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QUELQUES THÉORICIENS DE LA TRAGÉDIE

Publié le 05/04/2011

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       Musset: ... Mais ce qu'ils (les Anciens) nommaient destin ou fatalité n'existe plus chez nous. La religion chrétienne, d'une part, et d'ailleurs la philosophie moderne ont tout changé; il ne nous reste que la Providence et le hasard; ni l'un ni l'autre ne sont tragiques. La Providence ne ferait que des dénouements heureux; et quant au hasard, si on le prend pour élément d'une pièce de théâtre, c'est précisément lui qui produit ces drames informes où les accidents se succèdent sans motif, s'enchaînent sans avoir de lien et se dénouent sans qu'on sache pourquoi, sinon qu'il faut finir la pièce. Le hasard cessant d'être un dieu n'est plus qu'un bateleur. (De la tragédie, dans Mélange de littérature.)    Brasillach : ... Les personnages de la tragédie, contrairement à ceux du drame, sont presque toujours intelligents. Ils savent ce qu'ils sont et l'analysent avec une indicible joie : la joie de la conscience claire. (Corneille, p. 40.)    Anouilh : ... C'est propre, la tragédie. C'est reposant, c'est sûr... Dans le drame, avec ces traîtres, avec ces méchants acharnés, cette innocence persécutée, ces vengeurs, ces terre-neuve, ces lueurs d'espoir, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se sauver, le bon jeune homme aurait peut-être pu arriver à temps avec les gendarmes. Dans la tragédie, on est tranquille. D'abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme. Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui tue et l'autre qui est tué. C'est une question de distribution. Et puis surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir... et qu'on n'a plus qu'à crier — pas à gémir, non, pas à se plaindre — à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l'apprendre, soi. Dans le drame on se débat parce qu'on espère en sortir. C'est ignoble, c'est utilitaire. Là, c'est gratuit. C'est pour les rois. Et il n'y a plus rien à tenter, enfin ! (Antigone, Edition La Table Ronde, p. 56-57.)    Giraudoux : ... Dès que le premier acteur paraît, la vie individuelle de cette foule cesse. Le personnel des héros et des héroïnes est pour elle une sorte d'armée de gladiateurs sur laquelle on lâche, non des bêtes féroces, mais tous les fauves du destin et du cœur... Ainsi la tragédie sert-elle à constituer une humanité spéciale chargée d'éprouver les grandes souffrances et de supporter les grands coups du sort, à diviser le monde entre un nombre infini de spectateurs et un nombre limité d'acteurs.    Gusdorf : ... L'homme du tragique est l'homme de l'obéissance à une vérité particulière, le héros qui se fait une vocation qui le brisera, mais consent à se trouver ainsi la victime du secret dont il a eu la révélation. Preuve qu'il y a dans l'exigence de valeur autre chose et mieux que la soif du bonheur, le désir du confort et de la réussite. Le consentement du héros et du saint à l'échec matériel apparent évoque une paix des cimes plus haute que la vie. Attestation d'éternité. (Traité de l'existence morale, éd. A. Colin, p. 190.)    Hytier : ... Les théoriciens ont un peu vite appauvri les sources de notre plaisir. Il semble qu'avec la curiosité pour la conduite de l'action, la terreur, la pitié et l'admiration dans la tragédie et, sans doute, une réflexion morale à la chute du rideau, le dramaturge n'ait plus rien à exciter en nous. Mais on ne saurait réduire à ces catégories, même en les élargissant complaisamment, le jeu des effets psychologiques que le dramaturge peut mettre en mouvement... Que ces émotions ne soient pas toujours des plus pures ni des plus désintéressées, ce n'est pas une raison, au contraire, pour les exclure du légitime domaine de l'art. {Les arts de littérature, éd. Chariot.)

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