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La pudeur

Publié le 04/04/2013

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Vagabondons un peu dans une bibliothèque et ouvrons par hasard les Pensées de Joseph Joubert, nous pourrons y lire ceci : « Civilisation! Grand mot dont on abuse, et dont l'acception propre est ce qui rend civil. Il y a donc civilisation par la religion, la pudeur, la bienveillance, la justice; car tout cela unit les hommes «. Continuons de déambuler entre les rayons et ouvrons cette fois Le génie du Christianisme de Chateaubriand. Nous pouvons cette fois lire que « les sentiments les plus merveilleux sont ceux qui nous agitent un peu confusément : la pudeur, l'amour chaste, l'amitié vertueuse, sont pleines de secrets «. Ecrites lors de la première moitié du XIXe siècle, ces deux citations peuvent ouvrir la porte à une réflexion intéressante à propos de la pudeur. En effet, quand Joubert la voit comme ce qui lie les hommes en une civilisation, Chateaubriand en parle comme d'un sentiment intime. La voir simultanément comme individuelle et collective peut constituer une première brèche problématique. Mais avant cela, et pour commencer, il semble nécessaire d'apporter quelques précisions à cette notion. La pudeur est généralement désignée comme un sentiment de gêne à l'égard de ce qui peut entamer l'estime de soi et qui interdit le regard d'autrui sur sa vie intime (ce qui revient à « avoir de la pudeur «), mais également comme une attitude de retenue qui empêche de dire, écouter ou faire certaines choses pouvant blesser la délicatesse d'autrui (ce qui revient à « avoir la pudeur de « ne pas faire quelque chose). Nous pouvons ainsi la diviser en pudeur corporelle d'un côté (consistant à ne pas faire quelque chose) et pudeur verbale de l'autre (consistant à ne pas dire quelque chose). Nécessairement liée à l'impudeur, elle nous inhibe via un rapport de soi à soi (en ce sens, elle peut constituer une sorte d'auto-régulateur). Une tradition à l'origine étymologique a tendance à rapprocher, pour ne pas dire la réduire à la honte. En effet, elle vient du grec aidôs, lui-même venant du verbe aideomai, signifiant « avoir honte «. En latin, le terme pudere signifie également « avoir honte «. Si nous ne pouvons pas nier le fait que la honte et la pudeur sont des émotions relativement parentes (les deux supposant une sensibilité au regard d'autrui et une réaction face à une réprobation extérieure), nous ne pouvons les rendre analogues pour autant. Si les deux sont toujours secondes dans la mesure où elles ne peuvent pas se manifester sans un révélateur, nous pouvons concevoir la pudeur comme un signe avant-coureur de la honte (quand la pudeur inhibe en nous laissant une certaine liberté d'action, la honte nous accable plus brutalement, pouvant aller jusqu'à nous paralyser). Une autre manière de séparer la pudeur de la honte concerne l'objet caché par chacune ; quand la première semble cacher quelque chose auquel on accorde assez de valeur pour ne pas vouloir le divulguer, la seconde voilerait plus un mensonge, une faillite, une faute. La pudeur évoque également la nudité et la sexualité (cela étant dû à une tradition platonicienne et religieuse sur laquelle nous reviendrons), mais ce n'est pas tout. Comme la coquetterie, elle intervient dans un jeu où le désir avance voilé, à la différence que celle-ci le fait dans le but d'exciter ce désir sans la moindre intention d'y répondre. Située entre la honte, le sexe, la nudité, la peur et la coquetterie, la pudeur se positionne entre le dicible et l'indicible et semble majoritairement exister dans un mouvement dialectique où alterneraient un voilement, un dévoilement et un revoilement. Malgré cela, elle semble incertaine, ambiguë, voire par moments contradictoire. Et pour cause, elle semble universellement présente mais extrêmement relative. Je profiterai de ces quelques lignes pour m'interroger sur ses origines et me poserai la question suivante : faut-il voir la pudeur comme quelque chose de naturel (et donc d'universel) ou comme quelque chose de culturel (ce qui la rendrait relative)

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