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Pourquoi désirer ce qui n'est pas nécessaire ?

Publié le 20/01/2004

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Pourquoi désirer ce qui n'est pas nécessaire ? Une telle question nous amène à réfléchir à la notion de nécessité, difficile à déterminer: à partir de quand une chose est-elle nécessaire ou cesse-t-elle de l'être ? Et le désir porte-t-il sur ce qui est nécessaire ou justement sur ce qui ne l'est pas ? Par ailleurs, comme nous engage à le contester Épicure, des désirs qui porteraient sur des choses non nécessaires seraient-ils raisonnables ? Ne devons-nous pas limiter nos désirs à la stricte nécessité ? Cependant, si l'essence même du désir était de dépasser toute limite, comment éviter cet écueil ? Ne faut-il pas affronter cette obscure tension du désir qui pousse l'homme hors de lui-même ? Et n'est-ce pas précisément cela qui le conduit à la plus haute humanité ?

[Introduction]

  • [I. Le désir ne réside pas dans la nécessité du besoin ni dans celle de l'utilité]

 [ 1. Désirs et nécessités biologiques et sociaux]  [2. Le désir est d'ordre symbolique]  [3. Le désir est autant don qu'appropriation]

  • [II. Les désirs « non nécessaires « sont-ils raisonnables?]

 [1. Le risque de fuite en avant]  [2. La peur suscitée par le désir]  [3. Le « nécessaire « n'a pas de sens pour le désir]

  • [III. Désirer pour être Autre, et par là être humain ?]

 [1. Le désir est désir de l'autre]  [2. Le désir est désir radical d'altérité]  [3. Le désir nous conduit à notre humanité]    [Conclusion]

« don (comme on le fait en offrant un cadeau).

Nous sommes donc bien, ici, au-delà du besoin et de l'utilité, ainsi quede tout ce qui est « productif », « lucratif », « avantageux ».

Or, c'est le cas de toute une série d'activitéshumaines, comme le notait Georges Bataille dans La Part maudite: à côté de la dimension utilitaire de nos activités,dictées par l'utilité et le besoin, il existe une autre dimension qui « est représentée par les dépenses ditesimproductives: le luxe, les deuils, les guerres, les cultes, les constructions de monuments somptuaires [d'un coûttrès élevé, disproportionné par rapport à leur utilité], les jeux, les spectacles, les arts, l'activité sexuelle perverse(c'est-à-dire détournée de sa fin génitale) ».

C'est précisément dans ces contrées qu'apparaît le désir, mais aussises dérèglements. [II.

Les désirs « non nécessaires » sont-ils raisonnables?] [1.

Le risque de fuite en avant] Il se trouve en effet que, dès l'instant où nous quittons la limite très stricte des besoins primaires, les risques dedérèglements se multiplient.

Épicure l'avait très certainement bien compris puisqu'il préconisait justement de ne pass'aventurer sur ce terrain évoqué par Bataille: la recherche du luxe est sans limites et pousse à tous les excès, lesdirigeants d'un pays peuvent consacrer une immense fortune dans des monuments (pyramides, cathédrales,bibliothèques, musées), le joueur de tiercé ou de poker peut aller jusqu'à se ruiner, et sa famille avec lui.Curieusement, au lieu de s'apaiser, le désir semble s'augmenter au cours de sa satisfaction.

Alors que, lorsque nousavons faim, le fait de manger nous rassasie, l'exercice du désir semble nous donner plus « faim » encore.

C'estnotamment le cas de la passion amoureuse véritable, ou encore de la fièvre artistique ou de la recherchescientifique.

Dans toutes ces situations, ce que nous recherchons est encore plus intense dès l'instant où nouscommençons à apercevoir que cela peut exister et nous procurer une satisfaction plus intense que celles des plaisirsliés aux besoins primaires. [2.

La peur suscitée par le désir] On pourrait donc se dire qu'il est préférable de ne pas désirer ce qui n'est pas nécessaire.

Ce serait trop dangereux,inquiétant, risqué.

De plus, n'est-on pas finalement toujours déçu? Stimulés par notre imagination, et aujourd'hui parla publicité, les émissions de télévisions, la logique de consommation, nos désirs ne deviennent-ils pas impossibles àsatisfaire, multiples et hors de portée? Ainsi, ne pas limiter nos désirs nous amènerait au malheur et à la frustration.Afin d'éviter cet écueil, Descartes s'était donné la règle de vie suivante, inspirée des philosophes stoïciens, comme ill'écrit dans le Discours de la méthode: « Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que lafortune [les hasards de la vie, le destin], et à changer mes désirs que l'ordre du monde; et généralement, dem'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir, que nos pensées.

» Certes, il s'agit làd'une certaine forme de « sagesse »: si nous désirons toujours l'impossible, nous ne serons jamais satisfaits, jamaisheureux.

Désirer devenir médecin à cinquante ans alors qu'on est cuisinier, président de la République à quarantealors qu'on n'a jamais fait de politique, ou encore souhaiter être noir alors qu'on est blanc, ou l'inverse...

tout ceci ade fortes chances de demeurer vain et source de déceptions.

Néanmoins, faut-il pour autant s'interdire de chercherà réussir dans la vie alors qu'on est issu d'une famille modeste, de militer pour une autre politique sociale ou del'environnement même si la majorité ne pense pas comme nous, ou encore de devenir artiste même si les conditionsde vie seront sûrement difficiles et la réussite très incertaine ? Et peut-on d'ailleurs s'empêcher de désirer tout cecisi nous le désirons vraiment au fond de nous ? N'est-ce pas alors la non-réalisation de ces désirs qui engendre lafrustration ? Ce serait comme s'empêcher d'aimer quelqu'un dont on est tombé amoureux, sous prétexte qu'on ne lemérite pas ou qu'on n'est pas à la hauteur! Ainsi, même si le désir est un risque, qu'il peut faire peur car il nousexpose à des déconvenues, c'est aussi lui qui nous fait vivre et agir, nous dépasser, donc exister au sens fort duterme, c'est-à-dire nous impliquer dans une vie authentiquement humaine. [3.

Le « nécessaire » n'a pas de sens pour le désir] Et d'ailleurs, pour revenir encore sur ce problème, comment savoir ce qui est nécessaire et ce qui ne l'est pas, pourdésirer seulement ce qui est nécessaire ? Le monde humain étant traversé par des actes de liberté, il estparticulièrement exposé à la contingence, autrement dit à des situations imprévisibles, impossibles à anticiper, parcequ'elles résultent justement d'actes désirés par d'autres et qu'ils ont cru possibles de réaliser jusqu'au bout parcequ'ils désiraient que cela existe.

Les révolutions reposent sur le désir de changer la société.

L'art s'appuie sur lavolonté d'aborder le monde et l'homme autrement qu'à travers les schémas ordinaires et les manières habituelles devoir et d'écouter.

L'amour traverse le temps grâce à la ténacité des amants, qui vainc les aléas de la vie, l'usure duquotidien et le vieillissement du corps.

Ainsi le désir n'est-il pas lié à un objet ou une personne déjà présent(e),donné(e), de toute nécessité comme dans les lois naturelles.

Il est producteur de son objet.

Deleuze écrivait, àpropos des artistes et des révolutionnaires: « Ils savent que le désir étreint la vie avec une puissance productrice,et la reproduit d'une façon d'autant plus intense qu'il a peu de besoins.

Et tant pis pour ceux qui croient que c'estfacile à dire, ou que c'est une idée dans les livres » (L'Anti-OEdipe).

Par là, il nous indique que ce sont nos besoinsélémentaires qui peuvent être limités, à la fois parce qu'ils sont peu nombreux et secondaires par rapport à notreimplication dans une existence vraiment humaine.

En revanche, le désir est à intensifier, jusqu'à ce qu'il trouve lesmoyens de se réaliser.

Certes, il doit prendre en compte la réalité présente et aussi la présence de l'autre: toutn'est pas possible ni permis, et pas nécessairement tout de suite.Mais on ne peut pas prédire à l'avance ce qui n'est pas possible dans une existence humaine et dans l'histoire.

Ainsiles désirs véritables portent-ils justement sur ce qui n'est pas nécessaire, sur ce qui est seulement possible et dontla réalisation n'est qu'hypothétique.

Celle-ci devra s'appuyer d'ailleurs sur d'autres désirs: celui de l'amant, celui des. »

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