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Puis-je me passer d'autrui ?

Publié le 02/09/2004

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La caresse est l'ensemble des cérémonies qui incarnent Autrui. « Qu'est-ce que cela veut dire, sinon que la caresse, ce n'est pas le simple « contact de deux épidermes «, mais une façon, pour moi, d'empâter l'être désiré dans sa chair : « Mon but est de le faire s'incarner à ses propres yeux comme chair, il faut que je l'entraîne sur le terrain de la facticité pure, il faut qu'il se résume pour lui-même à n'être que chair... « Devenu corps, chair, présence offerte, sous mes doigts, par ma caresse, autrui ne me transcende plus. Je suis rassuré : autrui est ma chose, il ne sera plus que ceci, cad chair. Si Sartre nous fait sentir toute cette « part du diable « qu'il peut y avoir dans nos rapports avec autrui - qui, comme sa pièce de théâtre « Huis clos « tend à montrer, sont souvent « tordus « - notons cependant que la vision sartrienne n'est pas entièrement négative. Sartre, à la suite de Hegel, reconnaît que j'ai besoin de la médiation d'autrui pour obtenir quelque vérité sur moi. Des sentiments comme la honte ou la pudeur ne me découvrent-ils pas des aspects essentiels de mon être que j'ignorais sans autrui ? Avoir honte, n'est-ce pas reconnaître que je suis tel qu'autrui me voit ? Que cette image qu'autrui me tend de moi-même n'est pas une vaine image ? Autrui est, ainsi, un médiateur indispensable entre moi & moi-même.

 

Me passer : pourquoi ? Pour vivre ? Pour être ce que je suis ? Pour me connaître ? Pour être libre ? Heureux ? Etc.

A quoi pourrait-il m’être essentiel ? S’il m’est nécessaire, est-ce au sens de « faute de mieux « (il me serait essentiel, par exemple, pour satisfaire mes besoins, pour survivre, mais pas pour être moi, ou être heureux, etc. : dans ce cas, il ne m’est pas essentiel, malgré le fait qu’il me soit nécessaire ; la raison pour laquelle je ne peux m’en passer est purement sociale voire biologique). Ou bien est-ce au sens d’une condition essentielle, celle sans laquelle par exemple je ne serais pas un être humain comme tel (ou je ne me connaîtrais pas, etc.) ? Dès lors, on voit le porblème : il s’agit de savoir si l’homme est ou non un être social, un animal politique, pour reprendre la formule d’Aristote.

 

« l'empressement bienveillant d'un Chrémès ? L'incompréhension ou le conflit ne sont-ils pas les modalités les pluscourantes de notre rapport aux autres ? Mais alors, peut-on encore affirmer qu'autrui m'est indispensable ? A - Le barbare n'est pas mon semblable ¦ Autrui, nous l'avons dit, n'est pas nécessairement un proche.

Autrui c'est n'importe quel autre homme.

Néanmoins,bien souvent il ne me semble pas être mon prochain, « mon semblable, mon frère » selon l'expression de Baudelairedans Les Fleurs du mal.

Il se signale avant tout par son altérité radicale.

Il est même si différent qu'il estfréquemment incompréhensible, ses actions, ses paroles me semblent souvent absurdes, dénuées de sens ouétranges.

Son étrangeté peut alors susciter la peur, la réprobation ou l'agressivité.

Sa singularité sa différencemasque à mes yeux nos similitudes : il n'est plus mon semblable mais l'étranger ? Complètement différent.¦ Par exemple, les différences entre cultures sont habituellement regardées comme des abîmes.

Face à cesdissemblances manifestes, l'attitude la plus ancienne et la plus répandue, remarque Lévi-Strauss dans son rapport àl'Unesco sur le racisme : Race et Histoire, a toujours été de nommer « hommes » uniquement ceux qui sontsuffisamment semblables à moi.

Mais on ruine de la sorte l'idée d'une communauté humaine universelle où touthomme est autrui c'est-à-dire un semblable.

Car alors « l'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupelinguistique, parfois même du village ».

Les Grecs nommaient par exemple « barbares » les peuples qui ne parlaientpas leur langue.

Un barbare est en effet trop « autre » pour être encore « autrui ».

Entre lui et moi toute relationsemble impossible.

Seul demeure un face-à-face tendu. B - L'enfer, c'est les autres ¦ Les différences culturelles ne sont qu'un cas particulier de cette fracture qui passe entre moi et tout autre.

Etc'est dans cet écart que naissent conflits et souffrances.

Par exemple, le regard d'autrui peut être impitoyable.

Enme scrutant avec détachement, il peut me transformer en chose.

Parce qu'il me nie en tant qu'homme, le regardd'autrui devient insupportable.

Et c'est alors que l'on s'écrie, à la suite de Garcin, dans Huis clos, que « l'enfer, c'estles Autres ».Sur la question d'autrui, Sartre souligne que seul Hegel s'est vraiment intéressé à l'Autre, en tant qu'il est celui parlequel ma conscience devient conscience de soi.

Son mérite est d'avoir montré que, dans mon être essentiel, jedépends d'autrui.

Autrement dit, loin que l'on doive opposer mon être pour moi-même à mon être pour autrui, «l'être-pour-autrui apparaît comme une condition nécessaire de mon être pour moi-même » : « L'intuition géniale deHegel est de me faire dépendre de l'autre en mon être.

Je suis, dit-il, un être pour soi qui n'est pour soi que par unautre.

»Mais Hegel n'a réussi que sur le plan de la connaissance : « Le grand ressort de la lutte des consciences, c'est l'effort de chacune pour transformer sa certitude de soi en vérité.

» Il restedonc à passer au niveau de l'existence effective et concrète d'autrui.

AussiSartre récupère-t-il le sens hégélien de la dialectique du maître et del'esclave, mais en l'appliquant à des rapports concrets d'existence : regard,amour, désir, sexualité, caresse.

L'autre différence, c'est que si, pour Hegel,le conflit n'est qu'un moment, Sartre semble y voir le fondement constitutif dela relation à autrui.

On connaît la formule fameuse : « L'enfer, c'est les autres».

Ce thème est développé sur un plan plus philosophique dans « L'être & lenéant ».

Parodiant la sentence biblique et reprenant l'idée hégélienne selonlaquelle « chaque conscience poursuit la mort de l'autre ».

Sartre y affirme :« S'il y a un Autre, quel qu'il soit, quels que soient ses rapports avec moi,sans même qu'il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de sonêtre, j'ai un dehors, une nature ; ma chute originelle, c'est l'existence del'autre...

»J'existe d'abord, je suis jeté dans le monde, et ensuite seulement je medéfinis peu à peu, par mes choix et par mes actes.

Je deviens « ceci ou cela».

Mais cette définition reste toujours ouverte.

Je suis doncfondamentalement libre « projet », invention perpétuelle de mon avenir.

Et jesuis celui qui ne peut pas être objet pour moi-même, celui qui ne peut mêmepas concevoir pour soi l'existence sous forme d'objet : « Ceci non à caused'un manque de recul ou d'une prévention intellectuelle ou d'une limiteimposée à ma connaissance, mais parce que l'objectivité réclame une négation explicite : l'objet, c'est ce que je me fais ne pas être...

»Or je suis, moi, celui que je me fais être.

Et c'est précisément parce que je ne suis que pure subjectivité et liberté,que le simple surgissement d'autrui est une violence fondamentale.

Peu importe qu'il m'aime, me haïsse ou soitindifférent à mon égard.

Il est là, je le vois et je découvre que je ne suis plus centre du monde, sujet absolu.

Il mevoit, et avec son regard s'opère une métamorphose dans mon être profond : je me vois parce qu'il me voit, jem'appréhende comme objet devant une transcendance et une liberté.Si chaque conscience est une liberté qui rêve d'être absolu, elle ne peut que chercher à transformer la liberté del'autre en chose passive.

Sartre illustre d'abord ce conflit à travers l'expérience du regard.

Qu'est-ce qui, en effet,me dévoile l'existence d'autrui, sinon le regard ? Si je regarde autrui, ce dernier me regarde aussi.

C'est la raisonpour laquelle Sartre envisage les deux moments.Dans un premier moment, je vois autrui.

Imaginons : « Je suis dans un jardin public.

Non loin de moi, voici unepelouse et, le long de cette pelouse, des chaises.

»Situation paisible.

Le décor est neutre, la trame est inexistante : « Un homme passe près des chaises.

Je vois cet. »

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