La politique libère-t-elle les hommes ?
Publié le 13/02/2004
Extrait du document
«
Les conditions historiques concrètes des États ne nous apprennent rien sur l'essence du concept d'État qui seulecompte.
La crise de la culture.De fait, l'histoire des idées apprend à discerner ces mouvements de repli, voire de rejet, que peuvent susciter detrop vives déceptions politiques.
Quand la Cité échoue à garantir la liberté des citoyens, ceux-ci s'en détournent, àla recherche d'une nouvelle aire où pouvoir l'exprimer.
La faillite de la démocratie athénienne qui tourne à latyrannie, pousse à la guerre avec Sparte et succombe aux Macédoniens, ne peut qu'inciter, à partir du ive siècle, àla fuite.
L'agora se vide et chacun découvre que le « for intérieur », la conscience, est un lieu moins décevant.
Lessagesses hellénistiques, épicurisme et stoïcisme, principalement, se chargent de l'illustrer.
...
que l'Homme découvre le plein usage de sa liberté.Pourtant, cette liberté de conscience n'est qu'un « pis aller ».
Elle procède d'une déception qui ne remet pas encause les fondements de l'épreuve de la liberté.
Si la politique échoue quelquefois à nous en persuader, elle n'enreste pas moins le moyen le plus direct et premier grâce auquel reconnaître cette liberté.En effet, si la liberté ne va pas sans la politique, c'est que l'une et l'autre se manifestent dans l'action.
« Être libreet agir ne font qu'un » écrit H.
Arendt.
C'est dire que la liberté ne s'éprouve absolument que dans l'action toujourslibre de motif et de but visé comme effet prévisible.
Quand sommes-nous pressés d'agir à l'instant sans autre causeni conséquence que la nécessité? Quand l'urgence d'une situation imprévisible nous précipite hors des chemins plusou moins tortueux de nos calculs et de nos intérêts.C'est pourquoi H.
Arendt voit dans le concept machiavelien de virtù (qu'elle se propose de traduire par « virtuosité »alors que le terme vient du latin virtus, souvent traduit par force, courage) l'illustration la plus juste de cette libertéd'agir.
En effet, la virtù est une aptitude innée du prince à tourner à son avantage les circonstances les moinsprévisibles.
Cette disposition est la caractéristique du véritable politique.
On pourrait ainsi reprendre la formulationd'Aristote en la modifiant : la politique est bien la condition nécessaire à l'exercice de la liberté, mais le mot politiquedoit être entendu au sens restreint « d'activité princière » consistant à gouverner les hommes et à supporter lescabrements de l'Histoire comme les surprises de la Fortune.
C'est au chapitre 25 du « Prince » : « Ce que la fortune peut dans les choses humaines et comment on peut lui résister », que l'on retrouve la formule : « il est meilleur d'être impétueux que circonspect, car la fortune est femme, et il est nécessaire à qui veut la soumettre de la battre et la rudoyer ».
Machiavel utilise le terme fortune dans son sens traditionnel de puissance aveugle, régie par le hasard, qui dispose du cours du monde et de la vie des hommes.
Il s'agit donc de s'interroger sur ce que peut l'homme et plusprécisément l'homme politique confronté à la prétendue fortune.
Le chapitre 25 débute de la sorte : « Je n'ignore pas que beaucoup ont été et sont dans l'opinion que les choses du monde soient de telle sorte gouvernées par la fortune et par les dieux, que les hommes avec leur sagessene puissent les corriger (...) Cette opinion a été plus en crédit de notre temps à cause des grands changementsqu'on a vus et voit chaque jour dans les choses, en dehors de toute conjecture humaine. »
Cette opinion commune, alimentée par les malheurs du temps, l'instabilité politique propre à l'Italie de laRenaissance, amène à une sorte de désespoir.
L'action humaine serait vaine et réduite à l'impuissance face à laProvidence et à ses desseins impénétrables (la Providence répond à cette idée que le cours de l'histoire est régi parla volonté divine) ou encore face à la puissance aveugle et hasardeuse de la fortune.
Or cette conception ruineraittoute tentative machiavélienne et plus radicalement tout essai de penser l'action politique et ses conditions.
Ce chapitre s'inscrit donc au coeur de deux préoccupations propres à Machiavel .
D'une part il s'agit comme dans tout le « Prince » de proposer les conditions d'une action politique efficace, et d'une stabilité politique qui faitcruellement défaut à l'Italie.
D'autre part, Machiavel balaye toute différence entre histoire sacrée et histoire profane : ainsi comme il avait précédemment éliminé toute différence essentielle entre un législateur sacré commeMoise et un législateur profane, comme Thèsée ou Lycurgue , Machiavel place-t-il ici la Providence et la Fortune sur le même plan.
La formule ici éclaire le double projet de Machiavel dans notre passage.
Il s'agit tout d'abord de récuser la notion de hasard pour restaurer les droits de l'action politique efficace.
Ainsi lit-onque l'on peut soumettre la fortune, qui n'est donc qu'une puissance imaginaire.
Elle n'est pas une puissanceimpossible à maîtriser qui s'imposerait à nous malgré nos actes et nos volontés, un destin, mais quelque chose quenous pouvons diriger.
Mais d'autre part, l'idée de l'audace nécessaire à l'action politique, les notions de lutte et de violence tendent àmontrer qu'il n'y a pas de modèle précis de l'action politique, que celle-ci contient toujours une part irréductibled'aventure, de risque.
Aussi Machiavel se bat-il sur deux fronts ; : contre l'idée irrationnelle de fortune ou de destin qui pousse au désespoir et contre l'illusion inverse d'une possibilité de totale maîtrise de l'action.
Pour remplir son premier objectif, Machiavel compare la fortune aux fleuves en crue « qui, lorsqu'ils se courroucent, inondent les plaines, renversent les arbres et les édifices [...] chacun fuit devant eux, tout le monde cède à leur.
»
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