Punir, est-ce la même chose que se venger?
Publié le 21/01/2004
Extrait du document
«
L'analyse précédente reposait sur l'idée selon laquelle le juge ne représente pas la partie lésée, mais l'État et lasociété.
Aussi, son jugement doit-il être impartial, et son impartialité repose d'abord sur le principe qu'il estprécisément extérieur au litige ou au délit, c'est-à-dire qu'il n'appartient ni au parti de la victime ni à celui ducoupable.
Nous avions déjà signalé ce point.
Mais il faut maintenant le problématiser.
L'Histoire ne nous offre-t-elle pas des exemples significatifs de situations où le droit a parfois revêtu le caractère dela vengeance, sans se présenter ouvertement comme telle ? Qu'on pense aux parodies de procès nazis, sousl'Allemagne hitlérienne, à la pseudo-justice de la dictature stalinienne, ou même bien avant, à la manière toutepartiale dont fut conduit le procès de Jeanne d'Arc, par des Anglais qui étaient, en la circonstance, bien « juge etpartie ».
D'une manière générale, on peut affirmer que lorsqu'une « justice » s'effectue sans procès, ou sans paroledonnée à la défense, comme elle peut s'exercer dans une dictature, on a en réalité affaire à une vengeance qui sefait passer pour une punition.
Le philosophe allemand Hegel, dans Les Principes de la philosophie du droit, asu nous avertir contre les dangers et les illusions d'une telle confusion.
Hegelmontre en effet dans cet ouvrage que de telles situations existent et qu'unetelle justice n'est alors qu'une vengeance déguisée, car elle ne délibère pas etapplique un équilibre aveugle et injuste, qu'on retrouve souvent dans lesvengeances privées.
Cette soi-disant « justice » suscite alors, à son tour, denouvelles vengeances en inspirant chez celui qui l'a subie ou chez sesproches, un profond sentiment d'injustice qui les transforme eux aussi en «partie lésée ».
Ce processus peut se poursuivre sans fin, comme dans cesvendettas interminables que l'écrivain Prosper Mérimée nous décrivait enCorse, au XIX e siècle, dans son roman Colomba.
Vendettas qui opposentparfois des familles entières sur plusieurs générations et plusieurs siècles.
Orle droit a précisément pour fonction, en rendant la justice, de mettre fin à cecycle infernal.
On comprend mieux pourquoi il ne faut jamais confondre punition etvengeance.
Sans cette distinction, la justice, qui délibère au nom de lasociété tout entière, ne pourrait jamais mettre fin au cycle de la violence quetoute violence sème autour d'elle.
Or la punition incarne une décisionrationnelle, là où la vengeance est toujours l'expression d'une haine ou d'unedétresse aveugle.
CITATIONS:
« On ne peut déterminer rationnellement [...] si, pour être conforme à la justice, il faut, pour un délit, infliger [...]une peine de prison de un an ou de trois cent soixante-quatre jours ou encore de un an et un, deux ou trois jours.Pourtant, [...] une semaine ou un jour de prison en trop ou en moins sont déjà une injustice.
» Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1821.
« Vous avez entendu qu'il a été dit : oeil pour oeil, et dent pour dent.
Et moi je vous dis de ne pas résister à celuiqui vous fait du mal.
Au contraire, si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre.
» Nouveau Testament, Evangile selon Matthieu.
« Le châtiment a pour but de rendre meilleur celui qui châtie.
» Nietzsche, Le Gai Savoir, 1883.
« Si peine et récompense disparaissaient, du même coup disparaîtraient les motifs les plus puissants quidétournent de certaines actions et poussent à certaines autres; l'intérêt de l'humanité en exige la perpétuation.
»Nietzsche, Humain, trop humain, 1878.
« Le bagne, les travaux forcés ne relèvent pas le criminel; ils le punissent tout bonnement et garantissent lasociété contre les attentats qu'il pourrait encore commettre.
» Dostoïevski, Souvenirs de la maison des morts, 1862..
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