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Est-il possible de constituer la psychologie sans tenir compte des données de l'introspection ?

Publié le 19/02/2011

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1. Pour constituer les différentes sciences, la pensée doit se faire assez ingénieuse à l'effet de s'adapter aux divers objets dont elle se propose la connaissance, c'est-à-dire varier ses méthodes suivant la nature de ces derniers. A-t-elle affaire — comme en mathématiques — à des abstractions pures, à des choses qui sont sa création, il n'est pas question pour elle de faire appel à l'observation. S'exerce-t-elle au contraire — comme en physique sur des faits concrets, indépendants d'elle dans leur existence et leurs lois, elle ne saurait commencer par poser a priori certaines vérités pour en construire d'autres par la voie de la démonstration. Même quand elle demeure dans le plan des phénomènes, elle doit encore savoir modifier ses procédés d'investigation, car il peut y avoir entre eux des différences assez importantes pour qu'elle ne puisse pas appliquer à tous le même traitement.

« cette source complexe d'informations de toute nature, la psychologie ne pourra plus être accusée de rester tropétroite, trop étriquée, purement hypothétique, mais elle remplira les conditions générales d'une science véritable. 4.

Que cette « méthode objective » soit utile ou plutôt indispensable, c'est là une vérité incontestable; mais est-elle capable de donner congé à la « méthode subjective »? N'est-elle pas au contraire obligée de la faireconstamment intervenir ou plutôt n'est-ce pas à elle qu'elle doit tous les renseignements dont on la gratifie? S'agit-ilde la méthode interrogative? Quand on invite un sujet à dire ce qu'il a éprouvé ou ce qu'il éprouve dans telle ou tellecirconstance, n'est-ce pas d'abord parce que l'on admet qu'il éprouve quelque chose, savoir un état d'âme, qu'ainsiil n'est pas un pur automate sans vie psychologique? Mais d'où peut provenir cette croyance sinon de ce que celuiqui interroge a le sentiment direct de sa conscience et construit celui qui interroge par analogie avec lui-même? Onne voit pas et l'on ne peut pas voir la conscience des autres; l'on projette seulement en eux, par dessousl'enveloppe corporelle, sa propre conscience.

Aussi bien de quelle façon avoir l'idée de poser une questionconcernant une modification particulière d'ordre psychique sinon parce que l'on en a ressenti en soi-même unesemblable? Puis-je demander à l'un de ceux qui m'entourent si dans une occasion spéciale il n'a pas connu telle outelle émotion sans que j'aie jamais éprouvé un fait affectif et sans que j'aie l'idée que de tels états sont réels? Maissurtout la question adressée à un sujet est-elle autre chose qu'une invitation à revenir sur soi et à interroger saconscience personnelle? Comment sans recourir à la réflexion serait-il capable de fournir une réponse? Bref, c'esttoujours de l'introspection que part l'idée de l'interrogation et la possibilité de donner le renseignement demandé.N'en est-il pas exactement de même pour ce qui concerne la méthode d'observation? Laissée à elle-même, elle estincapable de fournir la moindre indication; tout ce qu'elle saisit et peut seulement saisir se réduit à des modificationsorganiques, à des phénomènes qui affectent le corps, c'est-à-dire à des faits qui par eux-mêmes n'ont aucun sens ;pour qu'ils soient susceptibles de nous instruire sur ce qui se passe dans des consciences étrangères, il estnécessaire que nous sachions les interpréter, en faire des signes, projeter pour cela par dessous eux desdéterminations psychiques dont ils sont les effets et la manifestation, aller de l'externe à l'interne, recréer l'invisiblepar le visible.

Pour cela la médiation de la réflexion s'impose.

Voici devant moi une personne qui pleure ; sa douleur,je ne la vois pas et il m'est absolument impossible de la voir; je perçois seulement des larmes, des sanglots, unediversité d'attitudes somatiques; pris en eux-mêmes ces faits ne me révèlent aucun psychisme; ils ne me donnentpas la moindre idée d'une souffrance.

Pour que je sache que par derrière eux et en quelque sorte sous eux il existeun état affectif, c'est-à-dire-riour qu'ils puissent me le révéler, il est indispensable que j'aie éprouvé moi-même unemodification semblable, perçu sur moi-même le rapport qui se trouve entre cette dernière et des phénomènescorporels déterminés ; alors venant à constater sur un autre homme les mêmes modifications somatiques, je faisappel — presque naturellement — à un raisonnement par analogie ; je conclus des faits corporels que je vois et quisont sensiblement identiques à ceux que j'ai vus autrefois sur moi à la réalité des faits que je ne vois pas pareils àdes modifications -que j'ai vécues et dont j'ai gardé le souvenir : ceux-là sont les signes de ceux-ci.

Sans laréflexion une telle inférence eût été impossible, j'aurais dû me borner à constater ce qu'en effet je constate sanspouvoir remonter à ce que je ne constate pas et qu'il m'est défendu de constater.

On l'a dit bien souvent et il fauttoujours le répéter : pour connaître le autres il est nécessaire de se connaître au préalable soi-même ; on ne peutles connaître qu'en les reconnaissant en soi ou, si l'on veut, qu'en se reconnaissant en eux.

Bref, les seulsrenseignements qu'il soit donné d'obtenir avec la méthode objective sont dus à la méthode subjective; sans lalumière de la réflexion tout reste dans l'obscurité absolue ; c'est toujours à elle qu'il faut revenir : la « psychologiede sympathie » exige la « psychologie de conscience ». 5.

Mais si, reposant sur la réflexion, l'analogie est le seul moyen de deviner ce qui se passe dans une conscienceétrangère, si l'on doit ainsi sans cesse faire appel aux données de l'introspection, n'est-ce pas revenir aux difficultéssoulevées contre la possibilité d'une psychologie vraiment scientifique? N'aboutissons-nous pas à une sorted'impasse? C'est qu'en effet le recours à.

ce mode particulier de raisonnement n'est pas sans danger; il est loin deconduire à des résultats certains.

Cela est déjà vrai quand on l'applique à des êtres de plus en plus éloignés de nous: comment déterminer exactement ce qui se passe dans la conscience de l'animal, de l'enfant, du primitif ou del'aliéné? L'on court le risque de l' « anthropomorphisme », autrement dit l'on est exposé à projeter en eux unpsychisme qui n'appartient qu'à une âme humaine parvenue à un haut degré de développement.

C'est également vraiquand il s'agit de nos semblables placés dans les mêmes conditions sociales, formés par une éducation sensiblementpareille à la nôtre.

Il ne faut pas le méconnaître : la correspondance entre les modifications corporelles et lesmodifications psychologiques et loin d'être absolue : des états d'âme identiques sont susceptibles de s'exprimer audehors par des états du corps différents et réciproquement des états d'âme différents peuvent se traduire par desétats du corps identiques : la peur nous fait fuir, elle nous cloue aussi sur place; la joie détermine toute uneexplosion d'attitudes corporelles, chez les mystiques elle immobilise et fige l'organisme ; l'on tremble de frayeur, on lefait également sous l'action du froid ou de la colère ; l'on pousse des cris de douleur et aussi de plaisir'.

D'ailleurs ilfaut toujours compter avec la dissimulation : l'on exprime parfois des sentiments que l'on n'éprouve pas, qui sontmême opposés à ceux qui sont réels; il arrive d'en retenir d'autres qui sont vécus, d'empêcher qu'ils explosent; aussibien par suite des conventions sociales les gestes, les changements dans la physionomie sont susceptibles d'être sihabituels qu'ils n'enveloppent plus aucun élément d'ordre psychologique : nous sourions à une personne de notreconnaissance que nous rencontrons alors qu'elle nous est indifférente.

Il faut l'ajouter : chaque état d'âme possèdeune nuance particulière qui en fait l'originalité ; il reflète, exprime la personnalité tout entière : la vision d'unpaysage, l'émotion qui jaillit en face d'une circonstance imprévue sont distinctes avec chaque sujet : dès lorscomment être sûr de reconstruire avec exactitude ce qui à un certain moment se déroule dans une conscienceétrangère? N'est-il donc pas indispensable de ne plus rien demander aux données de l'introspection et de bannircette méthode d'une façon définitive?. »

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