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En quel sens peut-on dire qu'on expérimente avec sa raison ?

Publié le 12/03/2004

Extrait du document

« ... Les instruments ne sont que des théories matérialisées... ». Au niveau de l'expérimentation, l'cc activité rationaliste » est encore plus nette qu'au moment de la seule observation. Car les outils de l'expérimentation sont eux mêmes des produits de la raison et de la théorie. Et cela apparaît de façon éclatante même au niveau des appareils les plus simples et les plus modestes. L'usage d'un instrument aussi élémentaire qu'un banal thermomètre nous introduit déjà dans un monde cc scientifique ». La relation complexe entre mon organisme et le milieu d'où résulte l'impression vécue de température est remplacée par une mesure fondée sur des relations beaucoup plus simples entre un objet et le milieu. Apprécier une température, c'est mesurer la dilatation d'une colonne de mercure sur une échelle graduée. Mais la fabrication d'un tel instrument requiert une théorie scientifique préalable.

« connaissance immédiate est empruntée, semble-t-il, au titre célèbre de l'ouvrage de Schopenhauer : «Le monde comme volonté et comme représentation ».• « ...

Si nous étions livrés tout entiers à la société c'est du côté du général, de l'utile...

que nous chercherions la connaissance ; le monde serait notre convention...

»Pour Bergson, l'intelligence scientifique est celle de l'homo faber et de l'homo politicus.

Elle découpe le monde en vue de l'utilité collective.

Elle est un ensemble de conventions qui réussissent.

Bachelard ne nie pas, loin de là cetaspect social de la recherche scientifique.

Le savant travaille en équipe, c'est un citoyen de la « cité scientifique », cité qui exige tout à la fois des travailleurs de plus en plus spécialisés, et en même temps la solidarité de tous cesspécialistes qui forment ce que Bachelard nomme magnifiquement « l'union des travailleurs de la preuve ».

mais la dimension sociale de la science ne nous livre pas la clef du travail scientifique lui-même.« La vérité scientifique est une prédiction, mieux une prédication ».

Voilà une très belle formule, caractéristique du style dense et brillant de Bachelard.

La science est prédiction car le moteur de la découverte c'est l'hypothèse,définie par Bernard comme « explication anticipée et rationnelle des phénomènes ».

Le savant ne répond pas directement et définitivement à la question « pourquoi » par une proposition affirmative.

Mais il procède par le détourd'une nouvelle question.

Il demande, selon Bachelard : « pourquoi pas ? ».

C'est le savant qui va au-devant de la nature, qui risque une explication audacieuse, qui propose une hypothèse imprévue et qui demande à la nature : «Pourquoi pas ? ».

La science est prédication car elle annonce la bonne nouvelle d'une explication rationnelle des phénomène ; elle invite par là disait Lalande à l' « assimilation des esprits entre eux », tout ce qui est rationnel étantuniversel, susceptible d'être librement accepté par tous les esprits.

La science est principe d'union : ma preuve une fois comprise par toi devient ta preuve.

La preuve marque à la fois la règle d'or de l'intelligence et la forme la plushaute de l'altruisme puisqu'elle implique le désir de s'accorder avec autrui sur les choses essentielles et le désir que cet accord ne soit pas un accord de surprise mais bien l'expression solide d'une communion réelle.

La dimensionsociologique de la science change ici radicalement d'aspect.

Ce n'est pas parce que la science traduit les exigences de la collectivité qu'elle est vraie.

C'est au contraire parce qu'elle est vraie qu'elle a le pouvoir d'assurer la «convergence » des esprits.• « ...

Le monde scientifique est notre vérification...

La science se fonde sur le projet...

».Au niveau de l'hypothèse la science donne raison à l'idéalisme puisque l'esprit, proposant une idée explicatrice se porte au devant du réel.

Au niveau de la vérification la science rejoint le réalisme puisque là, la théorie est soumiseau contrôle du réel.

L'hypothèse elle-même n'est qu'un projet de vérification.

La théorie proposée est inséparable des instruments de laboratoires qui la soumettront à vérification.

La vraie philosophie scientifique n'est niexclusivement idéaliste ni exclusivement réaliste.

Elle est dialectique.

L'hypothèse est proposée pour résoudre une contradiction entre telle ancienne théorie et les faits qui la démentent.

A son tour l'hypothèse vérifiée pourra êtremise en cause par la découverte de faits inédits qui entrent à titre de problème dans la dialectique expérimentale qui se poursuit sans fin.

Comme le dit Husserl : « C'est l'essence propre de la science, c'est a priori son moded'être, d'être hypothèse à l'infini et vérification à l'infini.

» C'est la raison qui expérimente Dans son « Introduction à l'étude de la médecine expérimentale » (1865), Claude Bernard caractérise la démarche expérimentale comme un processus qui comporte trois moments : § L'observation .

Le savant constate purement et simplement le phénomène qu'il a sous les yeux.

Il doit observer sans idée préconçue, en évitant toute erreur, en faisant usage des instruments qui pourront l'aider à rendre son observation plus complète.

Photographe passif des phénomènes, l'observateur « écoute la nature et écrit sous sa dictée ». § L'interprétation ou hypothèse .

Le fait constaté et le phénomène bien observé appellent l'idée. § L'expérimentation .

Le savant institue une expérience qui puisse confirmer ou infirmer l'hypothèse.

L'expérience n'est qu'une « observation provoquée ou préméditée dans le but de vérifier la validité d'une hypothèse ». Claude Bernard montre bien que, sans hypothèse, il n'existe pas de méthode expérimentale.

Une idée anticipée est le point de départ de tout raisonnement expérimental.

Sans cela, le savant ne pourrait qu'accumuler des observations stériles.

Mais d'un autre côté, Bernard affirme que l'observateur doit, sous peine de prendre les conceptions de son esprit pour la réalité, éviter toute idée préconçue et enregistrer passivement les phénomènes.

Le développement des sciences expérimentales amènera Bachelard à s'opposer à cette idée de passivité de l'observateur. Une des grandes découvertes de Bernard lui-même, la fonction glycogénique du foie, nous en fournira le bon exemple.

Les théories en vigueur divisaient le monde vivant en deux règnes distincts : les végétaux, qui produisent le sucre, et les animaux, qui le consomment et en tirent leur énergie.

Or, Bernard découvre du sucre dans le sang de chiens nourris exclusivement de viande.

L'organisme animal produit donc par lui-même du sucre et c'est dans le foie que Bernard localisera cette production.

Il semble bien ici, conformément à ce que dit Bernard , que c'est un fait –la découverte de sucre dans le sang de chiens nourris exclusivement de viande- qui provoque l'hypothèse de la fonction glycogénique du foie.

Mais ce n'est qu'une apparence.

Car ce fait ne peut faire naître une telle hypothèse que parce qu'il est problématique, ou, comme le disait Louis de Broglie , « polémique ».

Et s'il est problématique qu'en regard des théories antérieures admises.

Si aucune théorie n'avait soutenu la thèse de la production exclusivement végétale du sucre, le fait de la découverte d'un sucre animal n'aurait posé aucun problème et fait naître aucune hypothèse.

L'hypothèse naît donc d'un problème et le problème dépend lui-même directement d'un contexte théorique.

Illustrons plus précisément cette idée par un exemple emprunté cette fois à la physique.

Qu'est-ce qui conduisit Newton à la formulation de la théorie de la gravitation universelle ? La pomme que, paraît-il, il reçut sur la tête n'explique évidemment rien, mais on peut remarquer qu'ici comme souvent la légende de la science rejoint l'inductivisme en invoquant les « faits », fussent-ils imaginaires, à l'origine de la théorie.

Il faut en vérité comprendre la nature des problèmes que la physique du temps de Newton pouvait se poser, et leurs présupposés théoriques.

Pour ce faire, un aperçu de l'histoire des théories physiques du mouvement n'est pas inutile.Pour l'antiquité grecque, avec Aristote , le mouvement est par nature passager, transitoire.

Son essence est de finir.

Ce n'est pas un état de la matière.

L'univers n'est en ordre qu'à l'état de repos.

Le mouvement est alors l'indice d'un désordre –soit comme la cessation de l'état naturel d'ordre (lancer une pierre en l'air)- soit comme tendance à rétablir l'ordre naturel (quand la pierre retombe).

Cette théorie semble, il faut le souligner,tout à fait correspondre à certaines données évidentes de l'expérience : chacun peut constater qu'aucun mouvement ne dure indéfiniment.

A partir du XVII ième siècle, les théories modernes du mouvement vontpromouvoir celui-ci au rang de passage à celui d'état.

Leur principe fondamental est le principe d'inertie, selon lequel un corps a tendance à conserver tout état nouveau qui lui est communiqué : lorsqu'un corps enmouvement s'arrête, c'est donc dû, non comme le croyait Aristote à des causes inhérentes, mais à des facteurs extérieurs, tels les frottements, la résistance de l'air, etc. Or ce principe d'inertie va poser des problèmes nouveaux.

Par exemple, comment se fait-il que la Terre tourne autour du soleil, puisque, selon ce principe d'inertie, elle devrait se mouvoir d'un mouvement rectilignecorrespondant à une tangente de son orbite ? Pour Copernic qui, au XVI ième, ne connaissait pas le principe d'inertie, le problème ne se posait pas, et Copernic pouvait considérer alors, comme les Grecs, le mouvement circulaire des planètes comme un mouvement naturel et auto-explicatif.

A l'époque de Newton au contraire compte tenu de l'état nouveau des théories du mouvement, ce qui n'était pas un problème cent cinquante ans plus tôt en devient un.

Il faut expliquer le mouvement orbital des planètes, qui ne s'explique plus de lui-même.

La théorie de la gravitation sera cette explication. Nos connaissances sont issues de l'expérience L'empirisme affirme qu'il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait été auparavant dans les sens, cad que l'expérience est la source de toutes nos connaissances.

Toutes nos idées ne sont jamais, comme dit Hume , que des « copies de nos impressions sensibles ».

Non seulement l'expérience est la source de nos idées mais encore elle explique l'association de ces idées entre elles, cad le fonctionnement de notre esprit.

Qu'il s'agisse d'association par ressemblance (deux idées s'appellent l'une l'autre quand leurs objets ont été donnés de nombreuses fois soit l'un à côté de l'autre, soit l'unaprès l'autre).

C'est toujours dans des expériences antérieures et répétées que se trouve la raison de ces associations.

Une autre solution consiste à affirmer que toutes les connaissances de l'homme, y compris les principes de la raison dérivent de l'expérience. C'est ainsi que pour Locke , il n'existe ni connaissance ni principe inné.

Dans « Essai sur l'entendement humain », critiquant l'innéisme de Descartes , Locke avance la thèse de la « table rase » : l'esprit de l'être humain, avant toute expérience et éducation (celui du nouveau-né par exemple), est comme une tablette de cire, vierge de toute écriture.

Nos idées simples viennent de la sensation et de la réflexion.

Les idéescomplexes et en particulier les catégories de substance, de mode et de relation sont le produit de la combinaison des idées simples.

Pour Hume aussi les principes de la raison ne sont pas innés mais acquis parl'expérience.Comme philosophie générale, l'empirisme affirme avec Locke que nos idées ne sont pas, comme le pensait Descartes , innées, mais qu'elles proviennent de l'expérience.

On peut décomposer la philosophie empiriste de la connaissance en trois moments.1.

L'origine des idées .

L'esprit, dit Locke , est d'abord une page blanche, une « table rase » (tabula rasa).

« Comment vient-il à recevoir des idées ? Par quels moyens en acquiert-il cette prodigieuse quantité que l'imagination de l'homme, toujours agissante et sans borne, lui présente avec une variété presque infinie ? D'où puise-t-il tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et detoutes ses connaissances ? A cela je réponds d'un mot : de l'expérience.

C'est le fondement de toutes nos connaissances, c'est de là qu'elles tirent leur première origine .

» (« Essais sur l'entendement humain »).

L'expérience est donc d'abord pour l'empirisme une réponse à la question de l'origine des idées.

Ainsi, un certain nombre d'idées naissent dans l'âme des « observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles » (idem).

C'est le cas d'idées comme « dur », « mou », « blanc », « jaune »...

Locke les appelle des « idées de sensations » : nous nous les représentons que parce que nous avons eu l'expérience sensible du mou, du blanc, du jaune....

Pour un empiriste, un aveugle de naissance ne saurait avoir aucune idée des couleurs.

Les autres idées viennent non de l'expérience externe, mais del'expérience interne ; cad des observations que nous faisons sur « les opérations intérieures de notre âme ».

Telles sont les idées de « joie », de « peine », de « plaisir », de « douleur »...

Ce sont des idées de réflexions.

Dans les deux cas, les idées sont, comme dit Hume , des « copies » des impressions sensibles. 2.

La composition des idées .

En faisant naître les idées de l'expérience sensible, comment pourrions-nous rendre compte de l'infinité des idées que l'esprit peut concevoir, alors que est toujours limitée ? Je peux me représenter une montagne d'or, ou un centaure : comment est-ce possible ? La réponse est : grâce à la possibilité de combiner ou d'associer les idées, que Locke comme Hume attribut à l'imagination. L'empirisme distingue entre les « idées simples », cad inanalysables en éléments et immédiatement dérivées d'expériences sensibles élémentaires (telles les idées de « rouge », « chaud »...) et les « idées composées », qui, elles, sot des résultats d'une combinaisons d'idées simples. 3.

La signification des mots .

L'expérience comme contrôle.

L'expérience n'est pas seulement une origine ; elle est aussi ce à quoi il faut retourner pour éprouver la valeur de nos pensées ou plus exactement de notre langage.

Les mots dépendent des données sensibles particulières, aussi généraux et abstraits soient-ils.

De quoi suffit-il donc pour savoir si un mot possède un contenu réel de signification ou si ce n'estqu'un mot creux ? Il suffit que le mot représente effectivement une idée.

Pour établir la signification d'un mot, il suffit de rechercher de quelle(s) impression(s) sensible(s) dérive l'idée dont il est supposé être lesigne. L'expérience est bien alors, non seulement un point de départ, mais aussi un point d'arrivée, de retour.

Ainsi l'empirisme ne fait-il pas seulement de l'expérience l'origine de notre connaissance, mais aussi ce qui lajustifie.

En ce sens, il ne répond pas seulement à la question de fait que demeure la question de l'origine ; mais il pose dans toute son ampleur la question de droit.

Dans « Essais philosophiques sur l'entendement humain », Hume affirme que les « idées » ne sont d'abord que des copies affaiblies des « impressions » d'origine externe et qu'elles sont ensuite liées suivant les lois mécaniques de l'association.

Ainsi, par exemple, nous observons qu'un phénomène donné est suivi d'un autre phénomène donné.

Rien ne nous permet d'affirmer qu'il existe entre eux une relationcausale nécessaire sinon l'habitude que nous avons acquise, sous l'influence d'une association souvent répétée, de nous attendre à les voir se suivre.

Le principe de causalité est donc acquis par expérience.

Il en estde même pour les autres principes. La pensée empiriste anglaise distinguera avec insistance vérités logiques et propositions induites de l'expérience.

Hume analyse ainsi ce qui sépare relations d'idées et relations de faits : si l'opération « 2+2=4 » n'exige nul recours à l'expérience, l'affirmation « le soleil se lèvera demain » ne peut être proférée que parce que j'ai l'expérience quotidienne de la levée du soleil.

La proposition contraire n'est ici nullement contradictoire sur le plan logique, comme le serait « 2+2+5 ».

C'est un recours aux faits, non le jeu d'une opération purement rationnelle, qui établit la vérité.

Qu'en est-il alors de son universalité ? Comment prouver qu'il n'y aura pas un matin où le jour ne se lèvera pas ? Questions qui ont pour effet de fragiliser la valeur rationnelle des propositions scientifiques.

A côté des sciences de pure raison, les plus nombreuses sont relativesà des faits.

Celles-ci, parce qu'elles ne relèvent pas de la pure logique, ne peuvent pas être démontrées : « Le contraire d'un fait quelconque est toujours possible, car il n'implique pas contradiction et l'esprit le conçoit aussi facilement et aussi directement que s'il concordait pleinement avec la réalité. » Hume montre donc que l'induction ne conduit pas à une opération intuitive : le moyen terme sous-entendu ( cela se passera. »

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