Le personnage de SCAPIN

« C'est ainsi que la scène de la galère a été « empruntée » à la comédie Le Pédant joué, écrite en 1654 par Cyrano deBergerac; tandis que la scène du sac est tirée du répertoire de Tabarin (1584 - 1633), bateleur populaire qui avaitlongtemps distrait les foules sur le Pont-Neuf à Paris.

Enfin, l'ensemble de l'intrigue doit beaucoup à la pièce deTérence intitulée Phormion, du nom de l'esclave rusé qui en est le héros.La pièce, à sa sortie, ne connut pas un grand succès.

Le public de Molière s'était habitué à davantage de finesse etne comprit pas bien ce retour à la tradition populaire.

Boileau (1636 -1711) écrivit dans son Art poétique : « Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe,Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope.

» Pourtant, la pièce retrouva l'engouement du public après la mort de Molière et reste aujourd'hui très appréciée.

C'estl'une des oeuvres de Molière les plus vivantes et les plus drôles, celle où l'intrigue ne sert qu'à lier entre euxd'extraordinaires numéros de virtuosité théâtrale. Quelques pistes Que ce soit dans la tradition italienne ou dans la pièce de Molière, Scapin apparaît comme un homme à l'intelligenceet au dynamisme supérieurs.

L'agilité de son esprit n'a d'égale que celle de son corps.

Et il semble que ce qui lepousse à agir soit d'abord le plaisir de mettre l'un et l'autre à contribution.Scapin aime jouer des tours.

Il puise dans la mise en oeuvre de ses combinaisons une sorte de plaisir intellectuelanalogue, peut-être, à celui ressenti par le joueur d'échecs ou par le politicien caché en coulisse.

L'objectif de sesmanoeuvres (aider son maître, se procurer de l'argent, arranger les affaires de deux amoureux...) n'intéresse Scapinque comme prétexte à l'invention d'une nouvelle ruse, d'une nouvelle « fourberie ».Ainsi Scapin recherche avant tout une certaine forme de plaisir.

Il rappelle par là cet autre grand trompeur, Renart,qui agit plus par instinct de tromperie que par intérêt véritable.

Au-delà de leur habileté à tirer parti de toutes lessituations, ces deux personnages ont en commun la jouissance qu'ils éprouvent à manipuler leur prochain, jouissancepour laquelle ils n'hésitent pas à courir souvent les plus grands risques.Par ailleurs, bien que nous soyons dans le domaine de la farce et de la caricature, le Scapin de Molière annonce unvéritable bouleversement social.Molière nous avait déjà habitués à des figures de valets ou de servantes haussant le ton ou prenant les choses enmain pour sauver leurs maîtres et maîtresses.

On se rappellera par exemple Dorine dans Tartuffe ou l'Imposteur en1664, La Flèche dans L'Avare en 1668 ou Covielle dans Le Bourgeois gentilhomme en 1670.

Mais jamais à ce point onn'avait vu un simple valet prendre la première place et manoeuvrer comme en se jouant tous les autrespersonnages.Cette nouveauté manifeste, chez Molière, la conscience d'une évolution sociale.

Les petits nobles sont devenusincapables de mener leurs affaires : il faut faire appel aux ressources des hommes du peuple.

Avec Scapin, demanière bouffonne mais définitive, l'esprit et l'intelligence prennent le pas sur la naissance et l'argent.De ce point de vue, avec un siècle d'avance, Scapin annonce le Figaro de Beaumarchais.Attention pourtant de ne pas faire de contresens.

Scapin n'est pas un révolutionnaire.

Il n'exprime aucunerevendication et son état ne lui inspire aucune amertume.

Il se plie naturellement à son rôle de valet et ses tours luiprocurent, nous l'avons dit, un plaisir purement intellectuel.

Scapin n'est donc pas révolté, contrairement à Figaroqui exprimera clairement son refus de l'ordre établi et emploiera son intelligence comme une arme plus que comme unoutil ou un jouet.Donc, si Scapin annonce Figaro, c'est plutôt par sa position que par sa psychologie.

Molière fait le portrait d'uneclasse sociale tellement essoufflée qu'elle doit aller chercher chez ses valets, fût-ce en les suppliant, les ressourcesqui lui manquent.

Molière pressent un changement, Beaumarchais montrera les hommes qui en seront issus. Anecdote L'une des scènes les plus fameuses des Fourberies de Sca-pin montre le récit dramatique — et imaginaire — deScapin sans cesse interrompu par un Géronte répétant « Que diable allait-il faire dans cette galère? »Une galère était un navire à rames, en général propulsé par des condamnés.Cette scène a donné naissance à l'expression populaire qui désigne par le mot « galère » une affaire difficile,fastidieuse ou peu rentable dans laquelle on peut se trouver.

Par exten-sion, on dit parfois aujourd'hui « C'est galère», le nom deve-nant un adjectif employé pour qualifier une situation; de même, le verbe « galérer » évoque en argotune activité pénible.. »