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Quel est le rôle de la pensée dans l'acte de percevoir ?

Publié le 17/03/2004

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Descartes, dans la fameuse description du morceau de cire, montre comment celui-ci se transforme à l'approche de la chaleur du feu (l'odeur devient plus insistante, les contours moins fermes) sans que nous cessions de le désigner par le même nom : la « même « cire demeure après ces changements. « Sa perception, ou bien l'action par laquelle on l'aperçoit, n'est point une vision, ni un attouchement, ni une imagination, et ne l'a jamais été, quoiqu'il le semblât ainsi auparavant, mais seulement une inspection de l'esprit « qui, d'imparfaite et confuse, peut devenir claire et distincte, à la mesure de l'attention qu'on lui porte (Méditations métaphysiques, II). C'est plutôt un effet de notre « puissance de juger « que de nos sens. Aussi faut-il distinguer dans le sens trois « degrés « (Réponses aux Sixièmes Objections, 9) : l'effet sur le corps des mouvements extérieurs qui le frappent ; ce qui en résulte dans l'esprit (douleur, faim, couleur, son, etc.) du fait qu'il est « uni à l'organe corporel « ; et le jugement par lequel « je détermine quelque chose touchant la grandeur, la figure et la distance « d'un objet. Quand nous disons que nous percevons un objet, en fait nous en jugeons promptement, sans nous apercevoir de l'intervention de la raison. Celle-ci devient patente au contraire lorsque nous devons corriger l'illusion d'un sens (un bâton qui, plongé à moitié dans l'eau, nous paraît brisé) : car c'est par « raison « que nous nous fions alors plutôt à notre toucher qu'à notre vue.Le principe « empiriste « affirme au contraire que nous n'avons pas d'idées qui ne nous viennent des sens. Les idées d'étendue, de figure, de lieu, de mouvement, de repos, ne sauraient être des idées innées, mais naissent des premières perceptions (Condillac, Essai sur l'origine des connaissances humaines, Éd. Galilée, I, 2, 9).

La pensée traverse de part en part la perception. Percevoir, c'est sortir de la passivité de la sensation. Seule la pensée peut opérer la mise en ordre du sensible, que nous appelons perception.

MAIS...

La pensée est postérieure à la perception. La perception fournit le sensible sur lequel s'exerce mon pouvoir de connaître.

« en les voyant sans les toucher, il pourrait les discerner, et dire quel est le globe et quel est le cube » (Essai..., II, 9,8).

La réponse de Locke est négative : les sensations visuelles de l'opéré seront de pures taches, elles ne lerendront pas immédiatement géomètre.

On traque, par une telle expérience, ce qu'on pourrait appeler une visionpure, une perception qui se prononcerait d'elle-même sans avoir été instruite d'avance ; il faut, en parlant àl'aveugle, tenir compte de sa culture, éviter les mots scientifiques eux-mêmes (la « sphère », le « cube »), segarder de l'influencer, préserver la neutralité des procédures expérimentales.

Or, cela est impossible, dit Leibniz, en1703 (Nouveaux Essais, II, 9) ; cependant, si l'on accorde un peu de temps de réflexion à l'opéré, et si on leprévient qu'il ne s'agit que de discerner deux figures, il saura aussi bien les discerner par la vue après les avoirconnues par le toucher, que nous discernons « de loin un tableau ou une perspective, qui représente un corps,d'avec le corps véritable », ce à quoi nous ne parvenons justement qu'en raisonnant, donc grâce à des idées qui nesont pas dans la sensation même.

Quelques décennies plus tard, Diderot devra avouer une semblable perplexité(Lettre sur les aveugles, 1749). L'activité scientifique se situe au-delà de l'assise sensorielle du corps. • Cependant le savoir est-il homogène, depuis ses conditions inférieures jusqu'à son élaboration la plus haute dansla connaissance rationnelle ? Ne faut-il pas distinguer l'ordre de la perception et l'ordre de la science ? « Ainsi, qu'unmouvement soudain de ma main se produise devant mes yeux, si je ne saisis que ce mouvement, j'ai une simplereprésentation.

Si je sais que c'est ma main qui est passée devant mes yeux, j'ai une perception, c'est-à-dire unereprésentation déterminée.

Enfin, si je cherche à m'expliquer la cause de ma représentation primitive, je fais acte deconnaissance rationnelle » (J.

Lagneau, Célèbres leçons et fragments, Éd.

PUF, p.

191).

Cette connaissance «consiste dans la détermination des rapports constants et permanents » qui existent « entre les grandeurs absoluesque nous pouvons déterminer par ces perceptions [...].

Percevoir un objet selon sa vérité implique donccontradiction » (ibid., p.

236).

La prétention à la vérité universelle qu'élèvent les sciences ne dépend pas de la seuleexpérience. • Du moins Kant a-t-il montré la possibilité d'une science pure, en établissant la légitimité des jugementssynthétiques a priori (mathématiques et physique pures) : l'objet des sens se règle sur la nature de notre faculté depenser, et non l'inverse.

D'une part, notre connaissance a affaire non à la « chose en soi », mais à des «phénomènes » dont la possibilité (« l'intuition pure » : l'espace et le temps) se trouve en nous.

D'autre part,l'entendement est le pouvoir des règles : un « concept » est une règle qui sert « à épeler les phénomènes pourpouvoir les lire comme expérience » (Prolégomènes à toute métaphysique future, « La Pléiade », t.

II, p.

88).L'expérience est une synthèse de perceptions : « l'enchaînement complet et soumis à des lois » de toutes lesperceptions selon des principes a priori (Critique de la raison pure, éd.

citée, t.

I, p.

1414).

La vérité d'uneconnaissance a posteriori de la nature implique enfin l'adéquation de la connaissance avec un contenu empirique. • Quant à la sensation, elle présente cette ambiguïté d'être à la fois un état que je rapporte à moi-même sentant,et un contenu, c'est-à-dire un certain rapport à l'objet senti.

Une « pure » sensation, entièrement « subjective »,serait imperceptible ! D'autre part, ce qui est dans l'objet senti (la « chaleur ») peut n'avoir aucune ressemblanceavec l'épreuve subjective de cette propriété (sur la douleur, cf.

Berkeley, oeuvres, Éd.

PUF, t.

2, p.

37 et s.).

Deplus, la « blancheur » d'un lys (cf.

Locke) lui appartient non comme la blancheur en général, mais comme telleblancheur, qui est en fait sa couleur propre indicible et n'est donc pas à strictement parler blancheur.

Autrequestion : comme « intuition donatrice originaire », la perception me donne l'objet lui-même, en original, « enpersonne » et non en image (Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, Éd.

Gallimard) ; mais la chose,réalité « transcendante » (extérieure à ma conscience), ne m'est accessible que « par esquisses » dans unemultiplicité de vécus : je vois « la » table de loin, de près, de côté, par en dessous, etc., jamais totalement.

Il fautque je dépasse le donné matériel (hylè) de la perception par l'acte de noèse : l'objet n'est présent qu'en étantpartiellement absent.

C'est pourquoi le tact est un sens plus aigu de la réalité des choses que la vue et donne à larhapsodie des cinq sens une unité relative.

Il ne s'agit ici que d'une « pensée de voir », d'une « pensée qui déchiffrestrictement les signes donnés par le corps » : « Des choses aux yeux et des yeux à la vision il ne passe rien de plusque des choses aux mains de l'aveugle et de ses mains à sa pensée » (Merleau- Ponty, L'oeil et l'esprit, Éd.Gallimard, p.

41, sur Descartes, Dioptrique, I et IV).. »

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