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LE PÉCHÉ (Recherche de la Vérité, Ier éclaircissement) - Malebranche

Publié le 06/02/2011

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malebranche

Or ce qui fait principalement que nous péchons, c'est qu'aimant mieux jouir qu'examiner, à cause du plaisir que nous sentons à jouir, et de la peine que nous trouvons à examiner, nous cessions de nous servir du mouvement qui nous est donné pour chercher le bien, et pour l'examiner, et nous nous arrêtons dans la jouissance des choses dont nous devrions seulement faire usage. Mais si l'on prend garde de près, on verra qu'en cela il n'y a rien de réel de notre part, qu'un défaut et une cessation d'examen ou de recherche, qui corrompt, pour ainsi dire, l'action de Dieu en nous, mais qui ne peut néanmoins la détruire. Ainsi, que faisons-nous quand nous ne péchons point ? Nous faisons alors ce que Dieu fait en nous (car nous ne bornons point à un bien particulier, ou plutôt à un faux bien, l'amour que Dieu nous imprime pour le vrai bien). Et quand nous péchons, que faisons-nous ? Rien. (Nous aimons un faux bien que Dieu ne nous fait point aimer par une impression invincible. Nous cessons de chercher le vrai bien et rendons inutile le mouvement que Dieu imprime en nous. Nous ne faisons que nous arrêter, que nous reposer. C'est par un acte, sans doute, mais par un acte immanent qui ne produit rien de physique dans notre substance ; par un acte qui, dans ce cas, n'exige pas même de la vraie cause quelque effet physique en nous, ni idées, ni sensations nouvelles ; c'est-à-dire en un mot, par un acte qui ne fait rien, et ne fait rien faire à la cause générale, en tant que générale, ou faisant abstraction de sa justice ; car le repos de l'âme comme celui des corps, n'a nulle force ou efficace physique). Or, lorsque nous aimons uniquement, ou contre l'ordre un bien particulier, nous recevons de Dieu autant d'impression d'amour que si nous ne nous arrêtions pas à ce bien. De plus cette détermination particulière et naturelle, qui n'est point nécessaire ni invincible (par rapport à notre consentement), nous est aussi donnée de Dieu. Donc lorsque nous péchons, nous ne produisons point en nous de nouvelle modification. J'avoue cependant, que lorsque nous ne péchons point, et que nous résistons à la tentation, on peut dire que nous nous donnons une nouvelle modification (en ce sens), que nous voulons (actuellement et librement) penser à d'autres choses qu'aux faux biens qui nous tentent, et que nous voulons ne nous point reposer dans leur jouissance. Mais nous ne le voulons que parce que nous ne voulons être heureux que par le mouvement vers le bien en général que Dieu imprime en nous sans cesse ; en un mot que par notre volonté secourue par la grâce, c'est-à-dire éclairée par une lumière, et poussée par une délectation prévenante. Car enfin, si l'on prétend que vouloir différentes choses, c'est se donner différentes modifications (ou que nos divers consentements, que je regarde comme des repos ou des cessations libres de recherche et d'examen, soient des réalités physiques), je demeure d'accord qu'en ce sens l'esprit peut se modifier diversement par l'action ou le désir d'être heureux, que Dieu met en lui, et qu'en ce sens il a une véritable puissance. Mais il me paraît qu'il n'y a pas plus de réalité dans le consentement qu'on donne au bien, que dans celui qu'on donne au mal.... Le repos de l'âme en Dieu est juste ; car c'est le vrai bien, la vraie cause du bonheur. Ce même repos dans la créature est déréglé, parce que nulle créature n'est cause véritable du bonheur. Mais je ne vois pas que nos repos, réglés ou déréglés, qui nous rendent justes ou criminels, changent par eux-mêmes physiquement la substance de notre âme.   

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