mots « (Musset). • Le problème se pose donc de savoir si parler est bien le contraire d'agir.

  • TERMES:

Agir: opération propre à un être animé (agent): avoir une activité qui transforme une réalité donnée dans laquelle le sujet ne reconnaissait pas l'objet de son désir.

Parler: utilisation personnelle d'une langue.

Contraire: ce qui s'oppose à.

L'énoncé du sujet est sans ambiguïté : nous sommes invités à réfléchir sur la validité d'une opposition banale et communément acceptée, selon laquelle lorsque nous parlons nous n'agissons pas. La réflexion pourra s'engager dans de multiples directions, par exemple en examinant les pouvoirs psychologiques du langage, notamment dans la psychanalyse. Pour notre part, nous nous limiterons ici essentiellement à deux aspects du problème : d'une part l'approche linguistique des actes du langage, et, d'autre part, la dimension socio-politique de la parole.

 

« nous allons voir présenteront, comme par hasard, des verbes bien ordinaires, à la première personne du singulier del'indicatif présent, voix active.

Car on peut trouver des énonciations qui satisfont ces conditions et qui, pourtant, A)ne « décrivent », ne « rapportent », ne constatent absolument rien, ne sont pas « vraies ou fausses » ; et sonttelles quen B) l'énonciation de la phrase est l'exécution d'une action (ou une partie de cette exécution) qu'on nesaurait, répétons-le, décrire tout bonnement comme étant l'acte de dire quelque chose.

(...)Exemples :(E.a) « Oui [je le veux] (c'est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime) » — ce « oui » étant prononcéau cours de la cérémonie du mariage.(E.b) « Je baptise ce bateau le Queen Elisabeth — comme on dit lorsqu'on brise une bouteille contre la coque.(E.c) « Je donne et lègue ma montre à mon frère » — comme on peut le lire dans un testament.(E.d) « Je vous parie six pences qu'il pleuvra demain ».Pour ces exemples, il semble clair qu'énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n'estni décrire ce qu'il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c'estle faire.

Aucune des énonciations citées n'est vraie ou fausse : j'affirme la chose comme allant de soi et ne ladiscute pas.

On n'a pas plus besoin de démontrer cette assertion qu'il n'y a à prouver que « damnation ! » n'est nivrai ni faux : il se peut que l'énonciation « serve à mettre au courant » — mais c'est là tout autre chose.

Baptiserun bateau, c'est dire (dans les circonstances appropriées) les mots « Je baptise...

» etc.

Quand je dis, à la mairieou à l'autel, etc.

« Oui [je le veux] », je ne fais pas le reportage d'un mariage : je me marie.Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose de l'appeler une phrase performativeou une énonciation performative ou — par souci de brièveté — un « performatif ».

Ce nom dérive, bien sûr, du verbe[anglais] perform, verbe qu'on emploie d'ordinaire avec le substantif « action » : il indique que produire l'énonciationest exécuter une action (on ne considère pas, habituellement, cette production-là comme ne faisant que direquelque chose.

(...)PEUT-IL ARRIVER QUE DIRE UNE CHOSE CE SOIT LA FAIRE ?(...) Une telle doctrine semble d'abord étrange, sinon désinvolte ; mais pourvue de garanties suffisantes, elle peuten venir à perdre toute étrangeté." AUSTIN in "Quand dire, c'est faire", 1ère conférence, Paris, Editions du Seuil, 1970. B.

Faire-agir ou la parole du sophiste (cf.

Platon, Gorgias, la rhétorique comme ouvrière de persuasion).C.

La puissance de la parole ne vient pas de la parole elle-même mais de la société (cf.

Bourdieu.

La parole n'est pasaction en elle-même, mais parce qu'elle concentre des positions et des statuts sociaux.

Ce troisième paragrapherelativise les deux précédents et constitue une transition). III.

De la parole à la parole. A.

La parole comme possession du monde et pouvoir sur le monde. Puisqu'il a pour fonction essentielle l'expression de la pensée et la communication entre les hommes, il est clair quele langage joue un rôle éminent dans les phénomènes de pouvoir.

Il permet ou facilite l'action; il l'interdit ou lasanctionne; le droit se dit et s'écrit et ceux qui dirigent la Cité exercent leur fonction par l'intermédiaire du langage,tout comme ils sont attentifs à en capter les signes. Dans toutes les sociétés, les titulaires du pouvoir ont possédé la maîtrise du langage ou des langagespropres à orienter l'action d'autrui.

Ceux-là sont détenteurs de ce "maître-mot" que Kipling attribuait dans la jungle à l'enflant démuni mais qui finirait par s'emparer de la fleur rouge.

Prêtres et scribes, pontifes et rois, légisteset avocats, journalistes et hommes des médias connaissent tour à tour cette puissance.

L'agora d'Athènes était lelieu de disputes, de collusions oratoires.

De même, Dieu se manifeste par cet acte de langage: " Au commencement était le Verbe" disait déjà Saint-Jean. Dans les sociétés complexes, le langage est l'expression du pouvoir.

A tel point que le fait de nommer, dequalifier un Pouvoir, lui donne sa cohérence, sinon son existence: qui dit monarchie se met en mesure d'élaborer lesystème monarchique, formule la série des concepts qui se trouvent mis dans la langue. Toutes les institutions majeures ont pour rôle de tester et d'élaborer le langage du Pouvoir.

L'un desprivilèges les plus incontestables du milieu dirigeant est précisément de conserver la langue.

Le langage de la culturese confond avec celui de la classe dirigeante.

Les faits langagiers montrent la capacité "performative" des classes dirigeantes.

Et, le propre de ces dernières est d'éviter ou d'intégrer la "gheottisation" du langage: culture jeune (BD,musique, expressions "branchées"...).

Dès lors, si le pouvoir manifeste son emprise sur le langage, ce dernier à sontour influence le Pouvoir, à tel point que l'évolution des phénomènes langagiers a une signification historique etpolitique considérable: l'invasion du franglais traduit ainsi notre infériorité à l'égard de l'Amérique anglophone, lorsquela France était puissante, on parlait français à Saint-Pétersbourg.

De même, à la limite, on obtient le phénomène dela langue de bois qui est une conséquence de la glaciation du langage et/ou de la glaciation du Pouvoir. Aussi, il faut bien qu'un jour, change ce langage jugé rétrograde.

Et, la révolution se manifeste aussi par un acte delangage.

La prise du pouvoir ne s'accompagne pas par hasard de déclarations solennelles, de thèses ou deprofession de foi. En bref, on peut dire que le rêve de puissance est un rêve de langage.

Il fonde et manifeste le Pouvoir et. »

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