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Peut-on dire "à chacun sa vérité" ?

Publié le 26/03/2004

Extrait du document

► «À chacun sa vérité«, formule rendue célèbre par le titre d'une pièce de Pirandello (1867-1936), est une expression que l'on invoque lorsqu'il s'agit de suspendre une discussion où l'accord ne parvient pas à se faire. Elle revient à affirmer qu'il faut renoncer à chercher une vérité sur laquelle plusieurs personnes pourraient s'entendre: le vrai ne serait pas propriété commune mais individuelle. Il s'agit là d'une thèse sceptique (tradition selon laquelle la raison humaine est incapable d'accéder à une quelconque certitude).
Attention à la formulation précise du sujet. Ne confondez pas : « dire à chacun sa vérité « (ou ses vérités : être d'une franchise un peu brutale) et : dire « à chacun sa vérité «... Les guillemets signalent clairement qu'il est ici question de la locution proverbiale, qu'on cite souvent pour clore un débat.
La formule à chacun sa vérité, c'est le relativisme : toutes les thèses, toutes les valeurs, se valent. C'est une thèse à laquelle on adhère aujourd'hui communément, on ne veut pas imposer aux autres notre pensée ou ce qu'ils doivent penser... au nom de la liberté d'opinion. Mais la question posée sous-entend que cela fait problème : peut-on c'est est-il possible mais aussi a-t-on le droit. C'est-à-dire : la formule ... est-elle valide ? ne se détruit-elle pas elle-même ? Mais encore : doit-on accepter toutes les opinions ?
Introduction : position du problème.
  • Première partie : étude de l'expression « À chacun sa vérité « du point de vue de sa signification.
1) Circonstances qui déterminent l'usage de l'expression.
2) Signification de l'expression.
3) Fonction de l'expression.
  • Deuxième partie : étude de l'expression « À chacun sa vérité « du point de vue de sa valeur.
1) Exposé et critique du relativisme philosophique.
2) Analyse philosophique de la notion de vérité ; réfutation de l'expression par la distinction entre vérité et opinion.
3) Exposé du scepticisme philosophique et réfutation d'un contresens à son sujet : le scepticisme n'a rien d'un mépris de la vérité.
  • Troisième partie : étude du problème particulier des rapports entre vérité et tolérance.
 
1) Une certaine indifférence au vrai ne favorise-t-elle pas la tolérance?
2) Analyse de la notion de tolérance.
3) Réfutation du point de vue exprimé en 1).
 
Conclusion : réponse à la question.



« accord universel.

Mais une vérité universelle n'est pas pour autant absolue.

En effet, une vérité n'est universelle quesous certaines conditions.

Par exemple, en géométrie, dans le cadre des principes d'Euclide, un certain nombre dethéorèmes sont universellement valables.

Il suffit pourtant de raisonner à partir d'autres principes, dans desgéométries non euclidiennes, pour que ces théorèmes cessent d'être vrais.

Ou encore, un énoncé empirique du type«il pleut» est jugé vrai dans la mesure où, compte tenu des usages linguistiques, le phénomène appelé «pluie» estcelui qui se produit sous les yeux de celui qui formule cet énoncé.

Si, en face de la pluie, le sujet qui sait ce qu'estla pluie affirmait qu'il ne pleut pas, il contredirait son propre usage du terme de «pluie» ainsi que ceux de son groupelinguistique.

Le vrai est donc universel mais d'une universalité qui suppose toujours des conditions déterminées.

Cequi est commun à toute vérité, par conséquent, c'est son caractère nécessaire: est vrai ce qui, sous certainesconditions, démonstratives, empiriques ou linguistiques, ne peut pas ne pas être affirmé.

La vérité est ce quis'impose à tous les esprits.

Elle ne saurait donc être, par nature, une affaire individuelle. 3.

À chacun sa vérité A.

De la vérité à la question du sensLe scepticisme aurait donc tort.

Le vrai ne partagerait pas la subjectivité de nos sens.

Et s'il est effectivementrelatif, il ne saurait s'agir d'une relativité individuelle.

Pourtant, si l'on cesse de raisonner sur ce que les hommesaffirment et tiennent pour vrai, considéré abstraitement, en dehors du contexte dans lequel ces énoncés prennentsens, il est possible de rejoindre l'intuition de Pirandello.

Car quand deux hommes soutiennent la même chose etpartagent un avis, est-on jamais sûr qu'ils comprennent de la même manière ce sur quoi ils s'accordent? Ce qu'onappelle une vérité est un énoncé envisagé d'un point de vue strictement logique ou théorique, sans considérationd'autres principes de signification que la définition des termes qui le composent.

Mais dès lors qu'un individu parle eténonce quelque chose, son propos a un sens qui dépasse son contenu strictement logique.

La proposition «c'est unchien» peut avoir non seulement un impact affectif différent selon qu'on aime ces animaux ou qu'on en a peur, maisla valeur significative du terme «chien» peut varier d'un individu à l'autre: un enfant, un membre de la SociétéProtectrice des Animaux, un aveugle, un citadin exaspéré par les excréments de ces braves bêtes...

comprendrontdifféremment le mot «chien». Le sophiste Protagoras , écrit Diogène Laerce « fut le premier qui déclara que sur toute chose on pouvait faire deux discours exactement contraires, et il usa de cette méthode ». Selon Protagoras , « l'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont en tant qu'elles sont, de celles qui ne sont pas en tant qu'elles ne sont pas » Comment doit-on comprendre cette affirmation ? Non pas, semble-t-il, par référence à un sujet humain universel, semblable en un sens au sujet cartésien ou kantien, mais dans le sensindividuel du mot homme, « ce qui revient à dire que ce qui paraît à chacun est la réalité même » ( Aristote , « Métaphysique », k,6) ou encore que « telles m'apparaissent à moi les choses en chaque cas, telles elles existent pour moi ; telles elles t'apparaissent à toi, telles pour toi elles existent » (Platon , « Théétète », 152,a). Peut-on soutenir une telle thèse, qui revient à dire que tout est vrai ? Affirmer l'égale vérité des opinionsindividuelles portant sur un même objet et ce malgré leur diversité, revient à poser que « la même chose peut, à la fois, être et n'être pas » ( Aristote ).

C'est donc contredire le fondement même de toute pensée logique : le principe de non-contradiction., selon lequel « il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport ».

Or, un tel principe en ce qu'il est premier est inconditionné et donc non démontrable.

En effet, d'une part, s'il était démontrable, il dépendrait d'un autre principe, mais un telprincipe supposerait implicitement le rejet du principe contraire et se fonderait alors sur la conséquence qu'il étaitsensé démontrer ; on se livrerait donc à une pétition de principe ; et d'autre part, réclamer la démonstration detoute chose, et donc de ce principe aussi, c'est faire preuve d'une « grossière ignorance », puisqu'alors « on irait à l'infini, de telle sorte que, même ainsi, il n'y aurait pas démonstration ».

C'est dire qu' « il est absolument impossible de tout démontrer », et c ‘est dire aussi qu'on ne peut opposer, à ceux qui nient le principe de contradiction, une démonstration qui le fonderait, au sens fort du terme. Mais si une telle démonstration est exclue, on peut cependant « établir par réfutation l'impossibilité que la même chose soit et ne soit pas, pourvu que l'adversaire dise seulement quelque chose ».

Le point de départ, c'est donc le langage, en tant qu'il est porteur d'une signification déterminée pour celui qui parle et pour son interlocuteur.

Or,précisément, affirmer l'identique vérité de propositions contradictoires, c'est renoncer au langage.

Si dire « ceci est blanc », alors « blanc » ne signifie plus rien de déterminé.

Le négateur du principe de contradiction semble parler, mais e fait il « ne dit pas ce qu'il dit » et de ce fait ruine « tout échange de pensée entre les hommes, et, en vérité, avec soi-même ».

En niant ce principe, il nie corrélativement sa propre négation ; il rend identiques non pas seulement les opposés, mais toutes choses, et les sons qu'il émet, n'ayant plus de sens définis, ne sont que desbruits.

« Un tel homme, en tant que tel, est dès lors semblable à un végétal. " Si la négation du principe de contradiction ruine la possibilité de toute communication par le langage, elle détruitaussi corrélativement la stabilité des choses, des êtres singuliers.

Si le blanc est aussi non-blanc, l'homme non-homme, alors il n'existe plus aucune différence entre les êtres ; toutes choses sot confondues et « par suite rien n'existe réellement ».

Aucune chose n'est ce qu'elle est, puisque rien ne possède une nature définie, et « de toute façon, le mot être est à éliminer » ( Platon ). La réfutation des philosophes qui, comme Protagoras , nient le principe de contradiction a donc permis la mise en évidence du substrat requis par l'idée de vérité.

Celle-ci suppose qu'il existe des êtres possédant une nature. »

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