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En quel sens la détermination de nos actions n'exclut pas la liberté (E. Kant)

Publié le 22/02/2012

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A. Qu'on prenne un acte volontaire, par exemple un mensonge pernicieux, par lequel un homme a introduit un certain désordre dans la société, dont on recherche d'abord les raisons déterminantes, qui lui ont donné naissance, pour juger ensuite comment il peut lui être imputé avec toutes ses conséquences. Sous le premier point de vue, on pénètre le caractère empirique de cet homme jusque dans ses sources que l'on recherche dans la mauvaise éducation, dans les mauvaises fréquentations, en partie aussi dans la méchanceté d'un naturel insensible à la honte, qu'on attribue en partie à la légèreté et à l'in-considération, sans négliger les circonstances tout à fait occasionnelles qui ont pu influer. Dans tout cela, on procède comme on le fait, en général, dans la recherche de la série des causes déterminantes d'un effet naturel donné. Or, bien que l'on croie que l'action soit déterminée par là, on n'en blâme pas moins l'auteur, et cela, non pas à cause de son mauvais naturel, non pas à cause des circonstances qui ont influé sur lui, et non pas même à cause de sa conduite passée; car on suppose qu'on peut laisser tout à fait de côté ce qu'a été cette conduite et regarder la série écoulée des conditions comme non avenue, et cette action comme entièrement inconditionnée par rapport à l'étal antérieur, comme si l'auteur commençait absolument avec elle une série de conséquences. Ce blâme se fonde sur une loi de la raison où l'on regarde celle-ci comme une cause qui a pu et a dû déterminer autrement la conduite de l'homme, indépendamment de toutes les conditions empiriques nommées. Et on n'envisage pas la causalité de la raison, pour ainsi dire, simplement comme concomitante, mais au contraire, comme complète en soi, quand même les mobiles sensibles ne seraient pas du tout en sa faveur et qu'ils lui seraient tout à fait contraires; l'action est attribuée au caractère intelligible de l'auteur : il est entièrement coupable à l'instant où il ment; par conséquent, malgré toutes les conditions empiriques de l'action la raison était pleinement libre, et cet acte doit être attribué entièrement à sa négligence. On voit aisément par ce jugement d'imputabilité que, dans ce jugement, on a dans la pensée que la raison n'est nullement affectée par toute cette sensibilité, qu'elle ne se modifie pas (bien que ses phénomènes, je veux dire la manière dont elle se montre dans ses effets, se modifient), qu'il n'y a pas en elle d'état antérieur qui détermine le suivant, que, par suite, elle n'appartient pas du tout à la série des conditions sensibles qui rendent nécessaires les phénomènes suivant des lois naturelles. Elle est, cette raison, présente et identique dans toutes les actions qu'accomplit l'homme dans toutes les circonstances de temps, mais elle n'est pas elle-même dans le temps et elle ne tombe pas, pour ainsi dire, dans un nouvel état dans lequel elle n'était pas auparavant; elle est déterminante, mais non déterminable par rapport à tout état nouveau. B. On peut donc accorder que, s'il était possible pour nous d'avoir de la manière de penser d'un homme, telle qu'elle se montre par des actions internes, aussi bien qu'externes, une connaissance assez profonde pour que chacun de ses mobiles, même le moindre, fût connu en même temps que toutes les occasions extérieures qui agissent sur ces derniers, on pourrait calculer la conduite future d'un homme avec autant de certitude qu'une éclipse de lune ou de soleil, et cependant soutenir en même temps que l'homme est libre. Si nous étions encore capables d'un autre coup d'oeil (qui sans doute ne nous est pas du tout accordé, mais à la place duquel nous n'avons que le concept rationnel), c'est-à-dire d'une intuition intellectuelle du même sujet, nous nous apercevrions cependant que toute cette chaîne de phénomènes, par rapport à tout ce qui ne concerne toujours que la loi morale dépend de la spontanéité du sujet comme chose en soi, spontanéité dont la détermination ne peut être en aucune façon expliquée physiquement. E. Kant.

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