L'homme est le seul animal à
posséder les valeurs politiques, celles-là mêmes qui sont traduites dans le
langage articulé, et c'est la possession commune de ces valeurs, transmises et
exprimées par le langage, qui constitue une cité, c'est-à-dire une communauté
politique. Ainsi, le langage a une nature profondément politique : on parle pour
partager des valeurs "politiques" (au sens où la justice constitue une vertu,
par exemple, qui assure la bonne tenue de la cohésion sociale), dont le langage
constitue le principal vecteur. Par suite, un homme est un homme parce qu'il vit
en communauté (sans quoi, selon Aristote, il est soit une bête, soit un dieu),
et donc parce qu'il parle, puisque la parole est d'elle-même le signe de la
nature politique de l'homme : il n'y a de parole que parce qu'il y a échange, et
la condition principielle de l'échange, c'est le vivre-ensemble.
II. Mais il n'y a pas de
parole sans cohérence et sans rationalité : on parle aussi et surtout pour
penser (Descartes).
Descartes (Lettre au
marquis de Newcastle) : les bêtes, contrairement à l'homme, ne parlent pas,
et pourtant nombre d'entre elles sont également des êtres vivant en société. La
cause du langage se trouve donc ailleurs, car si les bêtes expriment des
passions, il n'y a pourtant pas chez elles de véritable langage. Descartes
fournit une réponse avec la thèse de l'animal-machine : étant dépourvus d'âme et
de raison, l'animal se trouve naturellement dépourvu de langage, il y a donc une
corrélation évidente entre la pensée et le langage ; par ailleurs, cette idée se
trouve déjà, par exemple, chez Platon, qui affirmera, par la bouche de Socrate,
que la pensée constitue un dialogue intérieur de l'âme avec elle-même : l'on
parle donc pour penser, peu importe que cette parole soir oralisée ou non ; elle
constitue une figure de dédoublement du sujet pensant, qui s'adresse à lui-même
comme à un interlocuteur. La pensée trouve donc une origine qui n'a pas lieu
dans les passions, contrairement aux autres animaux : l'homme emploie des signes
linguistiques pour communiquer des pensées, et l'absence de ces signes chez les
animaux montrent précisément qu'ils ne pensent pas. Plus que le critère
politique, c'est donc le critère rationnel qu'il faut ici retenir pour
déterminer la cause première du langage humain.
- Parler, c'est produire par la voix un certain langage, dans une langue donnée ; et une langue, c'est un système de signes linguistiques organisés ; il n'y a donc de parole que selon un langage articulé et symbolique (cf. Aristote, De l'Interprétation, 1).
- Comme le remarque Aristote, le langage articulé est le propre de l'homme ; il est donc naturel, si l'on veut déterminer les raisons de la faculté humaine de la parole, de voir ce qui constitue encore le propre de l'homme.
- Selon Aristote, deux autres caractéristiques sont définitoires de l'homme, et ce qu'elles lui appartiennent en propre : sa nature socio-politique, et sa nature rationnelle.
- Ainsi, le langage humain tient-il à la nature socio-politique et rationnelle de l'homme ? Ou bien faut-il en rechercher la cause en amont de ces caractéristiques ? Le langage ne constitue-t-il pas une faculté qui dépasse les autres carctéristiques propres de l'homme, tout en les fondant ?