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A peu prés rien

Publié le 19/06/2012

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Jacques Prévert est un poète, parolier et scénariste français du XXème siècle, dont l’œuvre par son oralité et ses thèmes plein de tendresse et de révolte, a su toucher un très large public.  Nous allons étudier « Etranges étrangers » extrait de La pluie et le beau temps publié en 1955. Nous allons voir dans un premier temps la tendresse que Prévert éprouve à l’égard des étrangers, dans un deuxième temps comment il dénonce l’injustice de la société à leur égard, et enfin, que cette position de l’auteur reste d’actualité. Prévert éprouve une certaine tendresse à l’égard des « doux petits musiciens », il évoque la couleur de peau de ces jeunes quand il les qualifie de « soleils adolescents ». Lorsqu’il parle des esclaves noirs de Fréjus, il leur associe la douceur de leur vie passée : « tous les échos de vos villages / tous les oiseaux de vos forêts ». On voit la sensibilité de Prévert qui est touché par cette beauté de la nature que ces hommes avaient connue. Lorsqu’il évoque le Sénégal et l’Indochine c’est de leurs «enfants » qu’il parle et non d’étrangers indésirables. Prévert évoque leur insouciance passée : « Jongleurs aux innocents couteaux », il montre bien que ces armes blanches, n’étaient pas utilisées pour tuer mais uniquement pour le divertissement. De même les « jolis dragons d’or » rappellent les jeux de pliage des enfants qui avec de simples papiers créent des personnages oniriques.  L’association des mots de la même famille « Etranges étrangers » souligne par sa musicalité, la tristesse que Prévert ressent à leur endroit. Pourquoi sont-ils étranges ? Par leur aspect physique, par leurs coutumes différentes ou parce que malgré leur malheur, ils restent en France ? Le poète appuie sur ces diversités et insiste sur le fait, que pourtant ils font entièrement partie de la société : « Vous êtes de la ville / vous êtes de sa vie ». Tout au long du poème, l’auteur emploie le discours direct : il s’adresse à tous ceux que la vie a martyrisés et leur délivre un message d’espoir : « même si mal en vivez / même si vous en mourez ». Ils sont des éléments de la France à part entière. Mais pourquoi sont-ils là ? En effet, leur présence doit avoir une raison et c’est par une phrase assassine que Prévert l’explique : « pour avoir défendu en souvenir de la vôtre / la liberté des autres ». Effectivement, ils étaient tous libres. Et c’est au nom de cette liberté qu’ils se sont mobilisés au service de la France. Et pour récompense ils ont obtenu la détérioration de leur vie. Incontestablement, ils sont très nombreux. L’évocation de tous les lieux à Paris : « Chapelle » ; « Javel » ; « Porte d’Italie » ; « Porte de Saint Ouen » ; « Aubervilliers » ; « Marais » ; « Temple » ; « Rosiers » ; … insiste sur le fait qu’ils sont partout. Prévert énumère toutes les nationalités étrangères présentes à Paris : « Kabyles » (algériens) ; « Tunisiens » ; Polonais ; Espagnols ; Sénégalais ; …. Il utilise des périphrases pour les désigner : « hommes des pays loin » ; « cobayes des colonies », sachant que cobaye a une connotation péjorative les associant à des animaux que l’on manipule. L’emploi du mot colonie rappelle le passé peu glorieux de la colonisation. L’énumération des étrangers est en gradation : « Boumians » et « Polacks » appartiennent au langage populaire, « Apatrides » sous-entend qu’ils viennent de nulle part ; enfin « Esclaves » est la pire déchéance de l’être humain. On a l’impression que chaque communauté est parquée dans des ghettos : « Kabyles de la Chapelle » ; « Boumians de la porte de Saint Ouen » ; « Tunisiens de Grenelle » ; … Ils mènent tous une vie misérable : « brûleurs de grandes ordures » ; « ébouillanteurs des bêtes » ; … Ce sont des métiers de sous-hommes dont personne ne veut et qu’ils sont obligés d’accepter pour vivre ou survivre. L’auteur joue sur les mots pour commenter leur travail aléatoire : « embauchés débauchés » ; « manœuvres désœuvrés ». Ainsi, rien ne leur garantit de garder leur emploi. Même ceux qui vivent loin de Paris et qui pourraient profiter de la mer au bord de laquelle ils vivent, doivent supporter des conditions misérables : « mer / où peu vous vous baignez » ; « Esclaves » ; « parqués » ; « locaux disciplinaires ». Un malaise s’installe dans les oppositions de mode de vie : « face à une boite à cigares » et « quelques bouts de fil de fer » se trouvent : « tous les échos de vos villages / tous les oiseaux de vos forêts », l’anaphore « tous » amplifie ce qu’ils ont perdu. Lorsque ceux de Fréjus peuvent venir à Paris, c’est pour défiler à l’occasion d’une fête qui n’est pas la leur ; ils font partie du décor. L’auteur rappelle ce que la France a fait de ces hommes : « dépatriés » : elle leur a enlevé leur patrie ; « expatriés » : elle les a sortis de leur pays ; « naturalisés » : elle leur a donné une nouvelle identité, de leur enfance volée : « Enfants trot tôt grandis », de leur expatriation : « très vite en allés » et de leur abandon : « de retour au pays / le visage dans la terre ». Enfin, il évoque par une phrase dévastatrice, la trahison de la France : « on vous a retourné / vos petits couteaux dans le dos ».  Par ailleurs, la poésie de Prévert a une certaine modernité, les rythmes sont saccadés, il n’y a pas d’alexandrins, pas de rimes. La forme n’est pas fixe, c’est un nouveau langage. Il n’y a aucune ponctuation, on peut la lire sur le ton que l’on souhaite. C’est une poésie assez imaginative, elle nous distrait mais tout en dénonçant. Cela ressemble plus à de la prose qu’à de la poésie. En définitive, ce poème dénonce les dures réalités de ceux qu’on appelle les étrangers. Il condamne l’injustice dont ils sont victimes. Ainsi, cette critique de Prévert peut s’adresser à l’Etat qui n’a pas remercié ces « étrangers » pour l’aide qu’ils lui ont apportée en se mettant à son service. Mais aussi à la société qui ne sait pas voir au-delà des apparences la valeur de l’être humain.

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