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Pourquoi La Croissance ? La Croissance Pour Quoi ?

Publié le 17/01/2011

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Depuis plusieurs décennies, les Etats nous apparaissent de plus en plus comme impuissants face aux phénomènes de croissance et de récession. La globalisation économique et l’interconnexion grandissante des marchés entre eux semble avoir ôté aux Etats leur rôle d’antan, de « grand régisseur de l’économie «. Mais la croissance économique n’en reste pas moins un enjeux majeur des sociétés modernes. Il convient alors de s’interroger sur les causes et les buts de la croissance : La croissance pourquoi ? La croissance pour quoi ? C'est-à-dire, comment naît le phénomène de croissance et qu’en attend-on ?
Il faut pour cela étudier ce qui rend possible la croissance (I), mais aussi les valeurs et changements qu’elle implique (II), et enfin à quelle prix la croissance s’opère-t-elle (III).
 
I/ Se poser la question « pourquoi la croissance ? « revient à vouloir mettre en lumière les facteurs et causes de la croissance pour aboutir à l’inévitable constat de sa complexité. Pour cela il faut étudier les facteurs principaux de la croissances, la difficulté des modèles théoriques de croissance et deux autres facteurs de croissances souvent ignorés à tort.
Les premiers économistes à s’être intéressés à la croissance ont tout de suite observé des facteurs principaux. Pour les économistes pionniers et leurs successeurs, le capital et le travail sont à la source du phénomène de croissance. L’économiste écossais Adam Smith, dans son œuvre Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations publié en 1776, a souligné l’importance du facteur travail notamment à travers le concept de division du travail qui serait selon lui source de richesse. Le facteur travail engendrait selon cet auteur classique des effets d’apprentissage et d’accumulation du capital à l’origine de profit, puis d’investissement et donc de hausse de la productivité et de croissance. Pour l’Anglais, David Ricardo ce qui permet de contrecarrer le phénomène d’Etat stationnaire mis en évidence dans son œuvre, c’est l’échange international et le progrès technique qui ne sont pas pour autant des facteurs considérés comme facteurs de de croissance. Un siècle plus tard, l’économiste inclassable Joseph Schumpeter a souligné l’importance considérable de l’innovation dans la dynamique économique et donc dans le phénomène de croissance. Cependant ces facteurs n’expliquent pas à eux seuls la croissance. Ils sont évidemment nécessaires mais pas suffisants, d’autres facteurs s’y ajoutent.
Certains modèles théoriques de croissance mis au point par de célèbres économistes permettent de se rendre compte de la complexité de la croissance, en tentant d’évaluer l’importance respective des facteurs de croissance.
 Dans le modèle keynésien d’Harrod-Domar, la croissance est vue comme le résultat d’une alchimie unique, on ne peut y aboutir autrement. L’économiste Domar montre que l’investissement a deux effets : un effet de capacité et un effet de demande par le biais du multiplicateur. Il faut les ajuster subtilement pour accéder à la croissance. Harrod, lui, s’efforcera de montrer que la croissance résulte bien d’une alchimie unique.
Dans le modèle de Solow de l’économiste américain du même nom, le progrès technique est automatiquement mis de côté car considéré comme une manne tombant du ciel. Solow montre alors plutôt l’importance de l’accumulation de capital pour expliquer la croissance. Or, le progrès technique ou encore « résidu « représenterait pas moins de la moitié de la croissance des 30 Glorieuses en France selon Carré, Dubois, Malinvaud . Expliquer la croissance n’est donc pas chose facile.
Deux possibilités apparaissent donc pour expliquer la croissance : en mettant en avant l’augmentation du revenu comme facteur de croissance et en endogénéisant les taux d’intérêt ce qui est une optique keynésienne, ou bien comme le font les théoriciens de la croissance endogène comme Barro en expliquant la croissance comme une accumulation de capital source de rendements croissants à l’origine d’effets externes. Barro et Lucas réinsisteront aussi sur le rôle de l’Etat qui est le seul à même de gérer ces effets externes. Mais là encore on rencontre une difficulté. Si on endogénéise le progrès technique et qu’on se limite à le caractériser comme étant l’œuvre du libre arbitre des individus, alors on en vient à se demander quelle part de leurs profits les entreprises doivent elles investir en recherche et développement.
Mais ce n’est pas tout, d’autres facteurs souvent oubliés sont facteurs de croissance et doivent être rétablis, comme le facteur socio-culturel. Selon Max Weber, l’éthique protestante serait source de richesse puisque valorisant des valeurs telles que le travail et le mérite. Dans des pays comme les Etats-Unis, cette éthique protestante serait donc un des piliers de la richesse et par extension, de la croissance.
Par ailleurs, la croissance dépend de plus en plus des autres et du reste du monde. Il est un fait qu’en économie ouverte le poids joué par les actifs situés en dehors du territoire national est devenu considérable. Une politique de relance isolée de l’activité économique ne pourrait que s’y confronter. Tenter de relancer l’économie seul, c’est risquer de profiter seulement aux autres pays, l’augmentation du pouvoir d’achat ne se dirigeant pas forcément vers l’offre nationale. Ces deux facteurs s’ajoutent donc aux facteurs fondamentaux évoqués plus haut et complexifient encore plus la croissance.
 
II/ Maintenant, se demander « pour quoi la croissance ? « amène à s’interroger sur les buts de la croissance. La croissance est-elle un moyen menant à un but définit ? Il apparaît que la croissance mène à l’augmentation généralisée des richesses, à un possible plein emploi, et donc à un idéal de société pleinement développée.
La croissance se matérialise par l’augmentation du PIB par tête. Elle permet ainsi un enrichissement généralisée et une réduction des inégalités et une hypothétique paix sociale. Selon Walt Whitman Rostow et les étapes de la croissance qu’il a mis en évidence, la croissance mènerait à la consommation de masse. C’est la 5ème étape de son analyse. Un cercle vertueux de la croissance est donc engagé. La consommation de masse étant liée à la production de masse et donc à la distribution d’un revenu généralisé et ainsi de suite.
La croissance peut et doit mener à un plein emploi. Quand la conjoncture économique est favorable à la croissance et que les anticipations des agents économiques sont possibles, alors l’augmentation attendue de la consommation peut mener à une augmentation de la production préventionniste et ainsi de l’emploi. L’emploi est d’autant plus important aujourd’hui qu’il relie les individus entre eux. Le travail est source de solidarité organique pour le sociologue Emile Durkheim. L’emploi est d’ailleurs presque aujourd’hui devenu un droit.
Cela aboutit à l’idée que la croissance doit mener à un idéal de société pleinement développé. Plus simplement, la croissance doit mener au bien-être général. Mais alors on recroise une autre difficulté : comment mesurer ce bien-être ? Peut-on penser qu’il est simplement la somme des bien-être individuels comme le pensent les économistes classiques et néo-classiques ? Ou alors peut-on penser que le bien-être a atteint un état extrême tel que la situation de l’un est détériorée lorsqu’on améliore la situation d’un autre, ce qui est l’idée développée dans la théorie de l’optimum de Pareto. La croissance et donc sa complexité impliquent de nombreuses questions et une réflexion approfondie.
 
III/ Mais jusqu’où est-on prêt à aller pour connaître la croissance ? La recherche de la croissance mène à une réflexion sur le choix de société, mais aussi à un constat pessimiste qu’il n’est plus possible de nier : celui de la contrainte écologique.
Il faut s’interroger sur le choix de société induit par la croissance. Que cherche-t-on à travers une société centrée autour de la valeur travail ? La croissance doit permettre d’accéder au plein-emploi pour un revenu généralisé mais à quel prix ? Comme nous l’avons vu, l’emploi est facteur de lien social, mais ne doit-on pas se méfier du lien social tissé par le travail ? En effet aujourd’hui nous sommes bien loin du plein emploi et les taux de croissance actuels ne semblent plus pouvoir y accéder. Une politique de relance, nous l’avons vu, en économie d’ouverte risquerait fortement de plus fonctionner. Ainsi, on en reviendrait à délaisser une partie de la population puisque exclue de la sphère productive.
D’autre part, depuis quelques années une prise de conscience d’un nouveau genre a émergé, c’est la réflexion qui met en parallèle économie et écologie. Il apparaît dorénavant que notre mode de production mènerait à un épuisement des ressources naturelles et une pollution irréversible sur notre monde. L’empreinte écologique de certaines nations est telle que si le monde entier adoptait leur style de vie, il faudrait plusieurs planètes. Cela mène donc à l’idée de développement durable, c'est-à-dire d’un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. L’idée de développement durable a été abordée la première fois dans le rapport Brundtland paru en 1987. Le phénomène de croissance s’est donc accompagné d’une réflexion généralisée et étendue sur ses tenants et aboutissants.
 
On a donc vu que les facteurs de la croissance étaient dans l’ensemble difficiles à identifier, puis que la croissance est un phénomène complexe. Quant aux buts de la croissances, ils sont discutables et dépendent plus de choix politiques ou de société. Cela peut-être un choix collectif si la société s’en donne les moyens et peut mener à une croissance plus juste et qui ne laisse personne de côté.

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