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Quel est le sens de l'expression : « Il a tout pour être heureux » ?

Publié le 11/09/2004

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I - Le relativisme.a) L'expression peut simplement refléter la naïveté ou la sottise de son auteur, quand il se figure que ce qui ferait son bonheur à lui (et que possède un autre) devrait faire aussi le bonheur de cet autre. Ainsi l'avare ou l'avide ne peuvent comprendre que la richesse ne fasse pas le bonheur du riche, ainsi l'ambitieux ne peut concevoir qu'un homme puisse être las du pouvoir. En ce sens le « tout « que l'autre est supposé posséder représente en vérité l'objet de la passion dominante de celui qui parle ou ce dont il ressent le plus cruellement le manque. Il suffirait alors de répondre : « à chacun son bonheur «, et de se satisfaire de ce relativisme.b) Mais, prise plus radicalement, l'expression doit s'entendre comme si elle pouvait être employée aussi à la première personne : « j'ai tout pour être heureux, et pourtant je ne le suis pas «. La question est alors de savoir comment peut s'instaurer une telle distance entre les éléments ou conditions du bonheur, ce dont tout homme identifie la présence au bonheur luimême, et l'être-heureux proprement dit.II - La distancea) Tous les désirs sont satisfaits, rien ne reste à désirer. Cet état où rien ne manque, comment ne serait-ce pas le bonheur ?

  • Que convient-il ? : que faut-il ? que peut-on ? Entendre : comprendre ; interpréter.
  • Tout : ce à quoi il ne manque rien ; ce qui est sans défaut ; parfait.
  • Heureux : satisfait ; état de celui pour lequel tout va selon ses désirs ; content ; qui ne manque de rien.

« III - L'inassignable bonheur a) Représenté sous la forme d'un élément du bonheur, ce bonheur qui me fait défaut alors que je le possède est précisément l'élémentinassignable, ce qui manque alors que rien ne manque, ce qui s'est évaporé alors que tout est à l'identique : le je ne sais quoi qui estl'être même du bonheur.

Notre réflexion nous conduit ainsi à irréaliser le bonheur.

Alors que pour la conscience naïve, il était identifiéau « tout » de la suffisance, à la présence de tous ses éléments et de toutes ses conditions, nous apprenons désormais que le bonheurest, au-delà de ce tout, le rien lui-même. b) Il ne s'agirait donc plus d'ajouter au bonheur quelque chose qui lui manquerait, pour le compléter et le parfaire, comme un élémentdont je n'aurais pas remarqué l'absence, mais de lui ajouter comme l'absence elle-même : « Il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas» (Nouvelle Héloïse, OEuvres complètes II, p.

693). Le désir est une force positive «Malheur à qui n'a plus rien à désirer.» Rousseau, La Nouvelle Héloïse (1761). • Contre l'ascétisme des philosophies rationalistes, Rousseau fait dire à Julie (le personnage de sonroman) la beauté et la force du désir amoureux: le désir est paradoxal, car d'un côté il consiste àtendre vers un but, mais de l'autre, il se suffit à lui-même.

En effet, celui qui accomplit son désirconnaît en même temps que la satisfaction une sorte de déception.• L'affirmation de Julie («Malheur à qui...») est radicale: pour elle, le vrai bonheur consiste dans ledésir lui-même, qui est une forme d'intensification de la vie.

Ne rien désirer, ce n'est pas lasagesse, c'est la mort. Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède.

On jouit moins dece qu'on obtient que de ce qu'on espère, et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux.

En effet,l'homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolantequi rapproche de lui tout ce qu'il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent etsensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce,le modifie au gré de sa passion.

Mais tout ce prestige disparaît devant l'objet même; rien n'embellitplus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu'on voit; l'imagination ne pareplus rien de ce qu'on possède, l'illusion cesse où commence la jouissance.

Le pays des chimèresest en ce monde le seul digne d'être habité et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Êtreexistant par lui-même, il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas.Si cet effet n'a pas toujours lieu sur les objets particuliers de nos passions, il est infaillible dans le sentiment commun qui les comprend toutes.

Vivre sans peine n'est pas un état d'homme; vivre ainsi c'est être mort.

Celui qui pourraittout sans être Dieu, serait une misérable créature ; il serait privé du plaisir de désirer ; toute autre privation serait plus supportable. La représentation ordinaire du désir nous amène à penser que le désir est un manque, et donc une souffrance : tout au moins un étatqui tend à la jouissance, mais ne la contient pas et l'exclut.

Car la jouissance suppose la possession qui doit marquer en même tempsla disparition du désir.

On devrait alors dire : tantôt je désire, tantôt je suis heureux.

Or ce texte de Rousseau repose sur le paradoxesuivant : ce n'est pas celui qui n'a plus rien à désirer qui est heureux, ne plus désirer est au contraire un malheur.

Celui qui a obtenu cequ'il désire ne désire plus ; il semble alors qu'il possède, et pourtant Rousseau affirme qu'avec la disparition du désir il a en vérité toutperdu : il est dépossédé au moment même où il possède ce qu'il désire.Le désir désire possession et jouissance : la possession me permet de goûter ce que je possède.

Mais si l'on possède sans êtreheureux, posséder n'est rien, je possède un objet du désir, mais je ne possède plus mon bien ou mon bonheur en lui.

Or ce n'est quedans le désir même que mon bonheur est lié, adhérent à l'objet.

La seule jouissance dont l'homme soit capable est donc une jouissancein absentia.

Alors que le besoin ne peut être satisfait qu'in proesentia.

L'imagination, qui étend pour nous la mesure des possibles, etcreuse par là notre désir, est aussi une force consolante puisqu'elle nous donne non seulement la représentation mais commel'équivalent imaginaire d'une présence effective.

Elle me fait désirer, mais elle me livre imaginairement ce que je désire.

Je ne mecontente pas d'y penser ; c'est comme si c'était là.

Il y a un bonheur de l'imaginaire, une jouissance de l'objet dans l'imagination etdonc en son absence que ne viennent pas ternir les vicissitudes liées à l'objet réel (la servitude du pouvoir, les caprices de la femme, lapuanteur de Venise).

Au contraire, dans l'imagination, la chose est soumise à ma puissance ; elle ne peut me décevoir.

C'est la raisonpour laquelle l'imagination se nourrit de l'absence.

L'objet devient ce que je veux qu'il soit.En fait, la jouissance suppose ce que Rousseau nomme beauté de l'objet.

Mais la présence est exclusive de la beauté ; pour nous,seule l'absence et donc le désir « embellissent » l'objet.

La vraie jouissance est pour nous une jouissance dans l'illusion, dans laprésence illusoire de l'imaginaire c) Mais, ramené à la subjectivité, le défaut qui m'empêche d'être heureux alors que j'ai tout pour l'être, n'est qu'un défaut de laconscience elle-même, et non de ce qu'elle possède.

Ce qui me manque, c'est la présence du bonheur, mais la présence du bonheurest la présence de la conscience elle-même.

Ce que nous apprend Leibniz avec l'inquiétude qui « est essentielle à la félicité descréatures, laquelle ne consiste jamais dans une parfaite possession qui les rendrait insensibles et comme stupides (Nouveaux Essais,II, 21).

L'inquiétude est comme l'effectivité même de la conscience, et c'est celle-ci qui est la couleur et la saveur du monde. Conclusion La conscience découvre que pour elle le bonheur est une plénitude qui doit encore comprendre l'attente et la promesse.. »

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