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Pourquoi dit-on « tomber amoureux » ?

Publié le 15/09/2011

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L'expression « tomber amoureux « est une expression ancienne et ordinaire que tous utilisent de nos jours. Certes, sa signification est connue d'emblée, mais c'est principalement son sens premier qui est discerné et l'emploi de ces deux termes n'est pas toujours justifié.  Pourquoi dit-on « tomber amoureux « ?

« Ni l'un ni l'autre.

Affrontons le mot.

Quel (s) sens suggère-t-il? Pour plus de facilité, «se passer le film»mentalement de quelqu'un qui tombe, et noter les idées correspondantes, tout en gardant quelque liberté pour nepas se laisser « enfermer dans le film».D'abord, dans le fait de tomber, c'est la soudaineté qui peut frapper.

Toutefois, parce que c'est «soudain», est-cepour autant inattendu? – Recherche d'équivalences pour mieux démêler les idées – Il ne le semble pas: quelquechose peut être soudain tout en étant attendu.

On peut même s'y préparer, mais dans ce cas, il est vrai, pour unechute, on dira plutôt «sauter» dans le vide, en parachute, «à l'élastique », par la fenêtre...

Ce peut être attenduaussi pour l'enfant ou le malade qui vacillent, tout en gardant le mot, cette fois.Il faut donc convenir que la soudaineté est un caractère intéressant mais non suffisant: qu'y a-t-il de plus? Sansdoute, un changement brusque de position auquel on ne s'attendait pas; de debout, on passe à couché sur le côté,le dos, ou à plat ventre : en fait, un peu n'importe comment, et non dans une position «travaillée».

On peut même –objection affinant la recherche – tomber alors qu'on était assis ou couché.Dès lors, à la lumière de tout ce qui précède, deux idées supplémentaires s'imposent : celle de ne pas «l'avoir faitexprès» – caractère donc involontaire – et celle d'être par terre, non seulement en position basse où la lourdeur dela pesanteur me tient figé, mais surtout à «mordre la poussière», mêlé à elle sans m'en distinguer.

On le voit, cedernier élément semble directement mettre en question la noblesse même de l'homme : la station debout, positionde maîtrise et de domination...

de soi et du reste ! Voyons maintenant comment fonctionne l'expression entière «tomber amoureux» en utilisant et complétant lestrois caractères repérés.Ainsi, nous pouvons déjà considérer que l'expression familière «tomber amoureux» caractérise, sans en avoir l'air, lesentiment amoureux comme soudain et totalement involontaire – on n'est pas amoureux sur commande! –, à quois'ajoute ce caractère imprévisible: pas plus que je n'ai pu éviter cette mauvaise pierre du chemin qui m'a fait tomberà laquelle je ne m'attendais pas, pas plus ne me serais-je attendu à tomber amoureux de cette personne! – Notonsici le «pas pu» employé: fournit-il une idée de plus ou est-il synonyme d'imprévisible?Pour le savoir, remplaçons-le par son équivalent plus explicite : impossible.

Poursuivons alors la réflexion commesuit...

Et pas plus ne pouvais-je, semble-t-il, éviter ce sentiment : impossible d'y échapper! De quel ordre ici estcette sorte de nécessité? Est-elle simplement une synthèse des caractères retenus? En tous, à l'aspectimprévisible, involontaire et inévitable s'associe assez bien l'idée de quelque chose «comme» extérieur entraînant lephénomène : le chemin, la pierre, ma chaussure? Je ne sais pas! Et tomber amoureux: pourquoi maintenant? ici? detelle personne? Je ne sais pas ! Aspect difficilement explicable que d'aucuns qualifieront de fatalité ou de destinécrit dans le ciel des dieux...

alimentant par là, la veine tragique de ce qui, traditionnellement se dénomme lapassion amoureuse.Qu'il s'agisse d'Anna Karénine, de Roméo et Juliette ou Phèdre, l'amour les saisit, et comme dans une chute en effet,les déstabilise.«Tombant» amoureux, ils perdent le surplomb et la maîtrise habituels pour être «surpris », pris par au-dessus,empoignés, submergés et paralysés par des émotions puissantes et des sentiments contradictoires : «Je le vis, jerougis, je pâlis à sa vue », disait la Phèdre de Jean Racine. 2.

Recherche des présupposés Finalement, on le voit, l'expression que nous employons couramment de nos jours, contient en elle tout l'aspectpassif et négatif que nos classiques retenaient de l'amour : en effet, le passionné est «au plus bas» de lui-même,ayant perdu le contrôle des situations et de soi, surpris, égaré, ne sachant plus ce qui lui arrive. Si on en reste là toutefois, ne peut-on objecter que cette connotation négative de l'amour provient du point devue duquel on se place? En effet, c'est en comparant avec l'état non amoureux qu'on évalue l'amoureux, celui-ciétant alors perçu comme perturbation de celui-là ! Mais, en fait, qu'est donc l'état dit «non amoureux»? – Reprenonsles critères apparus lors de l'analyse – N'y a-t-il pas non plus en lui de la soudaineté, de l'imprévisible? Le caractèreinvolontaire et inévitable de certains comportements ou situations n'y apparaît-il pas? Certes...

Il nous faut doncaller plus loin en cherchant au niveau du seul élément de l'analyse que nous n'avons pas rappelé ici: tomber au sensd'être par terre.

Certes, on compare bien avec la situation dite normale où on est debout, et la différence estflagrante.

Mais de quel point de vue? Une simple question d'habitude? – au sens où plutôt habituellement par terre,ce serait être debout qui surprendrait –, ou, en réalité, une question de norme? Être vivant et doué de raison,l'homme doit-il «tomber» amoureux? Le verbe a aussi le nom – la tombe – qui évoque, outre l'immobilité de l'inertecontraire à ce que doit être le vivant, le silence de la terre, le «bas» auquel, cette fois, une pesanteurincontournable et décisive nous rive.

Or en effet, non seulement le sentiment amoureux nous rend muet oubafouillant, mais aussi sourd à tout ce qui reste sans rapport avec notre amour.

Comme «tétanisé» et en porte àfaux avec son environnement, le sujet amoureux semble subitement inadapté, ne correspondant plus guère auxcritères types du vivant alerte, souple et dynamique.

Déjà «comme» en dessous du vivant type, l'amoureux estaussi et surtout «tombé» en dessous de ce qui fait la référence de l'humain type : sans parole ou presque, sansmaîtrise de ses sentiments envahissant et gouvernant toute pensée, le voilà dépourvu de raison, dans l'animalité oul'infantilisme affectif de ses élans à l'état brut.

«Tomber amoureux », c'est bien alors «tomber» au sens de cerelâchement de tout nous-même, nous abandonnant à ce qui se passe en nous...

sans nous ; autrement dit, lanature en nous prend le relais de notre raison.

Dès lors, tout est possible, y compris «tomber plus bas que terre» !Tomber aux pieds de l'être aimé, se faire son esclave, c'est encore renoncer là à ce qui fait la grandeur et lanoblesse de l'homme : sa liberté.. »

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