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La pensée des hommes primitifs est-elle infantile ?

Publié le 10/10/2004

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CONSEILS PRELIMINAIRES    1. Eviter avec soin les généralités : le sujet suppose des connaissances précises en sociologie et en psychologie de l'enfant. On pourra se souvenir par exemple des études de Durkheim sur la mentalité primitive ou des travaux du Dr Robin sur « l'enfant turbulent «.  2. Une comparaison suppose qu'on tient compte des ressemblances et des différences entre les deux termes de la comparaison ; cependant il importe d'aller un peu plus loin et d'expliquer pourquoi la mentalité de l'enfant n'est pas réductible à celle du primitif. Ce point nous permettra de préciser ce que la conscience doit au milieu social.  3. Il ne faut pas entendre le mot primitif au sens de « reculé dans le temps «. De nos jours il y a encore des hommes primitifs, qui appartiennent à des tribus vivant à l'écart de notre civilisation technique et scientifique.    PLAN    Préambule : La comparaison entre primitif et enfant était un lieu commun soit du langage courant, soit même parfois de la psychologie.    1re partie. — Ressemblances :  a) Primauté de l'irrationnel.  b) Similitude des cadres logiques.  c) Le sens du sacré.    2e partie. — Différences :  a) La mentalité de l'enfant évolue vers le rationnel celle du primitif, non.  b) Rôle du langage comme véhicule de civilisation.  c) L'enfant est aussi un personnage social.    3e partie. — La vie psychique et la société.

« Cependant l'analogie entre le primitif et l'enfant ne doit pas être développée outre mesure :A la rigueur, les mêmes conditions (se trouver seul devant un monde inconnu et réputé hostile) entraînent lesmêmes conséquences : attitude magique et non scientifique devant la réalité.Mais l'enfant que nous considérons est un enfant de notre civilisation, de notre époque.

Dès que possible il va àl'école.

L'instruction est obligatoire.

Et quand bien même il serait tenu à l'écart de la culture, il serait obligéd'apprendre à parler, à lire et à écrire et par ce canal les habitudes de penser de son époque et quelques-unes desconnaissances les plus importantes se trouveraient véhiculées jusqu'à lui.

La psychologie génétique, qui s'intéresseau développement de la pensée et à la constitution des cadres logiques, constate que l'esprit de l'enfant évoluevers le rationnel.

Piaget, dans son ouvrage sur la psychologie de l'intelligence, note que ce qu'il appelle l' « erreur del'étalon » s'atténue progressivement jusqu'à l'âge de quinze ans, époque où l'enfant parvient à corriger lui-même lesillusions de sa perception à l'aide d'appréciations logiques qui portent, dans le cas considéré, sur la distance et lagrandeur apparente.Celui qu'on appelle le primitif, au contraire, demeure plongé dans un monde dont les principes n'ont rien de rationnelet ne peuvent pas être rationnels.

Les objets continuent à être chargés d'une émotion mystique; les fondements dela tribu sont magiques : le bororo sera toute sa vie un ara bien qu'il sache d'autre part que l'ara est un perroquetvert avec lequel lui, qui appartient à la tribu des bororos, n'a que très peu de ressemblances morphologiques.Le langage,, nous l'avons vu, constitue un véhicule de civilisation.

Mais, dira-t-on, le primitif aussi a un langage.Sans doute.

Mais le langage primitif ne véhicule que des données mystiques ou empiriques, fort éloignées de laclarté et de la distinction des concepts déjà-scientifiques qui nous permettent de comprendre et de dominer lemonde.Au contraire, avec le langage, l'enfant reçoit des éléments qui lui permettent bientôt d'économiser ses effortsintellectuels et de les orienter vers une clarification et une systématisation du donné.

Ainsi, l'enfant se familiariseavec le mot cheval : ce mot ne signifie plus tel ou tel cheval qui l'a étonné ou effrayé, mais se révèle applicable àtout animal d'une apparence déterminée; puis, peu à peu, cette apparence se transforme en « mouvement », quicorrespond à l'effort dont le cheval est capable et par ce biais, l'enfant arrive au concept de cheval-vapeur quireprésente sous une forme sans doute grossière encore une connaissance abstraite sur le problème de l'énergie.

Et ilen est de même pour tous les domaines.Mais, dira-t-on, le primitif pourrait être considéré dans ces conditions comme un grand enfant qui a un certainretard sur le plan intellectuel et qui pourrait le combler en apprenant un nouveau langage où les concepts sont plusabstraits et plus scientifiques.Ce n'est pas tout à fait exact.

Si l'enfant peut assimiler si vite les concepts de sa civilisation, c'est que le spectaclede la vie qui l'entoure les confirme sans cesse.

Ces concepts ont cours dans le monde où il vit.

Le primitif, s'ilcontinue à vivre la vie de sa tribu, vie arriérée et fondée sur des principes non scientifiques, pourrait à la rigueurparler notre langage, mais ne saurait en comprendre les implications.

Le langage n'est pas une « superstructure »,c'est quelque chose qui est proche de l'activité pratique de l'homme, un moyen de communication et d'action quicorrespond à l'état de la connaissance et de l'action d'un groupe donné à une époque donnée.

Le primitif pouraccéder à la pensée civilisée doit changer de principes de vie et transformer, en même temps, la société où il vit ;mais cela suppose qu'il cesse d'être un primitif.Si la pensée prélogique ne dure pas davantage chez l'enfant c'est en fait que l'enfant est déjà un personnage social,un être qui a sa place dans une société donnée.

Sa fonction dans cette société, ou pour mieux dire, la fonction deses parents, l'aide puissamment à rectifier les illogismes de sa pensée.Inversement, on a pu constater dans la pensée dite civilisée, la permanence de concepts peu logiques, desuperstitions qui renvoient à une mentalité nettement primitive (par exemple ne pas allumer trois cigarettes à lamême allumette, la notion de ce qui porte malheur, etc.).

Ce résidu illogique dans des esprits qui participent d'autrepart d'une pensée scientifique coordonnée prouve que les hommes de la société contemporaine n'ont pas eu letemps ni le loisir de s'expliquer à eux-mêmes, clairement, leur vie et leur condition, que le monde qui obéit à des loisgarde pour eux des zones d'ombre à l'intérieur desquelles ils se sentent aussi dépourvus et impuissants que le primitifdevant le mystérieux univers.

Et ils recourent à des pratiques propitiatoires, en contradiction avec le reste de leurconduite.

Mais ces pratiques doivent être considérées aussi comme des solutions à des problèmes déjà entrevusbien que mal posés.

« L'humanité ne se pose jamais que les problèmes qu'elle peut résoudre.

» A l'époquecontemporaine l'homme se pose certains problèmes concernant sa condition et sa situation au monde; mais comme ilcroit ne pas pouvoir les résoudre sur le plan scientifique, il en propose des solutions métaphysiques, fictives sansdoute, qui correspondent à l'état de ses connaissances ou pour mieux dire de ses ignorances.

Par exemple, l'hommesait parfaitement comment il faut élever « scientifiquement » des chevaux; mais quand il s'agit de la conduite d'un état, problème plus compliqué et sur lequel une certaine obscurité est soigneusement entretenue, il admetvolontiers un recours au hasard, à la chance, au destin. Cette comparaison entre la mentalité de l'enfant et du primitif permet en fait de préciser les rapports entre l'individuet la société.Des ressemblances troublantes tendraient à nous faire croire que l'humanité recommence indéfiniment le mêmecycle, que l'homme, dans sa courte existence, doit représenter un raccourci de l'évolution de l'humanité toutentière; l'enfant dans ces conditions traverserait une phase de pensée alogique.En fait, la ressemblance est plutôt dans les conditions extérieures que dans la vie psychique.

L'enfant, dans sespremières années, se trouve effectivement dans des conditions d'impuissance et de faiblesse par rapport au mondeextérieur toutes semblables à celles qui caractérisent la vie primitive.

Mais cette similitude n'est qu'apparente carl'enfant, dans notre société, n'est pas faible.

Il participe à la civilisation par procuration : ses parents, ses maîtressont adultes pour lui.

Le reflet psychique de son impuissance et de sa faiblesse — qui correspondrait à sa penséeprimitive et prélogique — ne dure guère; il a déjà une pensée rationnelle, mais non cohérente.

Cette cohérence estvite conquise.. »

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