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Le Père de Famille: SAINT-ALBIN, SOPHIE, Mme HÉBERT (Diderot)

Publié le 05/04/2011

Extrait du document

famille

Tandis que Saint-Albin continue comme s'il était seul, Sophie et sa bonne s'avancent et parlent dans les intervalles du monologue de Saint-Albin. Saint-Albin, après une pause, en se promenant et rêvant. — Oui, tout est vu... ils ont conjuré contre moi..., je le sens. Sophie, d'un ton doux et plaintif. — On le veut... Allons, ma bonne. Saint-Albin. — C'est pour la première fois que mon père est d'accord avec cet oncle cruel. Sophie, en soupirant. — Ah ! quel moment ! Madame Hébert. — Il est vrai, mon enfant. Sophie. — Mon cœur se trouble. Madame Hébert. — Ne perdons point de temps, il faut l'aller trouver. Sophie. — Le voilà, ma bonne, c'est lui. Saint-Albin. — Oui, Sophie, oui, c'est moi; je suis Sergi. Sophie, en sanglotant. — Non, vous ne l'êtes pas... (Elle se retourne vers Mme Hébert). Que je suis malheureuse ! Je voudrais être morte. Ah ! ma bonne, à quoi me suis-je engagée ! Que vais-je lui apprendre ? Que va-t-il devenir. Ayez pitié de moi... dites-lui.

Saint-Albin. — Sophie, ne craignez rien. Sergi vous aimait ; Saint-Albin vous adore, et vous voyez l'homme le plus vrai et l'amant le plus passionné. Sophie, soupire profondément. — Hélas ! Saint-Albin. — Croyez-vous que Sergi ne peut vivre, ne veut vivre que pour vous? Sophie. — Je le crois, mais à quoi cela sert-il ? Saint-Albin. — Dites un mot. Sophie. — Quel mot? Saint-Albin. — Que vous m'aimez ! Sophie, m'aimez-vous ? Sophie, en soupirant profondément. — Ah ! si je ne vous aimais pas ! Saint-Albin. — Donnez-moi donc votre main; recevez la mienne et le serment que je fais ici à la face du ciel, et de cette honnête femme qui vous a servi de mère, de n'être jamais qu'à vous. Sophie. — Hélas ! vous savez qu'une fille bien née ne reçoit et ne fait de serments qu'aux pieds des autels... Et ce n'est pas moi que vous y conduirez. Ah ! Sergi, c'est à présent que je sens la distance qui nous sépare ! Saint-Albin, avec violence. — Sophie, et vous aussi? Sophie. — Abandonnez-moi à ma destinée, et rendez le repos à un père qui vous aime. Saint-Albin. — Ce n'est pas vous qui parlez; c'est lui. Je le reconnais, cet homme dur et cruel. Sophie. — Il ne l'est point, il vous aime. Saint-Albin. — Il m'a maudit, il m'a chassé ; il ne restait plus qu'à se servir de vous pour m'arracher la vie. Sophie. — Vivez, Sergi. Saint-Albin. — Jurez donc que vous serez à moi, malgré lui.

Sophie. — Moi, Sergi? ravir un fils à son père ! J'entrerais dans une famille qui me rejette ! Saint-Albin. — Et que vous importe mon père, mon oncle, ma sœur et toute ma famille, si vous m'aimez? Sophie. — Vous avez une sœur. Saint-Albin. — Oui, Sophie. Sophie. — Qu'elle est heureuse ! Saint-Albin. — Vous me désespérez. Sophie. — J'obéis à vos parents. Puisse le ciel vous accorder, un jour, une épouse qui soit digne de vous et qui vous aime autant que Sophie ! Saint-Albin. — Et vous le souhaitez ! Sophie. — Je le dois. Saint-Albin. — Malheur à qui vous a connue, et qui peut être heureux sans vous ! Sophie. — Vous le serez; vous jouirez de toutes les bénédictions promises aux enfants qui respecteront la volonté de leurs parents; j'emporterai celle de votre père, je retournerai seule à ma misère et vous vous ressouviendrez de moi. Saint-Albin. — Je mourrai de douleur et vous l'aurez voulu. (En la regardant tristement). Sophie... Sophie. — Je ressens toute la peine que je vous cause. Saint-Albin, en la regardant encore. — Sophie... Sophie, à Mme Hébert, en sanglotant. — O ma bonne, que ses larmes me font de mal ! Sergi, n'opprimez pas mon âme faible... J'en ai assez de ma douleur... (Elle se couvre les yeux de ses mains.) Adieu, Sergi... Saint-Albin. — Vous m'abandonnez !

Sophie. — Je n'oublierai point ce que vous avez fait pour moi. Vous m'avez vraiment aimée : ce n'est pas en descendant de votre état, c'est en respectant mon malheur et mon indigence que vous l'avez montré. Je me rappellerai souvent ce lieu où je vous ai connu... Ah ! Sergi ! Saint-Albin. — Vous voulez que je meure. Sophie. — C'est moi, c'est moi qui suis à plaindre. Saint-Albin. — Sophie, où allez-vous? Sophie. — Je vais subir ma destinée, partager les peines de mes sœurs et porter les miennes dans le sein de ma mère. Je suis la plus jeune de ses enfants; elle m'aime, je lui dirai tout, et elle me consolera. Saint-Albin. — Vous m'aimiez, et vous m'abandonnez? Sophie. — Pourquoi vous ai-je connu? Ah ! (Elle s'éloigne). Saint-Albin. — Non, non... je ne le puis... Madame Hébert, retenez-la... ayez pitié de nous. Madame Hébert. — Pauvre Sergi ! Saint-Albin, à Sophie. — Vous ne vous éloignerez pas... j'irai... je vous suivrai... Sophie, arrêtez... Ce n'est ni par vous, ni par moi que je vous conjure. Vous avez résolu mon malheur et le vôtre... C'est au nom de ces parents cruels... Si je vous perds, je ne pourrai ni les voir, ni les entendre, ni les souffrir... Voulez-vous que je les haïsse? Sophie. — Aimez vos parents, obéissez-leur ; oubliez-moi. Saint-Albin, qui s'est jeté à ses pieds, s'écrie en la retenant par ses habits. — Sophie, écoutez... vous ne connaissez pas Saint-Albin. Sophie, à Madame Hébert qui pleure. — Ma bonne, venez, venez, arrachez-moi d'ici. Saint-Albin, en se relevant. — Il peut tout oser; vous le conduirez à sa perte... Oui, vous l'y conduirez. (Il marche, il se plaint, il se désespère. Il nomme Sophie par intervalles. Ensuite il s'appuie sur le dos d'un fauteuil, les yeux couverts de ses mains.)

COMMENTAIRE :    1) Sujet de la pièce.    M. d'Orbesson est un gentilhomme. Il aime son fils Saint-Albin et il souhaite son bonheur. Mais celui-ci s'est épris d'une jeune orpheline sans fortune, Sophie. Celle-ci vit de son métier de lingère, chez Mme Hébert, dans une humble maison et, pour être plus près de la jeune fille, Saint-Albin s'est logé dans sa maison, au quatrième, entre quatre murs tout dépouillés. Il laisse ignorer à la jeune fille qu'il est noble et se fait appeler Sergi. M. d'Orbesson croit de son devoir de s'opposer au mariage de son fils, et son beau-frère, le Commandeur, entiché de noblesse, est décidé à intervenir dans le même sens. Il obtient une lettre de cachet pour faire enfermer Sophie et charge le jeune Germeuil, fils d'un ami du père de famille de la faire arrêter. 

famille

« Sophie.

— Qu'elle est heureuse ! Saint-Albin.

— Vous me désespérez. Sophie.

— J'obéis à vos parents.

Puisse le ciel vous accorder, un jour, une épouse qui soit digne de vous et qui vousaime autant que Sophie ! Saint-Albin.

— Et vous le souhaitez ! Sophie.

— Je le dois. Saint-Albin.

— Malheur à qui vous a connue, et qui peut être heureux sans vous ! Sophie.

— Vous le serez; vous jouirez de toutes les bénédictions promises aux enfants qui respecteront la volontéde leurs parents; j'emporterai celle de votre père, je retournerai seule à ma misère et vous vous ressouviendrez demoi. Saint-Albin.

— Je mourrai de douleur et vous l'aurez voulu.

(En la regardant tristement).

Sophie... Sophie.

— Je ressens toute la peine que je vous cause. Saint-Albin, en la regardant encore.

— Sophie... Sophie, à Mme Hébert, en sanglotant.

— O ma bonne, que ses larmes me font de mal ! Sergi, n'opprimez pas monâme faible...

J'en ai assez de ma douleur...

(Elle se couvre les yeux de ses mains.) Adieu, Sergi... Saint-Albin.

— Vous m'abandonnez ! Sophie.

— Je n'oublierai point ce que vous avez fait pour moi.

Vous m'avez vraiment aimée : ce n'est pas endescendant de votre état, c'est en respectant mon malheur et mon indigence que vous l'avez montré.

Je merappellerai souvent ce lieu où je vous ai connu...

Ah ! Sergi ! Saint-Albin.

— Vous voulez que je meure. Sophie.

— C'est moi, c'est moi qui suis à plaindre. Saint-Albin.

— Sophie, où allez-vous? Sophie.

— Je vais subir ma destinée, partager les peines de mes sœurs et porter les miennes dans le sein de mamère.

Je suis la plus jeune de ses enfants; elle m'aime, je lui dirai tout, et elle me consolera. Saint-Albin.

— Vous m'aimiez, et vous m'abandonnez? Sophie.

— Pourquoi vous ai-je connu? Ah ! (Elle s'éloigne). Saint-Albin.

— Non, non...

je ne le puis...

Madame Hébert, retenez-la...

ayez pitié de nous. Madame Hébert.

— Pauvre Sergi ! Saint-Albin, à Sophie.

— Vous ne vous éloignerez pas...

j'irai...

je vous suivrai...

Sophie, arrêtez...

Ce n'est ni parvous, ni par moi que je vous conjure.

Vous avez résolu mon malheur et le vôtre...

C'est au nom de ces parentscruels...

Si je vous perds, je ne pourrai ni les voir, ni les entendre, ni les souffrir...

Voulez-vous que je les haïsse? Sophie.

— Aimez vos parents, obéissez-leur ; oubliez-moi. Saint-Albin, qui s'est jeté à ses pieds, s'écrie en la retenant par ses habits.

— Sophie, écoutez...

vous neconnaissez pas Saint-Albin. Sophie, à Madame Hébert qui pleure.

— Ma bonne, venez, venez, arrachez-moi d'ici. Saint-Albin, en se relevant.

— Il peut tout oser; vous le conduirez à sa perte...

Oui, vous l'y conduirez.

(Il marche, ilse plaint, il se désespère.

Il nomme Sophie par intervalles.

Ensuite il s'appuie sur le dos d'un fauteuil, les yeuxcouverts de ses mains.) COMMENTAIRE : 1) Sujet de la pièce.. »

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