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Pascal: Faut-il opposer être et paraître ?

Publié le 12/03/2005

Extrait du document

pascal
Qu'est-ce que le moi ? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées.

Dans cet extrait, Pascal vise pour ainsi dire, deux problèmes en même temps. D’une part, il s’agit de savoir à quoi tient l’identité : qu’est-ce que le moi ? Et, d’autre part, il s’agit de savoir ce dont il en va dans l’amour : qu’aime t-on lorsqu’on aime autrui ? La réponse à la première question commande, comme nous le verrons, la réponse à la seconde. Ce texte de Pascal permet de souligner la transitivité fondamentale du moi, au sens où l’être est comme emporté par lui-même et n’existe qu’en changeant, en passant d’une qualité à l’autre.

            Il faut souligner l’aspect didactique de ce texte, dont l’avancée procède de questionnements successifs. Plutôt que de résoudre la question posée, la première, qui détermine les suivantes, à l’appui d’une discussion purement théorique, Pascal choisit d’asseoir sa position par le biais de questionnements rhétoriques portant sur des exemples concrets.

 

pascal

« Réponses: 1 - Non, je ne suis pas mon corps, puisque celui-ci change et que je reste moi-même.2 - Aimer l'âme n'est pas moins illusoire, puisqu'on aime là encore seulement des qualités de celle-ci, commel'intelligence ou la mémoire, qualités qui peuvent lui être retirées sans que son identité en soit changée.3 - Le moi serait ce qui, en une personne, ne change jamais ; ce qui subsiste malgré les modifications que le tempsapporte au corps comme à l'âme. Dans cet extrait, Pascal vise pour ainsi dire, deux problèmes en même temps.

D'une part, il s'agit de savoir à quoitient l'identité : qu'est-ce que le moi ? Et, d'autre part, il s'agit de savoir ce dont il en va dans l'amour : qu'aime t-on lorsqu'on aime autrui ? La réponse à la première question commande, comme nous le verrons, la réponse à laseconde.

Ce texte de Pascal permet de souligner la transitivité fondamentale du moi, au sens où l'être est commeemporté par lui-même et n'existe qu'en changeant, en passant d'une qualité à l'autre. Il faut souligner l'aspect didactique de ce texte, dont l'avancée procède de questionnements successifs.Plutôt que de résoudre la question posée, la première, qui détermine les suivantes, à l'appui d'une discussionpurement théorique, Pascal choisit d'asseoir sa position par le biais de questionnements rhétoriques portant sur desexemples concrets. Dans une première partie Pascal démontre, par l'absurde, au moyen de questions rhétoriques, que le moiest irréductible au corps comme à l'âme.

Il est comme par delà l'âme et l'esprit, en ce sens que, ceux-ci peuventchanger sans que le moi n'en soi affecté : quoique devenu un autre, je reste le même.

Lorsque autrui a affaire àmon corps, ce n'est pas littéralement à moi qu'il a affaire, s'il voit mon corps, il ne me vise pas pour autant dans ma singularité, le moi n'égale pas le corps : «Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là,puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ».

Le langage le dit trèsbien, puisqu'une silhouette peut être celle d'un inconnu , autrement dit, ce n'est pas parce que je vois le corps d'une personne que je la connais.

Le corps n'apparaît que comme un vêtement, une peau soumise au devenir, au temps,mais dont l'altération laisse le moi intact : ce n'est pas parce que je change d'apparence physique que je ne restepas le même.

De même que l'autre qui voit mon corps ne me voit pas, au sens où il ne me voit pas dans masingularité, la vision de mon corps ne lui délivrant pas ma personnalité, lorsque quelqu'un aime autrui pour sa beauté,c'est sa beauté qu'il aime et non l'autre en lui-même.

En effet, l'amour est rendu caduque dès lors que la beautés'estompe : « mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus » .

Tout se passe comme si nous n'avions pas affaire directement à autrui, à un alter ego, mais jamais qu'à une apparence.

Les qualités intellectuelles n'autorisent guèreplus à cerner le moi : « Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on moi ? Non, car je puisperdre ces qualités sans me perdre moi-même ».

Celles-ci, de même que le corps, sont soumises au temps, et sontsusceptibles de s'altérer, de disparaître.

Conséquemment, Pascal se pose la question de savoir où se situe le moi, onne peut en effet l'appréhender ni comme corps ni comme âme.

L'auteur laisse en fait la question en suspend ; maisla réponse se dessine en creux : le moi est caractérisé par une intériorité, une intimité fondamentale.

Il transcendeles changements qui peuvent affecter mon apparence ou mon esprit, il est essentiellement privé puisqu'il demeureinaccessible à autrui. Dans un second moment Pascal s'interroge plus précisément sur l'amour : « et comment aimer le corps oul'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? ».

La réponse estdonnée dans la question, et elle est déjà suggérée par la première partie du texte : le moi étant inaccessible, onn'aime jamais autrui que pour les configurations corporelles et spirituelles qu'il exprime et qui sont soumises aupassage du temps.

L'amour s'éprend de qualités, d'un contenu, et non pas d'un moi en soi indifférencié : « caraimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne sepeut, et serait injuste.

On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités » .

Il n'y a donc pas d'amour absolu au sens où c'est l'autre que je viserai indépendamment de ses qualités ; cela revient à relativiser lesentiment amoureux : l'amour est contingent, il dépend de l'apparence physique et spirituelle.

On comprend doncque l'on puisse cesser d'aimer, puisque l'objet de l'amour est sujet au changement. Dans une dernière phrase, Pascal épingle l'hypocrisie de ceux qui prétende d'ailleurs la dénoncer : « Qu'onne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne quepour des qualités empruntées ».

Nous sommes tous dans la logique des apparences, c'est le même jeu que nousjouons dans notre vie privée et dans la vie publique, ce sont toujours sur des « qualités empruntées » que nouscomptons pour faire la différence.

Si Pascal a raison sur le fond, on ne peut s'empêcher d'entendre une certaineironie dans cette ultime proposition, au fond, même si nous sommes tous voués à jouer le jeu des apparences, enjouer pour le pouvoir , c'est-à-dire pour une notoriété publique, demeure différent du jeu de la séduction quand il se cantonne à la vie privée.

Quoique la généralisation soit vraie, la dernière phrase du texte, qui se lit comme la miseen demeure de devoir excuser l'hypocrisie publique, peut s'entendre en vérité comme une dénonciation fine etironique de celle-ci. L'étude de ce texte appelle néanmoins une dernière remarque : si Pascal nous paraît fort justementsouligner que le moi est insaisissable : ni dans le physique, ni dans l'esprit, il reste qu'il n'est pas positivement. »

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