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Plutarque, Vies parallèles (extrait)

Publié le 13/04/2013

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plutarque

Les Vies parallèles de Plutarque, traduites et adaptées par Jacques Amyot en 1559 sous le titre de Vies des hommes illustres, constituent un répertoire d’exemples proposés à l’admiration et à l’imitation des hommes de la Renaissance, comme elles l’ont été dans l’Antiquité. Séduit par l’élévation morale d’illustres personnages, Plutarque oppose la vie d’un grand homme grec à celle d’un grand personnage romain. En proposant le portrait d’Alexandre le Grand (en parallèle avec celui de Jules César), il expose plus une biographie exemplaire et mythique qu’un éclairage historique des actions politiques et militaires du roi de Macédoine. Dans ce passage où Alexandre le Grand dompte le cheval Bucéphale, Plutarque dresse la figure téméraire et ombrageuse du grand conquérant macédonien, dont l’avenir est tout entier contenu dans l’ambition.

Portrait d’Alexandre le Grand, par Plutarque

 

Au reste comme Philonicus Thessalien eût amené au roi Philippe le cheval Bucéphale pour le lui vendre, en demandant treize talents, ils descendirent en une belle carrière pour l’essayer et le piquer. Il fut trouvé si rebours et si farouche, que les écuyers disaient que l’on n’en pourrait jamais tirer service, à cause qu’il ne voulait pas souffrir que l’on montât dessus lui, ni seulement endurer la voix et la parole de pas un des gentilshommes qui fussent autour de Philippe, mais se dressait à l’encontre d’eux tous, de façon que Philippe s’en dépita, et commanda que l’on le ramenât comme bête vicieuse, sauvage et du tout inutile ; et l’eût-on fait, si n’eût été qu’Alexandre, qui était présent, dit : « O dieux ! quel cheval ils rebutent pour ne savoir à faute d’adresse et de hardiesse s’en servir ! « Philippe ayant ouï ces paroles, pour la première fois ne fit pas semblant de rien ; mais comme il les allât répétant plusieurs fois entre ses dents autour de lui, montrant d’être bien marri de quoi l’on renvoyait le cheval, il lui dit à la fin : « Tu reprends ceux qui ont plus d’âge et d’expérience que toi, comme si tu y entendais quelque chose plus qu’eux, et que tu susses mieux comment il faut mener un cheval à la maison qu’ils ne font. « Alexandre lui répondit : « À tout le moins manierai-je mieux cettui-ci qu’ils n’ont fait eux. « « Mais aussi, répliqua Philippe, si tu n’en peux venir à bout non plus qu’eux, quelle amende veux-tu payer pour ta témérité ? « « Je suis content, répondit Alexandre, de perdre autant comme vaut le cheval. « Chacun se prit à rire de cette réponse, et fut entre eux deux la gageure accordée d’une certaine somme d’argent. Et adonc Alexandre, s’en courant vers le cheval, le prit par la bride, et le retourna la tête vers le soleil, s’étant aperçu, comme je crois, que le cheval se tourmentait à cause qu’il voyait son ombre, laquelle tombait et se remuait devant lui à mesure qu’il se mouvait ; puis en le caressant un peu de la voix et de la main, tant qu’il le vit ronflant et soufflant de courroux, laissa à la fin tout doucement tomber son manteau à terre, et, se soulevant dextrement d’un saut léger, monta dessus sans aucun danger, et, lui tenant un peu la bride roide sans le battre ni harasser, le remit gentiment ; puis quand il vit qu’il eut jeté tout son feu de dépit, et qu’il ne demandait plus qu’à courir, alors il lui donna carrière à toute bride, en le pressant encore avec une voix plus âpre que son ordinaire et un talonnement de pieds. Philippe du commencement le regarda faire avec une grande détresse de crainte qu’il ne se fît mal, sans mot dire toutefois ; mais quand il vit adroitement retourner le cheval au bout de la carrière, tout fier de l’aise d’avoir bien fait, alors tous les autres assistants s’en écrièrent par admiration ; mais au père les larmes, à ce que l’on dit, en vinrent aux yeux de joie qu’il en eut, et quand il fut descendu de cheval, lui dit en lui baisant la tête : « O mon fils, il te faut chercher un royaume qui soit digne de toi, car la Macédoine ne te saurait tenir. «

 

 

Source : Plutarque, Vies des hommes illustres, « Vie d’Alexandre le Grand «, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade «, 1951.

 

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