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Un philosophe a défini l'intelligence : « La fonction qui adapte des moyens à des fins. » ?

Publié le 27/03/2004

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Un philosophe a défini l'intelligence : « La fonction qui adapte des moyens à des fins. » Cette formule vous paraît-elle présenter les deux conditions d'une bonne définition : convenir à tout le défini et au seul défini ? Descartes, dans la cinquième partie du Discours de la Méthode, différencie l'homme de l'animal par les deux traits suivant : Le langage artificiel ou conventionnel et la faculté de s'adapter. Mais le langage artificiel consiste à «composer» les signes, c'est-à-dire à les ajuster les uns aux autres et à la chose à désigner, en définitive à les adapter. Pouvoir s'adapter était donc, pour Descartes, la caractéristique essentielle de l'homme, le signe de l'intelligence ou de la raison : « au lieu que ces organes (des,animaux) ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière », « la raison est un instrument qui peut servir en toutes sortes de rencontres ». Les philosophes modernes, et surtout les psychologues, ont repris cette idée et voient volontiers dans l'intelligence la fonction qui adapte des moyens à des fins. Cette définition est-elle parfaite ? D'abord convient-elle à tout le défini, et l'intelligence a-t-elle pour fonction unique d'adapter les moyens à la fin ? Ensuite convient-elle au seul défini, c'est-à-dire est-elle seule à réaliser cette adaptation ?

« Adapter les moyens à la fin est bien une des fonctions de l'intelligence et la fonction essentielle sinon unique de l'intelligence pratique.Qu'est-ce qu'un ingénieur intelligent ? Celui qui trouve les meilleurs moyens, c'est-à-dire les moyens les plus économiques, les plus sûrs,les plus esthétiques, de réaliser le résultat que veut obtenir celui qui fait appel à ses services.

De même, le chef intelligent est celui quisait se faire obéir sans recourir aux procédés extrêmes que sont les renvois et les punitions.

Dans le travail intellectuel lui-même,l'intelligence se manifeste dans la faculté de s'adapter : nous le savons par expérience, nos échecs en dissertation philosophique tiennentbeaucoup moins à notre ignorance qu'à notre maladresse à adapter notre savoir à la solution du problème posé.Mais l'adaptation des moyens à des fins n'est pas la fonction unique de l'intelligence.

On peut même douter que ce soit là sa fonctionessentielle, celle qui donne l'explication la plus profonde de la grande prérogative de l'homme.D'abord, en définissant l'intelligence la faculté d'adapter les moyens aux fins, on suggère qu'elle a pour fonction essentielle la pratiqueou, suivant le mot de M.

Bergson, qu'elle n'est qu'une «annexe de la faculté d'agir».

Or, s'il est légitime de penser que ce sont lesnécessités de l'action qui ont provoqué la réflexion de l'homme et développé son intelligence — ce n'est pas le lieu de discuter cettehypothèse — il est bien évident que l'homme civilisé ne réfléchit pas seulement dans le but de diriger son action, mais qu'il cherche aussià comprendre pour comprendre.

Servir à l'action est une des fonctions de l'intelligence, mais non la seule.

L'intelligence établit desrapports de causalité en vue d'un résultat à obtenir; mais elle en établit aussi dans le seul but de connaître les relations causales quirelient les phénomènes entre eux.D'ailleurs l'intelligence ne se borne pas à la considération des rapports de causalité.

Elle perçoit aussi des rapports d'identité, d'égalité, deressemblance...

Les mathématiques, dans lesquelles l'intelligence intervient pour ainsi dire à l'état pur, c'est-à-dire sans souci immédiatde réalisation pratique, procèdent en établissant des rapports d'identité ou d'équivalence.Enfin, il ne paraît pas très psychologique de caractériser l'intelligence par cette fonction d'adaptation : elle est aussi et même surtout lafaculté de contrôler si, dans les groupements de choses ou d'idées qui se présentent à elle, il y a adaptation ou non.

Pour l'élève qui doitrésoudre un problème en faisant appel à ses connaissances acquises, adapter son acquis à la solution du problème posé est affaired'intelligence; mais c'est aussi un acte d'intelligence que le jugement du correcteur déclarant que le sujet est bien ou mal traité.

Ne serait-il pas même plus juste de dire que l'intelligence se borne à cette fonction de contrôle ? Les moyens sont proposés par l'imagination, etl'intelligence n'a qu'à choisir entre ce que l'imagination propose.Nous pouvons cependant accorder que l'adaptation des moyens à la fin est une des fonctions de l'intelligence : c'est la réduction del'intelligence à cette fonction qui ne peut être admise.De plus l'adaptation des moyens à une fin ne semble pas la fonction essentielle de l'intelligence, même de l'intelligence pratique.Tout d'abord, en définissant l'intelligence par la fonction de s'adapter, on la fait connaître, non pas en elle-même, mais par une de sesmanifestations extrinsèques, par une de ses applications.

C'est l'acte ou la fonction propre de l'intelligence qu'il faudrait préciser.Or, si nous réfléchissons au mode d'activité de l'esprit qui.

adapte les moyens aux fins ou les principes aux conséquences, et si nouscherchons l'élément commun à toute activité' de l'intelligence, nous trouverons, semble-t-il, l'intuition de rapports.

Toute activité théoriquede l'intelligence, c'est-à-dire toute activité n'ayant pour but que de comprendre, se ramène à une intuition de rapports.

Quant à l'activitépratique, elle comporte sans doute l'adaptation des moyens à la fin poursuivie, mais cette adaptation est dirigée par l'intuition desrapports qui relient les moyens à la fin : c'est l'intuition de ces rapports qui rend cette activité intelligente.L'adaptation des moyens à la fin peut donc servir de signe pratique de l'intelligence, mais on ne peut définir l'intelligence par cettefonction d'adapter des moyens à des fins : cette définition ne convient pas à tout le défini.

Convient-elle au seul défini ? Que l'intelligence soit le seul mode d'activité qui adapte les moyens à la fin fait figure de principe premier : ne pas admettre cetteproposition semble équivaloir au rejet du principe de raison suffisante.

Cependant, il est facile de le montrer, il y a bien des cas danslesquels nous constatons que des moyens sont adaptés à des fins déterminées sans qu'intervienne l'intelligence.Observons l'animal.

Voici un oiseau enfermé dans une cage truquée, qui s'ouvrira lorsque le captif ira se percher sur un trapèze dont ilprovoquera le balancement.

Il se heurte au grillage, s'agrippe aux barreaux, saute d'un perchoir sur l'autre.

C'est par hasard qu'il s'arrêtesur le trapèze qui commande l'ouverture de sa prison.

Mais c'est par choix que après quelques expériences de ce genre, lorsqu'il sera denouveau emprisonné, il se posera sur le trapèze libérateur : il adaptera alors les moyens à la fin, recouvrer sa liberté.

Dirons-nous qu'ilagit intelligemment P Non, car il s'est contenté de voleter au hasard et de répéter les mouvements fortuits qui aboutissaient au résultatdésiré.

Pour être intelligent, il faut autre chose.

Quoi, nous le préciserons tout à l'heure.Arrêtons-nous maintenant devant une abeille qui bâtit son alvéole suivant les règles immuables de son espèce, ou devant une araignéequi tisse sa toile et la dispose de telle sorte qu'elle atteigne son but : capturer des mouches.

Là, point de tâtonnements : l'insecte vadevant soi avec la sûreté d'un vieux praticien.

Nous ne dirons pas qu'il agit intelligemment.

Son habileté, nous l'expliquons par l'instinct,et l'instinct s'oppose à l'intelligence; cependant, ici, plus que dans le cas précédent, il y a adaptation de moyens à une fin.Si nous passons à l'homme, nous retrouverons les activités adaptées, et cependant inintelligentes, observées chez l'animal.Nous aussi, nous procédons parfois par sélection de tâtonnements fortuits, retenant pour-les reproduire ceux que nous savons procurerl'effet désiré.

C'est ainsi que procède le paysan pour le choix de ses engrais, ou même le médecin pour celui des remèdes.

Ce procédéest propre à la méthode empirique, celle dans laquelle l'intelligence joue le rôle le plus effacé.Il n'est guère, chez l'adulte du moins, de savoir-faire instinctif, mais on y trouve, multiplié, leur équivalent : les routines.

Voici un artificiervieilli dans le métier.

Il sait préparer à coup sûr les mélanges qui produiront les plus fortes explosions ou les couleurs les plus agréables :il adapte parfaitement les moyens à la fin.

Cependant, nous ne dirons pas qu'il est intelligent.Ce n'est donc pas l'intelligence seule qui adapte les moyens aux fins.

Par suite, nous devons conclure que la définition de l'intelligencepar l'adaptation des moyens à la fin ne peut pas être retenue : elle ne convient pas au seul défini. Que faut-il donc pour que l'adaptation soit attribuée à l'intelligence ? Qu'elle soit déterminée par la connaissance des rapports qu'il y.

aentre les moyens et la fin.

Chez l'oiseau habitué à ouvrir sa cage en se posant sur le perchoir dont le mouvement déclenche l'ouverture,chez l'insecte suivant rigoureusement les rites ancestraux, il y a une association de représentations ou de mouvements : il n'y a pointd'intuition des rapports qui existent entre ces divers mouvements.

De même, l'ouvrier artificier sait quel produit donnera à la flamme uneteinte verte ou rouge : il ignore pourquoi la teinte est de cette couleur.Il semble donc qu'une définition de l'intelligence convenant à tout le défini et au seul défini serait la suivante : l'intelligence est la facultéde percevoir des rapports.. »

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