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Perte d'auréole (Baudelaire)

Publié le 08/09/2013

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baudelaire

Le pari, qui est à l'origine de la poésie de Baudelaire,

réside dans ce paradoxe: comment affirmer la fidélité à cette

origine d'où provient la création poétique, tout en adhérant à

une réalité qui nie cette origine? Il est évident que la réponse

à cette question suppose le changement de la notion même de

poésie, et une nouvelle définition de la beauté.

C'est en cela que Baudelaire a été l'inventeur d'une esthétique

nouvelle, ce que l'on a appelé, de façon quelque peu

sommaire, «une esthétique de la laideur«. La poésie ne

s'identifie plus à l' «auréole« du poète, puisqu'il a perdu

celle-ci, mais à la trace que cette auréole a laissée dans le

ruisseau où elle est tombée.

Les valeurs esthétiques ne procèdent plus d'un idéal

lointain, d'un modèle fixé une fois pour toutes, mais de la

volonté de le retrouver et surtout de la conscience de ne

pouvoir y atteindre.

Certes, il y a chez Baudelaire une fascination pour la

beauté impassible qu'il a chantée dans un sonnet célèbre.

Mais il faut déchiffrer dans ces vers moins un manifeste

parnassien en faveur de l'art pour l'art que les tortures infligées

au poète par la conscience de son impuissance à atteindre

cette beauté. Comme dans «Le Confiteor de l'Artiste«,

l'accent est déplacé sur les souffrances du poète terrassé par

un infini qui le nargue.

La fascination pour la ville et pour la foule ne doit pas être

confondue chez Baudelaire avec la tentation de s'immoler à

ces nouvelles idoles qui sont, peut-être, les incarnations modernes

de l'éternel Veau d'or. C'est précisément parce que

Baudelaire était conscient des dangers de cette hypnose, de la

puissance de destruction de ces narcotiques d'un nouveau

genre que, loin de se soumettre à cette pression sociale, il a

essayé d'exorciser par la poésie la rage de consommation qui

aliène l'homme à la marchandise, ce processus de « réification

« qui transforme l'individu en objet d'échange et le pétrifie

en automate.

baudelaire

« poétique des Fleurs du Mal met en jeu une stratégie de résistance aux agressions multiples du monde extérieur.

C'est en ce sens que Benjamin parle d'une technique «des coups de main» qui fait également penser aux «sorties» que l'on peut tenter à partir d'un camp retranché.

Ce camp retranché est désormais la position de l'art face à la banalisation du· Mal, qui correspond à l'apparition de l'Homme-Masse.

Cela expli­ que aussi que, à partir de Baudelaire, l'arme privilégiée des poètes sera «l'imprévu», seul capable de rompre l'étau de la routine et du conformisme.

Comme l'a montré Benjamin, la démarche poétique de Baudelaire fait penser à la posture tendue et crispée d'un escrimeur sans cesse obligé de parer les coups.

Son dandysme même s'explique aussi par cette attitude de défense devant un environnement menaçant.

Les chocs d'images, qui rythment de leurs fulgurances soudaines les grands poèmes des «Ta­ bleaux parisiens», sont la riposte aux chocs multiples que le flâneur est exposé à recevoir dans la jungle des villes, selon une image fort banalisée depuis Balzac et Eugène Sue, mais toujours pertinente.

Ce combat permanent avec une réalité hostile explique peut­ être ce que Baudelaire a voulu dire quand il a écrit dans «Le Confiteor de l'artiste» : «L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu.

» Cet aveu montre combien le pressentiment de l'échec est inscrit dans les conditions mêmes de production de la poésie baudelairienne, ces mêmes condi­ tions existentielles qui en déterminent «la modernité».

Les déflagrations produites par la rencontre insolite de termes de registres opposés peuvent se lire comme les signaux de détresse que lance dans la nuit et la brume un bateau qui fait naufrage.

Ce sont autant de cris d'alarme et d'appels au secours qui retentissent dans les fulgurances soudaines des chocs des oxymorons, dans le heurt des prosaïsmes et des archaïsmes, des mots jadis «nobles» et désormais tombés en désuétude.

Certes, on pourra faire valoir que, dans ce poème en prose du «Spleen de Paris», Baudelaire se réfère à un autre «duel» que celui qui le met aux prises avec le milieu où il vit.

L'ennemi désigné par le poète est, en effet, la beauté de la Nature dont l'inaccessible perfection le désespère.. »

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