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Quels regards Laclos et Frears portent-ils sur la société de L'Ancien Régime ?

Publié le 23/10/2010

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Pour commencer cet exposé nous avons tout d’abord choisi de définir cette période historique très présente de l’œuvre de Laclos : L’Ancien Régime.

En France, l’Ancien Régime correspond à la période qui va de la fin de la Renaissance à la Révolution Française ; elle marque la fin du Royaume de France et l’avènement de la Première République Française (du 16e au 18e siècle). Pendant cette période, la société est divisée en trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers-état. C’est une société hiérarchisée dans laquelle l’individu ne bénéficie pas de droits individuels, mais de ceux de son groupe social. Le catholicisme est la religion d’Etat et de la Couronne, aussi, la très grande majorité des Français est guidée de la naissance jusqu’à la mort par la paroisse et les préceptes de l’Eglise catholique.

 

L’intrigue des Liaisons Dangereuses est censée être contemporaine de sa publication en 1782. En effet, certaines lettres sont datées avec une indication d’année dans le manuscrit présent à la Bibliothèque nationale, cependant cette datation disparaît dans l’édition ici présentée. Le titre complet de l’œuvre : Les Liaisons Dangereuses ou Lettres recueillies dans une société, et publiées pour l’instruction de quelques autres, reprend l’épigraphe  de Rousseau faisant allusion aux « mœurs de mon temps «. Le lecteur est donc incité à prêter attention au rapport du texte avec son contexte. Quels regards Laclos porte-t-il alors sur la société de son temps ? Quand à Frears, comment interprète-t-il la société de l’ancien régime au travers de son œuvre cinématographique ?  Les Liaisons Dangereuses laissent percevoir les deux ordres antithétiques que sont la tiers-état et le clergé, mais accordent une plus grande importance à la noblesse, rang social dans lequel se situe la grande majorité des personnages de l’intrigue. Enfin, les Liaisons Dangereuses apportent également une considération sur l’Histoire.

 

I – L’ancrage contemporain

a) Le cadre spatio-temporel

Si la datation des lettres par l’indication « 17** « suffit à les rattacher à leur siècle, la mise en œuvre du cadre spatial est plus complexe : les lieux de l’intrigue, peu nombreux, se résument en Paris et le château de Mme de Rosemonde aussi bien pour l’écriture des lettres que pour l’action.

 

b) La société des trois ordres

Dans ce cadre spatial réunissant 2 lieux, vit une société montrée dans sa duplicité, fondée sur la séparation entre les préceptes et les pratiques, entre la morale et les mœurs. L’art du paraître règne dans les lieux de rencontre tels que : l’opéra, les dîners mondains, le théâtre, etc. 

 

 - Dans les Liaisons Dangereuses, la paysannerie est esquissée lorsque   Valmont secourt « la famille entière qui ne pouvait payer la taille « (lettre 21) ; Quand il est surpris aux abords de l’Opéra avec Emilie que la Présidente qualifie de « fille « (lettre 135) ; Et enfin lorsque Laclos évoque la domesticité d’Azolan, sollicité en vue de l’acte de charité évoqué précédemment. 

- Le clergé est surtout représenté en la figure du Père Anselme ; et lorsque Valmont use du vocabulaire dévot cher à Tartuffe : « celle dont le Ciel s’est servi pour ouvrir mon âme à la vertu « (lettre 120).

 

 - Mme de Tourvel est le seul personnage du roman n’appartenant pas à la bourgeoisie, mais, comme elle est l’une des rares figures de pureté de l’intrigue, il est tentant d'associer les bonnes mœurs à la bourgeoisie et d'avancer la thèse que Laclos, insatisfait de son statut social, règlerait ses comptes avec les privilégiés. Par la possession de domaines, d’une condition aisée, et de titres, Laclos situe les libertins dans les sphères élevées de la société. Par les décors et les costumes, le film donne une idée assez juste du mode de vie à la fin du 18e siècle. Salons, cheminées imposantes, miroirs omniprésent, tentures, etc... contribuent à recréer cet art de vivre si raffinée. Le langage des personnages, qui n’usent jamais de la vulgarité ou de l’obscénité, permet aussi de les inscrire dans leur rang social. Le Chevalier Danceny fait figure d’archaïsme dans cette société où seul le duel (lettre 162) rappelle encore la fonction guerrière de la noblesse.

La société du roman est donc celle de l’aristocratie, oisive, livrée au « tourbillon de [ses] mœurs inconséquentes «, ainsi que l’écrit Mme de Volanges dans la lettre 175.

 

c) La religion

 La religion chrétienne est reléguée dans les couvents (d’où sort Cécile et où meurt Mme de Tourvel), ou réduite à un discours parodié par les libertins. Si, à la différence de Voltaire, Laclos ne critique pas directement l’hypocrisie cléricale de son époque (avec par exemple le Père Anselme qui ne sert les desseins de Valmont qu’à son insu), l’incarnation de la vertu qu’est Mme de Rosemonde semble bien attachée à la casuistique , à une certaine complaisance envers l’adultère et Mme de Tourvel. Se référant au « Dieu de Vengeance «, Anselme préfigure un dénouement sous le signe du deus ex machina : locution Latine qui désigne l’intervention d’une divinité qui aide la résolution d’une situation auparavant insoluble.

 

II – Considérations sur l’Histoire

a) Un univers fermé

La société présente une structure fortement hiérarchisée, dans laquelle la naissance détermine les privilèges nobiliaires, sans que jamais le seul mérite puisse être reconnu. Les activités des aristocrates se révèlent stériles pour le royaume : ils ne le défendent pas, ni ne le font prospérer. Par ces jeux cruels et dangereux, les mariages auront échoué : Valmont est tué, deux femmes se retirent au couvent, l'une d'elles meurt. Deux protagonistes quittent la France : Danceny part à Malte, la Marquise en Hollande. C'est toute une génération sacrifiée. Il reste de cette société l'apparence et le verbe. L'apparence, c'est-à-dire ce qui fait illusion ; le verbe, ce qui fait allusion. Le discours est ce qui fait perdurer le mythe aristocratique en même temps qu'il le dénonce.

 

b) La crise des valeurs

Hamlet prétendait qu'il y avait « quelque chose de pourri « au royaume de Danemark. Le lecteur de Laclos pourrait appliquer ce jugement à la France de Louis XVI. Caste aristocratique sans dynamique, qui se perd dans le plaisir et l'égoïsme, narcissisme effréné qui se reflète de miroir en miroir : le royaume se donne en spectacle au cœur d'une frivolité qui s'abuse en elle-même. Deux protagonistes trouvent grâce dans l'effondrement tragique de ce dénouement. Danceny préserve l'éthique aristocratique de l'honneur. Son interlocutrice veut faire confiance à son sens de la dignité : « Vous n'avilirez pas l'objet que vous avez tant aimé « (lettre 171). Mme de Rosemonde, rappelle les fondements de l'ancienne noblesse, condamnant quiconque se trouve « hors des normes prescrites par les Lois et la religion «. La noblesse ne saurait se concevoir sans un ensemble de valeurs politiques et religieuses. Laclos offre à l’Ancien Régime finissant l’image la plus cruelle de la crise des valeurs.

 

III – La vision d’une société

a) Les Liaisons Dangereuses : un reflet de la société contemporaine à Laclos ?

Le titre de l’œuvre épistolaire le dit: il s’agit de lettres recueillies dans une société. Laclos ne prétend donc pas brosser le tableau complet de la société de son temps, comme le feront les romanciers du 19e siècle (Balzac ou Zola, par exemple). Comme nous l’avons évoqué plus tôt, les personnages font en majorité partie de la noblesse : Valmont représente la noblesse d’épée, et Mme de Tourvel, par son époux, la noblesse de robe.

 

b) L’anachronisme de la société dépeinte

Or, cette société semble anachronique : la « rouerie « (une note de la lettre 2 signale déjà l’aspect démodé du terme) même de Mme de Merteuil et de Valmont ne se veut pas contemporaine : pervertissant les valeurs originelles de la noblesse et le code courtois, ils les rétablissent paradoxalement en créant une sorte de code de l’honneur des libertins (que Mme de Merteuil finit par transgresser – raison pour laquelle Valmont se vengera). Ils pérennisent le goût de l’éloquence verbale, voire d’une préciosité héritée du 17e siècle, où le langage devient lieu de bravoure et de combats rhétoriques. Les valeurs deviennent des discours que l’on peut parodier, et les discours sont investis d’une valeur héroïque. 

 

La société dépeinte par Laclos porte en elle bien des déséquilibres et des conflits latents. La caste aristocratique a perdu le ressort de l’honneur que lui attribuait Montesquieu, ainsi que les véritables conquêtes militaires elle n’est plus qu’apparence et apparat, que le film souligne dans le faste, mais aussi dans le vide des vanités qui s’exacerbent. Ce vide est est incarné dans le film par les deux libertins et notamment dans la scène de fin lorsque Madame de Merteuil se démaquille et enleve sa chrysalide qui la protégeait jadis. Il ne reste au pouvoir qu’une structure vide, l’illusion d’un être perdu dans un somptueux paraître. Le roman reflète moins la société de son siècle qu’il n’en dépeint l’esprit : le vacillement des certitudes sociales et psychologiques et des langages qui les expriment.

 

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