Devoir de Philosophie

Peut-on concevoir une matière pensante ?

Publié le 05/03/2004

Extrait du document

MATIÈRE (lat. materia, matière, principe des choses)

Méta. S'oppose à la forme. Pour Aristote et les scolastiques, la matière est puissance que la forme actualise. Ainsi, le marbre (matière) peut devenir colonne ou statue, la forme étant le principe qui organise et détermine la matière, et le tout concret, la statue, étant un composé de la matière et de la forme. Phi. Descartes identifie la matière à l'étendue qui se prête au calcul rationnel, et non à la consistance, au poids et à la couleur d'une chose, qui n'en sont que des qualités secondes touchant nos sens. Crit. Kant appelle matière d'un phénomène « ce qui dans le phénomène correspond à la sensation » et se trouve donné a posteriori, par opposition à sa forme. intuition. Mor. La matière d'un acte est l'accomplissement effectif de cet acte, abstraction faite de l'intention de l'agent. Par opposition à la forme d'un acte (l'intention qui le motive) d'après laquelle Kant définit sa moralité. devoir. Log. La matière d'un raisonnement ou d'une simple proposition se distingue de leur forme. Par ex., les termes « arbre » et « chêne » constituent la matière de la proposition « tous les chênes sont des arbres », alors que sa forme est celle de toute proposition universelle affirmative de type « tout A est B ». Ainsi, la proposition « tous les hommes sont mortels » a la même forme que la proposition précédente bien que sa matière soit différente.

PEUT-ON : Ce genre de sujet interroge sur la capacité, la faculté, la possibilité de faire ou de ne pas faire quelque chose, d'être ou de ne pas être. Il faudra distinguer la possibilité technique et la possibilité morale.

Concevoir une chose est l’activité par laquelle nous nous la représentons, par laquelle nous la figurons devant nos yeux. Mais concevoir, par delà cette acception courante du terme, c’est aussi formuler le concept d’une chose, c'est-à-dire la définition de sa nature propre. La matière est la substance qui constitue les corps, ce dont les corps sont faits et constitués. Elle peut être de différentes natures, comme la matière organique des être vivants ou la matière minérale des êtres inanimés. Traditionnellement, la matière a été pensée dans un rapport d’altérité par rapport a la pensée. La matière serait la composante des corps, la pensée une faculté attachée au corps mais non corporelle : c’est l’esprit qui est pensant, non la matière. Cette dualité et cette incompatibilité ont été représentées au moyen du couple de l’âme et du corps : le corps serait matériel et l’âme de nature spirituelle, il s’agirait de deux substances absolument hétérogènes dont la difficulté est de penser la communication. Cependant, peut être est-il possible de concevoir l’âme et le corps non comme des substances hétérogènes, mais de manière à faire de la matière elle-même une substance pensante. Nous nous demanderons si le concept de matière pensante est une contradiction dans les termes, ou s’il est possible de concevoir la matière comme une substance à laquelle appartient en propre la pensée.

« Dans Le rêve de d'Alembert , Diderot montre dans quelle mesure on peut concevoir la matière comme une substance pensante.

Il fait la genèse de la faculté de penser dans la matière au cours de ce passage que nous reproduisons : "Diderot : Je fais donc de la chair ou de l'âme, comme dit ma fille, une matière activement sensible ;et si je ne résous pas le problème que vous m'avez proposé, du moins j'en approche beaucoup : carvous m'avouerez qu'il y a bien plus loin d'un morceau de marbre à un être qui sent, que d'un être quisent à un être qui pense.

(…) Avant que de faire un pas en avant, permettez-moi de vous faire l'histoire d'un des plus grandsgéomètres de l'Europe.

Qu'était-ce d'abord que cet être merveilleux ? Rien.D'Alembert : Comment rien ? On ne fait rien de rien.Diderot : Vous prenez les mots trop à la lettre.

Je veux dire qu'avant que sa mère, la belle etscélérate chanoinesse Tencin, eût atteint l'âge de puberté, avant que le militaire La Touche fûtadolescent, les molécules qui devaient former les premiers rudiments de mon géomètre étaient éparsesdans les jeunes et frêles machines de l'une et de l'autre, se filtrèrent avec la lymphe, circulèrent avecle sang, jusqu'à ce qu'enfin elles se rendissent dans les réservoirs destinés à leur coalition, lestesticules de sa mère et de son père.

Voilà ce germe rare formé; le voilà, comme c'est l'opinioncommune, amené par les trompes de Fallope dans la matrice ; le voilà attaché à la matrice par un longpédicule ; le voilà, s'accroissant successivement et s'avançant à l'état de fœtus; voilà le moment desa sortie de l'obscure prison arrivé ; le voilà né, exposé sur les degrés de Saint-Jean-le-Rond qui luidonna son nom ; tiré des Enfants-Trouvés ; attaché à la mamelle de la bonne vitrière madameRousseau ; allaité, devenu grand de corps et d'esprit, littérateur, mécanicien, géomètre.

Commentcela s'est-il fait ? En mangeant, et par d'autres opérations purement mécaniques ».

( Le rêve de d'Alembert , collection Bouquins, Editions Robert Laffont, Paris, 1994, pages 613-614). Cet extrait nous permet de voir que la matière est pensante, qu'une telle idée est concevable en un sensphilosophique, dans la mesure où le modèle de la nutrition en rend raison : de même qu'il y a continuité de l'inerte auvivant (quand je mange, je fais devenir chair sensible ce qui était dépourvu de sentiment, purement matériel) lapensée est une faculté émergente de la matière.

C'est donc la matière elle-même qui est pensante, et nouspouvons le concevoir.

III. Les apories du matérialisme : la matière n'est pensante qu'au moyen d'un surgissement ex nihilo a.

Le miracle de la matière inerte pensante : une aporie du matérialisme Le matérialisme du XVIIIe renoue avec le postulat de Lucrèce (exprimé dans son De la nature ) : « ex nihilo nihil », rien ne peut sortir de rien.

Puisque rien ne saurait venir de rien, l'inorganique connait déjà la sensibilité et la vie.

Il ya donc une sensibilité, une subjectivité de l'inanimé, qui est affaiblie par rapport à celle de l'organique, mais qui n'enest pas moins réelle.

Pour Diderot, la pensée est déjà présente dans l'inorganique avec un degré différent selon lesêtres, inanimés ou vivants, mais elle est néanmoins commune à tous.

Par conséquent, le monisme de Diderot nousconduit à nous représenter la pierre comme un être pensant, tout ce qu'il y a d'inanimé dans l'univers, toute matière(y compris la matière non organique) comme une matière pensante, qui détient la pensée en puissance.

b.

La matière ne devient pensante qu'à la suite d'un surgissement ex nihilo A présent que nous avons montré cette aporie du matérialisme, nous ne prétendons pas renouer avec un modèledualiste, faisant de la matière une substance unie à une substance hétérogène qui est la pensée.

Néanmoins, nousdevons concevoir la matière pensante en un autre sens que Diderot : si la matière est pensante, c'est à la suited'un surgissement ex nihilo, d'une causalité qui ne nait à proprement parler de rien.

C'est Quentin Meillassoux dansun ouvrage intitulé « Par delà la finitude » (2006) qui défend cette thèse : la matière est pensante, non intrinsèquement comme chez les matérialistes du XVIIIe siècle, mais parce que la pensée est devenue unecaractéristique de la nature suite à l'émergence d'une virtualité (pour Meillassoux, la virtualité est le domaine d'uneproduction d'effet qui ne s'inscrivent pas dans une totalisation a priori des possibles : elle est le surgissement d'unévènement qui bouscule et contredit les lois à l'œuvre dans le monde) dans le système de possibilités du monde.Ainsi, la coordination de l'hétérogène pur (c'est-à-dire de la matière avec la pensée) est la trace du surgissement ex. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles