Devoir de Philosophie

La poésie est-elle plus nécessaire que la science ?

Publié le 11/03/2004

Extrait du document

Homme de lettres, Anatole France a donc parlé de la science avec trop de partialité. Son jugement sévère n'avait pour but que d'introduire un plaidoyer « pro domo « et de faire valoir la poésie.

II. - LA POÉSIE

Celle-ci a-t-elle le pouvoir magique que lui attribue France ? Est-il vrai qu'elle charme et console ? Le mot « poésie « étant employé en des sens assez divers, nous ne pouvons nous prononcer sur le charme et le pouvoir consolateur de la réalité qu'il désigne sans préciser ce qu'il faut entendre par là. Dans son acception la plus usuelle, « poésie « s'oppose à « prose « ; appartient au genre poétique tout ouvrage écrit en vers : un poème didactique, une épopée, un drame ou une comédie, aussi bien qu'une élégie ou une idylle. Inutile de le dire, ce n'est pas la poésie ainsi entendue qui peut charmer et consoler. Il serait ridicule, par exemple, de proposer la lecture de « L'Art poétique « de Boileau à un fils effondré à la suite de la mort de sa mère. D'autre part, il ne manque pas de prosateurs qui savent donner aux pensées un tour qui charme et dont la phrase berce tout aussi bien que les vers les plus harmonieux .

En chantant ce que les dieux lui inspirent et dont il n'est que l'interprète, le poète apporte la révélation d'une vérité essentielle qui a le double caractère d'un mystère religieux et d'une doctrine de la sagesse. La poèsie semble donc supérieure et plus nécessaire que la science.

MAIS...

Il ne peut y avoir que dans la confrontation des idées. Le discours poétique, qui prétend révéler le fond des choses en chantant l'irrationnel, n'est que discours mensonger. Une vérité doit pouvoir se démontrer.

« science : l'une et l'autre sont capables de charmer et de consoler, mais seulement des âmes prédisposées à selaisser prendre par leur charme.

On pourrait même aller plus loin et reconnaître à la science un pouvoir consolateurplus grand que celui de la poésie : tandis que la poésie concentre celui qui souffre sur lui-même, la recherchescientifique le fait sortir de lui et le fixe sur un objet ; c'est elle qui fait oublier, et non la poésie. III.

QUELLE EST LA PLUS NECESSAIRE ? La poésie, termine Anatole France, est plus nécessaire que la science.

L'homme de la rue, qui aurait assezfacilement admis la supériorité de la poésie comme consolatrice, ne manquera pas de trouver cette affirmationparadoxale ou même extravagante.

Aura-t-il tort ? Pour répondre à cette question, il faut préciser la signification del'adjectif « nécessaire ».a) En philosophie, le mot « nécessaire » est ordinairement pris dans un sens absolu ou inconditionnel : la nécessitéest le caractère de ce qui ne peut pas ne pas être.

Nous pouvons donner comme exemples de propositionsabsolument nécessaires les principes fondamentaux de la raison ou des mathématiques : la même chose ne peut pasà la fois être et n'être pas ; deux choses égales à une même troisième sont égales entre elles.

Même si le monden'existait pas, ces principes, qui constituent les leviers essentiels de l'étude scientifique du monde, resteraient vrais.L'existence du monde et la nécessité des principes à l'aide desquels nous cherchons à l'expliquer amène lephilosophe à concevoir l'existence d'un être nécessaire de qui dérive tout être et qui ne tient son être d'aucun autre: Dieu, qu'on appelle aussi l'Absolu.Inutile de le dire, ni la poésie, ni la science, ne sont nécessaires de cette sorte de nécessité.

Avant qu'il y eût deshommes, elles n'existaient pas. b) Dans les sciences physiques, on ne s'occupe pas de nécessité absolue ; on prend le monde tel qu'il est en fait eton détermine les propriétés qui résultent nécessairement de ces données.

L'adjectif « nécessaire » prend donc ici unsens relatif ou conditionnel : ni la cause ni l'effet ne sont nécessaires, mais si la cause est posée, l'effet suivranécessairement.

Ni le feu, ni l'ébullition, ne sont nécessaires, mais s'il y a du feu sous une marmite remplie d'eau, ilest nécessaire que celle-ci bouille.On ne peut pas davantage reconnaître à la poésie ou à la science cette nécessité relative : on peut être hommesans être poète ou savant. c) Mais il est une autre sorte de nécessité qui intervient dans le domaine étudié par les sciences humaines, lanécessité hypothétique : celle qui existe ou si lorsque a été fixé un but dont un moyen déterminé constitue lacondition « sine qua non ».

C'est une nécessité de cet ordre qu'Anatole France a en vue : selon lui, la science et lapoésie sont nécessaires pour atteindre les fins auxquelles nous tendons et, ajoute-t-il, la poésie est plusnécessaire.Quelles sont ces fins ? A travers l'objet immédiat de nos désirs et de nos volitions — richesses, plaisirs, honneurs,savoir, vertu — l'homme tend plus ou moins consciemment au bonheur, c'est-à-dire à la complète satisfaction deses tendances humaines, celles de l'esprit comme celles de la sensibilité.

Le bonheur est donc la fin dernière verslaquelle nous tendons.

Ainsi, l'affirmation d'Anatole France revient à dire que la poésie fait plus pour notre bonheurque la science.Cette assertion, à première vue, paraît bien paradoxale.

Sans doute, si on ne considère que la science pure dontl'objet est de faire connaître et de faire comprendre, on peut admettre que la poésie procure plus de joies.

Mais lascience ne peut guère se séparer de ses applications.

Or, les applications des découvertes scientifiques ontcomplètement transformé l'existence de l'homme moderne : la peine et la souffrance ont été considérablementréduites, le bien-être ne cesse d'augmenter.

Qu'il est malheureux le contemporain que les circonstances ont privédes instruments créés par la science moderne ou grâce à elle, automobile, moteurs électriques, téléphone, etc.

!C'est la science, semble-t-il, et non la poésie, qui conditionne le bonheur.Et cependant, on ne peut pas dire que la science suffise à rendre vraiment heureux et que, pour un bonheurvraiment humain, un peu de poésie ne soit pas nécessaire ; non pas, évidemment, quelques pièces de vers, silyriques soient-elles, mais une vue poétique des choses et de la vie.

L'existence la plus comblée des biens terrestresdont la science a permis l'acquisition ne peut procurer un bonheur vraiment humain : sans poésie, au sens large dumot, elle est privée des satisfactions de l'esprit, seules spécifiquement humaines.

Bien plus, les satisfactionsintellectuelles que procure la science proprement dite restent bien ternes sans l'envol que l'inspiration poétiquedonne à l'esprit.

Aussi n'est-il pas rare de voir les savants s'élever jusqu'à la véritable poésie.

Ils n'écrivent sansdoute pas en vers, mais, au lieu de s'en tenir servilement à l'objet propre de leur étude, ils le dominent, le dépassentet reconstruisent mentalement un monde dont l'harmonie les enchante bien plus que le plus beau poème.Chez le savant, cette vue poétique des choses se fonde sur la connaissance scientifique, mais on peut s'y éleversans être passé par les laboratoires et sans avoir fait les mathématiques supérieures.

Il suffit d'avoir un idéal pourvoir se colorer de teintes magnifiques les occupations les plus modestes, et cette poésie y fait trouver le bonheur.On peut donc le reconnaître, la poésie, en prenant ce mot dans un sens large, est plus nécessaire que la science. Conclusion. — Ainsi, la vocation scientifique n'exclut pas mais, au contraire, demande comme un complément désirable la culture poétique.

Sans doute, la science n'est pas la poésie et le poète qui prétendrait, au laboratoire,se contenter des inspirations de sa muse n'aboutirait pas à des résultats valables.

Mais, par ailleurs, s'il s'en tenaitstrictement aux méthodes rigoureuses de la recherche scientifique et se défendait d'aller jamais au-delà de ce quele raisonnement logique et l'expérience immédiate lui donnent, il ne parviendrait jamais à ces vues qui charment etconsolent, il ne ferait même pas de ces trouvailles qui font avancer la science.L'apprenti savant doit donc cultiver les puissances complémentaires de l'intelligence pure qui est son instrumenthabituel : l'imagination et la sensibilité.

La fréquentation des poètes ou des écrivains qui ont une vue poétique de la. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles