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Les passions ont-elles leur langage ?

Publié le 03/02/2004

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Sans doute une passion veut-elle se dire : la colère a ses cris, l'amour ses déclarations, le chagrin ses plaintes. Loin que ces manifestations soient subsidiaires, ce sont elles qui, souvent, entraînent le sentiment ou au contraire le répriment : la promesse soutient l'amour aussi sûrement que les pleurs soulagent la peine. Pourtant cette adéquation ne se vérifie pas toujours et, parfois, à vouloir dire sa passion, « on s'expose à jouer de mauvais personnages' «. Le paradoxe veut alors que l'on cherche ailleurs le langage qui convient : Alceste recommande à Oronte, plutôt que son sonnet, une « vieille chanson «, de propriété publique, dont le style est certes discutable, mais où, dit-il, « la passion parle [.:.] toute pure «. Toutefois, rien n'est sûr encore ; l'« atrabilaire amoureux « finit en amant éconduit et non en Dom Juan. Les passions ressurgissent, en négatif, et restent en souffrance sous un masque extérieur. Les passions ont-elles, dès lors, leur langage ?

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« l'âme ne formeront jamais, comme on l'a montré des dessins de Le Brun, qu'un « alphabet » — jamais un langage.Car, à condition de ne pas choisir délibérément l'artifice aux dépens du sentiment, le masque contre la figure, lecomédien contre l'homme, force est d'admettre qu'en deçà de chaque expression passionnée demeure, à mesure desa généralité, une part d'indétermination et d'arbitraire qui fait d'ailleurs que l'on pleure aussi bien dans la joie quedans la douleur.

La grammaire pure peine donc à se fixer et réclame tant d'attributs que l'on peut bien douter de sapossibilité. II.

L'identité originelle du langage et des passions A.

Originalité du langage passionnelHobbes admet que la passion joue un rôle déterminant dans la genèse du discours : elle produit et dirige la suite despensées et des mots.

Mais cette originalité n'est que de fonction : elle ne s'incarne pas dans un langage spécifique,et la grammaire pure reste un vain mot.

Ne faudrait-il pas dès lors radicaliser cette intuition jusqu'à obtenir d'elle unlangage véritablement autre que ceux que nous connaissons ? C'est, semble-t-il, ce qu'entreprend Rousseau ; celui-ci reconnaît en effet que le désir (fin) de communiquer ses sentiments et ses pensées en fait rechercher lesmoyens, qui ne peuvent se tirer que des sens.

Ces moyens sont au nombre de deux : le mouvement et la voix,auxquels répondent la vue et l'ouïe (les autres sens ne convenant pas à un l'état primitif de dispersion).

Mais cesmoyens révèlent en réalité deux langages différents : celui des besoins qui ne nécessite que le recours à la vue etaux gestes, celui des passions, qui nécessite la vue et surtout l'ouïe, le mouvement et plus encore la voix.

Laspécificité du langage des passions ne fait donc pas de doute : « c'est tout autre chose » d'émouvoir les coeursque de communiquer ses besoins.

Les signes visibles manifestent sans doute au mieux l'intérêt, mais rien ne l'exciteplus que les sons.

C'est pourquoi les passions ont des gestes, mais aussi et surtout un accent, autrement dit uneintonation particulière.

La différence se fait aussitôt sentir entre ce langage et le langage que nous connaissons :les accents ne suppléent pas à l'accent pour la simple raison qu'aucune nécessité ne préside à la musicalité de cesprétendus accents.

Ce ne sont donc que des « voyelles » ou des « signes de quantité » dissimulés.

Le langage nédes passions répond donc à des catégories toutes spécifiques, et c'est pourquoi Rousseau peut dire ailleurs : «Qu'apprendrions-nous de l'amour dans ces livres ? Ah, Julie, notre coeur nous en dit plus qu'eux, et le langage imitédes livres est bien froid pour quiconque est passionné lui-même ! » B.

Quelle forme prend le langage des passions ?À quoi donc identifie-t-on un langage tiré des passions ? Celles-ci, selon Rousseau, ne sont pas des besoins naturelsprimitifs ; elles sont d'un autre ordre puisqu'elles dépendent d'un second « état de nature », à mi-chemin entre lemécanisme de la nature première (besoin) et le mécanisme des géomètres ou des raisonnements : c'est pourquoielles font naître un langage chanté, poétique, figuré.

Un sauvage rencontrant un homme sera d'abord effrayé (cequi est le signe de la passion) ; sa frayeur lui fera voir ce congénère comme un être supérieur, plus grand, plus fort.Le mot par lequel il s'efforcera de le définir sera, parexemple, celui de « géant » ; c'est seulement après, quand la passion aura cessé, qu'il comprendra que ce « géant» n'était ni plus grand, ni plus fort : il l'appellera alors d'un nom qui convient, par exemple « homme ».

Cette fictionpermet de comprendre les propriétés d'un langage qui n'est soutenu que par une « image déformée » des choses,autrement dit par une passion.

D'où la tendance naturelle qu'a ce langage à user de tous les « tropes » possibles ;les tropes, et non les métaphores ou les comparaisons, qui, pour reconnaître le déplacement de sens qu'ellesopèrent ne sont plus sous le joug de la passion.

On comprend enfin que ce langage propre aux passions donne àentendre une voix inarticulée, où les consonnes servent principalement à prononcer plus aisément les voyelles, oùles onomatopées vont bon train, où la parole même cède la place au chant, où les augmentatifs, les diminutifs, lesparticules explétives, les mots composés rythment la parole autant que les anomalies et les irrégularités.

Bref, lesimages et les figures rendent cette langue infiniment différente « de toutes les autres ». C.

Le langage altéré des passionsMais de quelles autres ? Certes, il existe des différences entre les langues établies, certaines sont septentrionales,dit Rousseau, d'autres sont méridionales ; mais originairement, toutes les langues sont nées des passions.

Seul lerapport des passions aux besoins varie : dans le Nord, où la Nature ne donne pas tout en abondance, les passionssuivent les besoins, dans le Midi, où elle est prodigue, ce sont les besoins qui succèdent aux passions.

Radicalement(soit « à la racine ») les passions dictent pourtant toutes les langues et leur langage n'est autre que le langage.Cela dit, les passions, étant des besoins moraux et non physiques, offrent à la langue la possibilité d'un progrès,donc d'une perfection aussi bien que d'une altération.

Deux particularités se manifestent alors : celle, d'une part, dela langue primitive, celle, d'autre part, d'un langage altéré.

Le théâtre, à cet égard, offre un parfait exemple de laréversibilité du progrès : la pitié n'y est plus qu'« un reste de sentiment naturel étouffé bientôt par les passions ».Alors, certes, il faut admettre que « le théâtre a ses règles, ses maximes, sa morale à part,ainsi que son langage etses vêtements » ; mais en réalité les passions que l'on voit représentées sont perverties par le jeu théâtral qui «purge les passions que l'on n'a pas et fomente celles qu'on a ».

C'est ainsi que la tragédie place l'homme au-dessusde la nature humaine, quand la comédie, elle, l'abaisse.

Les passions ne sont plus que le simulacre d'elles-mêmes.. »

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