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La question sociale et l'humanisme de Saint-Exupéry

Publié le 03/03/2011

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question

Analyser le contenu et commenter les idées essentielles de ce texte : « (1) Il y a quelques années, au cours d'un long voyage en chemin de fer, j'ai voulu visiter la patrie en marche où je m'enfermais pour trois jours, prisonnier pour trois jours de ce bruit de galets roulés par la mer, et je me suis levé. J'ai traversé vers une heure du matin le train dans toute sa longueur. Les sleepings étaient vides. Les voitures de première étaient vides. « (2) Mais les voitures de troisième abritaient des centaines d'ouvriers polonais congédiés de France et qui regagnaient leur Pologne. Et je remontai les couloirs en enjambant des corps. Je m'arrêtai pour regarder. Debout sous les veilleuses, j'apercevais dans ce wagon sans divisions et qui ressemblait à une chambrée, qui sentait la caserne ou le commissariat, toute une population confuse et barattée par les mouvements du rapide. Tout un peuple enfoncé dans les mauvais songes et qui regagnait sa misère. De grosses têtes rasées roulaient sur le bois des banquettes. Hommes, femmes, enfants, tous se retournaient de droite à gauche, comme attaqués par tous ces bruits, toutes ces secousses qui les menaçaient dans leur oubli. Ils n'avaient point trouvé l'hospitalité d'un bon sommeil ... « (3) Je m'assis en face d'un couple. Entre l'homme et la femme, l'enfant, tant bien que mal, avait fait son creux, et il dormait. Mais il se retourna dans le sommeil et son visage m'apparut sous la veilleuse. Ah! Quel adorable visage! Il était né de ce couple-là une sorte de fruit doré. Il était né de ces lourdes hardes cette réussite de charme et de grâce. Je me penchai sur ce front lisse, sur cette douce moue des lèvres, et je me dis : voici un visage de musicien, voici Mozart enfant, voici une belle promesse de la vie. « (4) Les petits princes des légendes n'étaient point différents de lui : protégé, entouré, cultivé, que ne saurait-il devenir! Quand il naît par mutation dans les jardins une rose nouvelle, voilà tous les jardiniers qui s'émeuvent. On isole la rose, on cultive la rose, on la favorise, mais il n'est point de jardinier pour les hommes. Mozart enfant sera marqué comme les autres par la machine à emboutir. Mozart fera ses plus hautes joies de musique pourrie, dans la puanteur des cafés-concerts. Mozart est condamné...  

« (5) Et je regagnai mon wagon. Je me disais : ces gens ne souffrent guère de leur sort. Et ce n'est point la charité ici qui me tourmente. Il ne s'agit point de s'attendrir sur une plaie éternellement rouverte. Ceux qui la portent ne la sentent pas. C'est quelque chose comme l'espèce humaine et non l'individu qui est blessé ici, qui est lésé. Je ne crois guère à la pitié. Ce qui me tourmente, ce n'est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s'installe aussi bien que dans la paresse. Des générations d'Orientaux vivent dans la crasse et s'y plaisent. Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. « C'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. « (Saint-Exupéry, Terre des Hommes.)   

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« sauve que des « individus » et que les malheureux, habitués à leur éternelle misère, finissent par y devenirinsensibles.

Au contraire l'assassinat de Mozart affecte tous les hommes (l'espèce humaine, chacun de ces hommes)car il prive toute l'humanité de ce qui peut l'ennoblir.

L'analyse tâchera de bien dégager cette opposition : La première partie du texte décrit, dans un train inter~ national, des ouvriers polonais, congédiés par une Franceinhospitalière et privés de l'hospitalité d'un sommeil gêné par l'entassement.

Parmi eux, un enfant au visagecharmant évoque Mozart.

La seconde partie nous donne les réflexions de l'auteur.

L'enfant sera condamné à lavulgarité et à l'esclavage social, faute d'une éducation que les hommes ne savent pas donner aux enfants despauvres pour faire éclore en eux ce qui ennoblirait l'humanité.

Pour l'auteur, cela est plus grave que le manque depitié, de charité.

Car la charité ne sauve que des individus, et les misérables finissent, par habitude, par ne plussentir la souffrance.

Au contraire, c'est toute l'humanité qui est lésée lorsqu'elle laisse la misère étouffer celui quiaurait pu apporter, pour tous les hommes, beauté et culture.

Position du problème Vous pensez tout de suite à la « question sociale ».

Mais l'auteur a une façon à lui de la traiter qui peut vousétonner.

Qu'il condamne la charité et les soupes populaires dans le style des années 30, cela ne vous choque pas,car vous savez que notre époque prétend à des formes d'action sociale plus vastes et plus efficaces, qui visent àdonner à tous un bonheur durable.

Vous pouvez vous demander lesquelles et pourquoi Saint-Exupéry, qui lesconnaissait, n'en parle pas et préfère évoquer leur caricature.

Vous constatez alors que le problème n'est pas, pourlui, de donner à une collection d'individus le bonheur (en sentent-ils le besoin? se demande-t-il, et cela peut êtrediscuté), mais à l'humanité en général (notion à préciser : peut-on distinguer, au-delà de la masse d'individus,quelque chose qui les dépasse et qu'on appelle l'humanité?) l'ennoblissement de l'art et en général de la culture, cequi pose sans doute un problème d'éducation.

Mais pourrait-on éduquer le jeune Mozart en herbe sans le tirer, lui etsa classe, de la misère? Et à quoi sert d'avoir des Mozart, si une foule d'hommes est trop abrutie par l'indigence pourles apprécier? FEUILLE 1 : a) Qu'est-ce que la charité? b) N'y a-t-il pas d'autres moyens, de nos jours, meilleurs que la « charité »pour donner le bonheur à tous? c) Leur but est-il différent? FEUILLE 2 : a) Pourquoi Saint-Exupéry ne donne-t-il pas le premier rang à la charité et à d'autres formes d'actionsociale plus efficaces? Quel est son but? b) Comment, dans son optique, peut-on : 1 opposer l'espèce humaine à lamasse d'individus qu'elle représente? 2 préférer la culture au bonheur? FEUILLE 3 : Discussion, a) Peut-on donner la culture avant que la misère ait été supprimée? b) À quoi sert la culturepour des indigents? FEUILLE 1 : a) Charité n'a pas le sens chrétien, c'est simplement le fait d'aider ses semblables : aumône, campagnesdiverses pour handicapés, malades, aide aux peuples sous-développés.

b) Notre époque reproche à la charité,malgré ses bonnes intentions, de n'être qu'une aide consentie et octroyée par des nantis ; elle lui préfère la justicequi donne à tous ce à quoi ils ont droit : de là diverses théories sociales (ex.

le marxisme) qui par divers moyens(prise du pouvoir, révolution, etc.) prétendent établir cette justice, c) Mais leur but final ne diffère pas de celuiqu'assigne Saint-Exupéry à la charité : 1 il s'agit d'assurer le bien-être matériel du plus grand nombre d'hommespossible; 2 et d'organiser une société qui leur permette de vivre paisiblement, dans le sentiment de la justice et dela dignité. FEUILLE 2 : Et pourtant ce n'est pas le problème essentiel pour Saint-Exupéry, a) Son premier argument paraît unpeu cynique : les misérables ne se rendent pas compte de leur souffrance ou s'y habituent.

Vous constaterez, enfait, que : 1 dans l'histoire, et même de notre temps, des millions d'hommes misérables ont su vivre et se tailler depauvres bonheurs personnels, malgré la précarité des conditions matérielles et sociales de leur vie (exemples :romans du XIXe s., de Dickens, peuples d'Amérique du Sud, d'Afrique, etc.); 2 la souffrance de la misère granditavec la conscience qu'on en prend (les peuples révoltés de notre époque); 3 le bonheur est relatif; toujoursincomplet, sera-t-il jamais possible de l'atteindre ? les sociétés actuelles les plus évoluées ne rendent pas tous leursmembres heureux (ex.

les États-Unis, l'Europe, etc.).

b) Mais l'argument essentiel de Saint-Exupéry est autre.

1 Au-dessus des « collections d'individus », il y a l'espèce humaine.

Vous reconnaissez là une idée chère aux humanistes :il y a une nature de l'homme éternelle, une essence humaine permanente qui apparaît, sous tous les accidents,comme une sorte de perfection possible.

Notre époque a vivement critiqué cette conception, lui reprochant sonirréalisme et son immobilisme : il n'y a pas un homme abstrait, mais des hommes divers, réels; et l'homme n'est pas,il se fait tel qu'il veut être, librement.

Il n'en reste pas moins que beaucoup d'écrivains constatent que si,effectivement, il n'y a pas d'essence humaine éternelle et immobile, l'homme postule des valeurs permanentes etgénérales qui dépassent l'individu, et c'est souvent au nom de ces valeurs qu'il se révolte ou s'exalte : ex.

Camus,L'Homme révolté; et, avant lui, les idées de Malraux sur la valeur humaine de la révolution, puis de la créationartistique.

Saint-Exupéry s'est attaché aussi à découvrir ces valeurs, par exemple le dévouement à une œuvrecollective, l'esprit d'équipe, etc.

2 Il nous en propose ici une, la culture, qu'il préfère au bonheur.

Le bonheur est eneffet relatif (cf.

a 3) et individuel.

La culture élève au contraire l'homme au-dessus de lui-même : elle développe son. »

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